Devialet, l’épopée d’une sculpture sonore

Tout commence en 2007 dans l’esprit de Pierre-Emmanuel Calmel, un ingénieur français animé par une obsession: «concevoir un amplificateur moderne, hyper-performant et compact pour sortir du marché des amplis gros, lourds, chers et qui chauffaient énormément d’alors», comme le raconte Jean-Loup Afresne, actuel directeur produit et technologie de Devialet après être passé par les entreprises suisses de référence Goldmund et Stenheim. L’idée révolutionnaire? Marier l’analogique et le numérique. La rencontre avec Emmanuel Nardin, designer passionné d’audio, donne naissance au projet Devialet. «Emmanuel a compris que la technologie que Pierre-Emmanuel développait permettait de miniaturiser», se souvient Jean-Loup Afresne. Un objectif qui donnera naissance au D-Premier, premier amplificateur de la marque utilisant la technologie Analog Digital Hybrid.

L’arrivée de Quentin Sannié comme premier CEO parachève le trio fondateur. Un ingénieur, un designer et un businessman, cette complémentarité se révèle cruciale pour attirer les premiers investisseurs: l’histoire de Devialet fascine rapidement les grands noms de la finance française. Xavier Niel, Marc Simoncini ou encore un certain Bernard Arnault montent à bord. Jacques Demont, l’actuel CEO arrivé en 2024, apporte un éclairage plus personnel sur cette attraction: «L’émotion semble primer sur les seuls calculs financiers, je pense que c’est passé par un coup de cœur aussi, parce que ce projet fait rêver.»

En décembre 2015, Devialet frappe un grand coup avec le lancement de la Phantom, une enceinte sphérique au design radical qui bouscule tous les codes de l’industrie. Fruit de trois années de développement et faisant l’objet de 88 brevets, elle s’impose rapidement comme une référence dans l’univers de l’audio et devient un vrai phénomène médiatique. Le succès est immédiat et la Phantom se pose en objet de désir, presque un symbole statutaire. Forte de ce succès, Devialet élargit progressivement sa gamme. La barre de son Dione ainsi que l’enceinte Mania arrivent en 2022, suivies l’année suivante par les écouteurs Gemini II, destinés à conquérir le segment nomade.

Comme beaucoup d’entreprises de la tech, Devialet connaît une croissance très rapide pendant la période covid, avant de devoir faire face à une correction brutale du marché. «Là, soit on réagit très, très vite, soit on risque la disparition», explique Jacques Demont avec pragmatisme. L’entreprise demande l’ouverture d’une procédure de conciliation auprès du Tribunal de commerce de Paris pour se donner le temps de trouver un accord à l’amiable avec ses fournisseurs et de réunir ses actionnaires afin d’effectuer une levée de fonds. De quoi lui permettre de rééchelonner ses dettes et de préserver sa position au sein d’un marché de la hi-fi connectée toujours plus concurrentiel.

Des investisseurs fidèles pour relancer la marque

Face au défi, les investisseurs historiques font preuve d’une fidélité remarquable lors de la levée de fonds de 30 millions d’euros. «Il est intéressant de constater que cet argent a été à 100% remis par des actionnaires qui figuraient déjà au capital, dont aussi BPI, le fonds Korelya avec Fleur Pellerin et AlphaSwiss. Au final, 66% des investisseurs ont remis au pot.» Pour l’actuel CEO, la confiance maintenue témoigne du potentiel de la marque. «Parce que les gens y croient, parce qu’ils pensent que cette belle histoire peut se poursuivre.»

L’arrivée de Jacques Demont coïncide avec cette phase de restructuration. Son profil atypique détonne dans l’industrie audio française. Passé par Tesla, pour qui il a développé le marché français, ancien de l’horlogerie suisse chez Tissot et longtemps resté dans l’univers Nespresso, cet homme de terrain apporte une vision pragmatique et internationale. Il s’attelle en premier lieu à «resserrer la gouvernance. Vous ne pouvez pas avoir un board de 12 ou 13 personnes dans une compagnie qui fait moins de 1 milliard de chiffre d’affaires.» Le conseil passe ainsi de 13 à 5 membres, rendant les décisions plus faciles.

