Tout a commencé par un ardent désir de liberté. «Employé de com, papa n’aspirait qu’à une chose: être indépendant. Avec un de ses copains cuisinier qui nourrissait la même envie, ils se sont dit que créer une activité autour du vin en Valais était une évidence.» Réflexion faite, le duo, âgé respectivement de 22 et 23 ans, porte Pro Uva (littéralement «pour le raisin») sur les fonts baptismaux. «Sans le moindre business plan. Juste avec une lettre adressée à tous les encaveurs du canton.» L’épisode date de 1984 et notre conteuse, Désirée Georges Naselli (34 ans), responsable de la communication de la société, n’était pas née.

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Le moins qu’on puisse dire, c’est que, à cette époque, Fabio Naselli et son pote Isidor Elsig, qui a quitté l’entreprise en 2011, n’ont pas mis leurs pieds dans le même soulier. Jugez plutôt: 1987, introduction en grande première du bouchon à vis, déménagement de la société du poulailler désaffecté qu’elle occupait à Sierre dans une halle de 700 m² construite dans le quartier industriel où elle réside encore, installation d’une laveuse à bouteilles d’une capacité de 6 millions d’unités et invention d’une bouteille qui allait révolutionner le monde du vin. Son nom? Désirée, pardi!

Autant de coups d'avance
Une trajectoire foudroyante. A tel point qu’il fallut porter la capacité de la laveuse à 24 millions de flacons trois ans plus tard déjà. Il faut dire que, en matière d’innovation et de tendances de consommation, Pro Uva, devenue Univerre Pro Uva en 1998, s’est toujours caractérisée par sa capacité à présenter le bon concept au bon moment. Autant de coups d’avance qui lui ont permis de se développer au pas de charge, en mettant notamment en place un astucieux quadrillage du pays qui place ses 1200 clients à moins de 100 km d’un de ses quatre points de vente: Sierre, Bioley-Orjulaz (VD), Effretikon (ZH) et Bedano (TI).

Un réseau qui lui a ouvert une voie royale en Valais, où la société a fait le vide autour d’elle, mais également vers le marché national, au nez et à la barbe de son grand concurrent Vetropack, propriétaire de la verrerie de Saint-Prex (VD). Avec plus de 700 produits, la PME, qui occupe une centaine de collaborateurs, vend chaque année 145 millions de contenants allant de 1 millilitre à 30 litres (un tiers en ligne). «Chez nous, vous pouvez créer votre propre forme de bouteille à partir de 12 000 pièces», s’enorgueillit Désirée Georges Naselli. Douze mille, comme le nombre de palettes que possède l’entreprise.

Innover. Ce verbe, Univerre l’a en fait conjugué à tous les temps et sur tous les modes depuis ses débuts. Quitte à se faire railler, comme lorsque la société s’est lancée dans la décoration de ses articles par sérigraphie, en 2011. «Il est vrai que notre étude de marché n’était pas très encourageante. Néanmoins, nous sentions frémir la tendance à la personnalisation. Le temps a fini par nous donner raison. En réalité, nous avons créé une demande qui n’a jamais cessé de croître. Aujourd’hui, nous traitons deux, voire trois projets par jour et ce département occupe 25 personnes», détaille avec une pointe de fierté David Naselli (38 ans), responsable des ventes et du marketing et frère aîné de Désirée.

Collaboration avec Swissnex
Un duo de choc qui reprend peu à peu les rênes de l’entreprise. «La convergence des générations fonctionne à fond. Papa est quelqu’un de très ouvert. Pour faire court, il gère le marché traditionnel et s’appuie sur nous pour développer les produits et les technologies d’avenir.» Et la famille n’a pas lésiné sur les moyens pour réussir sa transition. «En 2017, en collaboration avec Swissnex, nous avons passé une semaine à San Francisco avec les sept membres de la direction. Cette «maison suisse» est chargée de promouvoir la recherche et la technologie helvétique aux Etats-Unis. Mais pas que. La structure sert aussi à connecter la Suisse à l’Amérique du Nord en matière d’innovation notamment. Elle a donc organisé pour nous une cascade de visites de sociétés actives dans des domaines similaires aux nôtres. Un workshop qui nous a permis de nous imprégner de cet esprit décomplexé du business à l’américaine. Le fameux «disruption and growth» (simplification des processus, croissance avec les nouveaux métiers) ou encore le «do it, test it, break it» (faites-le, testez-le, adaptez-le). Depuis, nous avons changé notre manière de penser, de travailler et d’esquisser des projets», devise David Naselli.

La preuve. Dès son retour de Californie, la société accélère sa transformation numérique et revoit de fond en comble son organisation logistique. Grâce à l’intelligence artificielle, elle passe à la gestion numérisée de la marchandise et des stocks, à l’approvisionnement automatique, au bulletin de livraison électronique ainsi qu’à Google Drive. En parallèle, elle crée le site Myglass.ch, devenu Glassmania.com, qui offre à tout un chacun la possibilité de personnaliser et de commander bouteilles, verres, carafes ou bocaux à partir d’une pièce déjà.

Puis, en 2018, elle lance un projet d’imprimante 3D sur verre en collaboration avec l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich. Une technologie révolutionnaire qui attire l’attention de la prestigieuse revue scientifique Nature Materials et, par ricochet, d’entreprises du monde entier. «Les recherches sont encore en cours, mais ce procédé nous ouvrira sans doute de nouveaux marchés», estime David Naselli. Enfin, en 2020, Univerre devient l’une des cinq entreprises du secteur dans le monde à ajouter l’impression digitale à sa panoplie. Une technologie qui lui ouvre une variété de personnalisation presque infinie tant les applications sont multiples.

Le verre, une matière d'avenir
Mais, à vrai dire, on l’a senti lors de notre visite, c’est le développement d’une bouteille intelligente, dont la production est prévue courant 2022, qui suscite le plus d’excitation et de promesses au sein de l’entreprise. «La bouteille est équipée d’un tag NFC. Si la personne en sa possession désire en savoir plus sur son contenu et son producteur, elle l’active avec son smartphone. Apparaît alors un sommelier virtuel qui lui donne toutes les informations qu’elle recherche. Le client peut également passer commande par ce biais. Mieux, s’il accepte les conditions de protection des données, le producteur peut à son tour voir par qui, quand et où sa bouteille a été ouverte. Le projet est encore en phase de test, mais nous recevons déjà beaucoup de retours positifs de la part de nos clients et des leurs. Et pour cause, avec cette technologie, chaque personne tenant une bouteille dans sa main devient un client potentiel. C’est une avancée majeure dans le marché des boissons», estiment en chœur nos interlocuteurs, qui ont déjà établi le «forecast» de leur société jusqu’en 2027.

Histoire de perpétuer son esprit visionnaire et parce que le verre, vieux de 4000 ans, n’a jamais été perçu autant qu’aujourd’hui comme une matière d’avenir…


Une PME tournée vers le futur

Avec plus de 700 produits, Univerre vend chaque année 145 millions de contenants allant de 1 millilitre à 30 litres. A partir de 12 000 pièces, la PME offre la possibilité au client de créer sa propre forme de bouteille. Dès 2017, la société entame un virage digital et lance en 2018 un projet d’imprimante 3D sur verre avec l’EPFZ. En 2020, Univerre devient l’une des cinq entreprises dans le monde à ajouter l’impression digitale à ses services.

Christian Rappaz, journaliste
Christian Rappaz