«La Suisse bénéficie d’une tradition d’excellence en matière d’éducation. Dès les années 1950, les grandes familles du monde ont envoyé leurs enfants dans les écoles internationales du pays.» Pour Norbert Foerster, coprésident de la Fédération suisse des écoles privées – organisme qui assure un rôle de représentation et de défense des intérêts des écoles privées auprès des autorités fédérales –, l’attractivité éducative de la Suisse est une évidence. Mais, depuis quelques années, les établissements familiaux vivent une mutation: de grands groupes étrangers rachètent les écoles pour développer leurs activités sur le territoire.

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Pour Jérôme de Meyer, ancien directeur de l’école Beau Soleil à Villars-sur-Ollon (VD), «nous sommes aux prémices de modifications profondes sur le marché des écoles, qui n’est que partiellement consolidé. L’éducation, tout comme la santé ou l’environnement, représente un investissement éthique, ce qui est dans l’ère du temps. Enfin, aujourd’hui, le marché du travail recherche des profils atypiques. Dans ce contexte, les activités extrascolaires et les expériences pratiques que proposent les écoles privées peuvent faire la différence.»

1500 élèves à l'Ecole Moser

Pour Alain Moser, directeur de l’Ecole Moser à Genève, les autorités suisses devraient mieux traiter les écoles privées. «C’est le seul pays au monde où l’écolage privé ne peut pas être déduit des impôts. Notre pays doit prendre en compte l’impact social et économique des écoles privées sur la société, puisque c’est aussi grâce à nos cursus que nous attirons des familles et des entreprises dans la région.»

Alain Moser a repris en 2001 l’école qu’avait fondée son père quarante ans plus tôt. Premier établissement romand à proposer la maturité en français et en allemand, l’Ecole Moser accueille plus de 1500 élèves de la 5e primaire jusqu’au secondaire, dans ses campus de Genève, de Nyon et de Berlin, pour des frais de scolarité oscillant autour de 25 000 francs par année. L’entreprise compte 250 employés et réalise un chiffre d’affaires annuel de plus de 30 millions de francs. L’Ecole Moser vise aujourd’hui à agrandir ses locaux de Nyon et de Berlin, notamment parce qu’elle enregistre un surplus de demandes par rapport à ses capacités d’accueil: il faut aujourd’hui patienter deux ans sur liste d’attente avant de pouvoir intégrer l’école.

En 1991, Jérôme de Meyer a repris la direction du Collège Beau Soleil, qui appartenait à son père, en rachetant les parts de ses frères et sœurs. A l’âge de 27 ans, il dirige ainsi l’une des écoles privées les plus réputées de Suisse romande, avec un internat de 260 élèves aux frais d’écolage s’élevant à plus de 150 000 francs par année. En 2010, Jérôme de Meyer cède la gestion de son école au groupe anglais Nord Anglia Education et signe avec eux un contrat de location de son école d’une durée de vingt-cinq ans. Le groupe compte aujourd’hui 77 écoles dans 31 pays. En Suisse, il détient le Collège du Léman, l’école Champittet à Genève et à Pully (VD), La Côte International School à Aubonne (VD) et le Collège Alpin Beau Soleil à Villars (VD).

Pour Jérôme de Meyer, faire partie d’un groupe international permet des synergies intéressantes et des économies d’échelle. «Nous bénéficions de la mobilité de nos professeurs, et l’envergure du groupe apporte de plus grandes ressources, ce qui permet de conclure des partenariats avec, par exemple, le réputé Massachusetts Institute of Technology (MIT), la célèbre Juilliard School de New York (école d’art et de musique) ou encore l’Unicef pour les activités extrascolaires. L’inconvénient, en revanche, c’est que la marge de manœuvre du directeur de l’école est plus limitée puisqu’elle est encadrée et soumise à plus d’inertie.»

Difficile transmission

Pour Norbert Foerster, une des raisons principales des rachats des écoles privées est l’attrait de la Suisse sur le plan international: «Les grands groupes cherchent à s’implanter sur le territoire parce qu’il est devenu essentiel pour elles de proposer la Suisse dans leur catalogue d’écoles. Je regrette que les écoles familiales disparaissent, mais la concurrence et les exigences s’accroissent, notamment en matière d’infrastructure, ce qui complique la survie des petites structures.» Pour Jérôme de Meyer, désormais président de la section suisse de Nord Anglia Education, il est néanmoins essentiel que les groupes acquéreurs laissent à l’école rachetée son identité, son équipe de direction et consacrent une longue période à l’observation des pratiques en place.

Le difficile maintien du modèle de l’école familiale – qui souffre de la question de la transmission comme d’autres domaines – constitue la seconde grande raison des rachats successifs dans ce secteur pour Norbert Foerster. «Je regrette qu’aucun de mes enfants n’ait voulu reprendre l’école, déplore Jérôme de Meyer. La question de la succession et la volonté d’assurer une école pérenne sont les deux éléments principaux qui motivent les écoles familiales à intégrer un groupe.» 

Régulièrement approché par de grandes sociétés internationales, Alain Moser refuse pour sa part de vendre. «Les grands groupes cherchent surtout à se faire de l’argent, ils ne valorisent pas l’éducation. Ces rachats font perdre leur âme aux écoles suisses. J’espère que mes filles vont reprendre le flambeau, mais dans le cas où elles ne le souhaiteraient pas, j’œuvre à ce que, au minimum, elles puissent garder le contrôle de l’école.»