Une stratégie centrée sur le client et l’innovation

Une recette qui se résume selon Jacques Demont à trois priorités: expérience client irréprochable, innovation technologique continue et expansion géographique maîtrisée. «Mes équipes et moi allons pousser notre compagnie dans la direction du client», promet-il. Il parle d’expérience: «J’ai appris chez Nespresso, dans le marché nord-américain, que le seul moyen de disrupter le business avec du café portionné était de le faire goûter.» Cette approche de l’expérience client, il la transpose chez Devialet: «Il faut qu’un maximum de personnes puissent voir et écouter nos produits.»

Ensuite, «pousser l’innovation, mais aussi ce que j’aime appeler de l’activation. Dans une compagnie comme Devialet, l’innovation technologique, bien qu’indispensable, ne suffit pas. L’évolution esthétique des modèles ou la signature de partenariats sont tout aussi nécessaires. Notre rôle est de développer un écosystème, explique Jacques Demont. Plus celui-ci est large, plus nos clients deviennent adeptes de nos produits. On ne va pas réinventer la roue. Prenez Apple: vous achetez votre iPhone, puis vos Airpods, puis votre iPad… vous voilà dans l’écosystème de la marque.»

Des collaborations prestigieuses pour amplifier la relance

Cette stratégie de relance commence à porter ses fruits, comme l’illustre une édition limitée lancée en partenariat avec l’Opéra de Paris. «Cette création unique, imaginée pour célébrer les 150 ans du Palais Garnier, s’est écoulée en moins de quarante-cinq minutes sur notre site internet. C’est impressionnant», se félicite Jacques Demont. D’autres «coups» prestigieux suivent, comme celui avec Fendi pour une édition exclusive de l’enceinte Mania ornée du monogramme iconique de la maison italienne, présentée lors d’un défilé à Milan. A un niveau encore supérieur, le partenariat signé avec le constructeur automobile Alpine afin d’équiper ses modèles A290 et A390 ouvre de nouvelles perspectives. Cette diversification s’inscrit dans une stratégie B2B ambitieuse. «Nous avons annoncé également une entente avec Fairmont», de quoi permettre aux clients de découvrir les produits Devialet dans les plus beaux hôtels de cette chaîne appartenant au groupe Accor.

Malgré la réputation de la marque, le monde reste à conquérir: si Devialet conserve une forte notoriété en France et en Suisse, l’expansion internationale représente un enjeu majeur. «Le produit est nouveau aux Etats-Unis ou en Chine», reconnaît Jacques Demont avec franchise. L’exemple de Dubaï démontre un potentiel à l’échelle mondiale: «Nous y avons ouvert une boutique il y a maintenant huit mois. Dès la cinquième semaine, elle est devenue la plus grande boutique du monde en termes de chiffre.» La Suisse représente également un marché sous-exploité malgré sa proximité. «Certains compétiteurs font autant de chiffre d’affaires en Suisse qu’en France. Imaginez le potentiel. Ce pays ne compte que 9 millions d’habitants, mais il joue dans la cour des grands», observe Demont, qui connaît très bien le marché national.

Côté produits, Devialet a dévoilé il y a quelques jours une version remaniée de son produit phare: «Après plus de dix ans maintenant, nous marquons la renaissance de Phantom. Meilleur ampli, meilleure alimentation, meilleur haut-parleur, traitement de signal revu», commente Jacques Demont.

Grâce à sa nouvelle direction, Devialet semble revenir sur la bonne voie. Avec ses 260 employés, ses 250 brevets déposés et une gamme de produits en constante évolution, l’entreprise française dispose de nombreux atouts pour reprendre sa conquête du marché. En s’appuyant sur une organisation rationalisée et une stratégie commerciale affinée, Jacques Demont prévoit pour Devialet un retour dans les chiffres noirs dès la fin 2025.