Alors que les partenariats privé-public bénéficient d’une vieille tradition, notamment dans les infrastructures ou le transport, cette cohabitation semble plus délicate dans d’autres secteurs. C’est le cas pour différents services, qu’il s’agisse par exemple de soins à domicile, de médecine ou de crèches.

Home Assistance est une entreprise lausannoise de soins à domicile qui emploie une soixantaine de collaborateurs. Comme l’ensemble des organisations privées de la branche, elle respecte la même convention collective que le personnel soignant du secteur public. Toutefois, selon son directeur, Yves Eckert, les prestataires privés (qui regroupent plus de 1200 employés dans le canton de Vaud) font face à une distorsion de la concurrence vis-à-vis de l’Etat.

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«Le problème est multiple, dit-il. D’abord, les services étatiques sont juges et parties, puisqu’ils édictent les lois qu’ils font appliquer à leurs propres exécutants. En outre, les hôpitaux publics ont tendance à privilégier les services publics de soins à domicile. Enfin, les prestations de l’Etat sont à la base les mêmes que les nôtres, mais elles coûtent plus cher aux contribuables. Selon une étude de l’Université de Bâle, les différences de tarifs horaires en Suisse dépassent 70%. Dans le canton de Vaud, où la part de marché des services publics atteint 85%, elles peuvent aller du simple au double.»

Comme les mêmes tarifs sont payés par les assureurs maladie et le canton qu’il s’agisse de prestations publiques ou privées, cette différence de coût horaire est financée au moyen d’enveloppes budgétaires, de subventions et de financements croisés. Pour Yves Eckert, le seul mandat de service public n’explique pas une telle différence de coût: «Globalement, afin d’atteindre le seuil de rentabilité et de pouvoir rester performants, les acteurs privés sont souvent bien plus modestes dans le choix de leurs bureaux, des véhicules utilisés ou de leurs investissements marketing et s’efforcent de contenir à un niveau bien moindre leurs coûts administratifs pour rester économiquement efficients.»

Jouer la carte du partenariat 

Cette question de la différence de l’efficience dans les dépenses et dans l’organisation se pose également entre les cliniques privées et les hôpitaux publics. Avec inévitablement la problématique sous-jacente du subventionnement. «Il est clair que les hôpitaux publics remplissent certaines missions de santé publique que nous ne couvrons pas, souligne Inka Moritz, directrice des deux cliniques lausannoises Cecil et Bois-Cerf du groupe Hirslanden, qui a travaillé auparavant durant dix ans au CHUV.

Cependant, il serait judicieux de se pencher de manière plus précise sur ce qui relève ou non de ces missions et, surtout, avec quels moyens celles-ci sont accomplies. Et pourquoi pas de reconnaître des missions actuelles des cliniques, telles que les urgences H24, ou d’autres à envisager, comme la formation postgraduée médicale dans certaines spécialités.»

Au-delà des inégalités en matière de subventions, elle questionne également l’existence de quotas au-dessus desquels l’Etat ne couvre plus l’hospitalisation de patients au bénéfice de l’assurance de base dans les cliniques privées. «Il y a une forme de protectionnisme, alors que l’on pourrait davantage jouer la carte du partenariat, à l’image de ce qui a été fait durant la crise sanitaire», résume-t-elle.

Barèmes salariaux 

Autre domaine: les crèches privées. Kristina Babina a lancé en 2018 sa société TotUp. Elle compte aujourd’hui trois établissements entre Genève et Vaud regroupant 145 places et prévoit d’ouvrir, d’ici à l’année prochaine, trois crèches supplémentaires, totalisant 250 places. Mais dans le canton de Genève, les crèches privées sont depuis peu obligées d’adapter leurs barèmes salariaux à ceux en vigueur dans le public.

Pour la PME, qui emploie 60 personnes, une hausse systématique de salaires représenterait une somme dépassant très vite 100 000 francs par année. «Sans subventions, il est impossible pour une entreprise comme la nôtre de s’aligner, souligne l’entrepreneuse. Nos tarifs sont compris entre 135 et 190 francs par jour. Nous ne pouvons pas les augmenter davantage. D’autant que notre masse salariale représente 75% de nos recettes.»

En appliquant la mesure, elle devrait mettre la clé sous la porte en quelques mois. Pour preuve, elle a déjà reçu deux demandes de rachat de la part d’autres crèches ayant fait faillite après avoir mis en œuvre la nouvelle règle. Si nécessaire, elle compte aller jusqu’au Tribunal fédéral: «Je suis confiante. Selon mes avocats, cette décision va à l’encontre de la liberté du commerce. C’est surprenant, car à Fribourg, par exemple, les autorités ont choisi de collaborer avec le privé et cela se passe très bien.»

Besoin et demande

«Nous ne répondons pas à une demande, mais à un besoin, relève pour sa part Gianni Saitta, directeur des finances de l’Association vaudoise d’aide et de soins à domicile (AVASAD), qui chapeaute les centres médicosociaux vaudois. Contrairement aux privés, nous ne sommes pas actifs sur des marchés de niche. Nous avons l’obligation de prendre en charge nos clients, ce qui peut nous amener à nous déplacer plusieurs fois par jour chez une même personne pour des motifs sociaux, de santé ou pour y faire le ménage.»

Cela expliquerait en partie les différences de coûts horaires observées par les acteurs du privé – selon l’AVASAD, ces dernières ne peuvent être confirmées, faute de données harmonisées au sein du secteur privé. «L’évaluation des besoins et des prestations à fournir nous amène à réaliser moins d’heures en moyenne pour chaque client, ajoute-t-il. En outre, notre travail inclut toute une dimension liée à la prévention afin que les personnes restent autonomes le plus longtemps possible. Ce qui implique finalement des économies pour l’ensemble de la société.»

En ce qui concerne les crèches, le canton de Genève renvoie à la loi sur l’accueil préscolaire entrée en vigueur le 1er janvier 2020 et note qu’il existe des formes de partenariats privé-public où des places, mises à disposition par des structures privées, sont louées par des communes ou des entreprises. 

En Suisse, les subventions permettent aux crèches publiques de proposer des tarifs plus bas pour les familles à revenu modeste. Le Parti socialiste vient par ailleurs de lancer une initiative exigeant que les cantons proposent une offre suffisante en matière d’accueil extra-familial des enfants. La participation des parents ne devrait pas dépasser 10% de leurs revenus et la Confédération prendrait en charge deux tiers des coûts.

Précisons pour terminer que la plupart de ces situations de distorsions de la concurrence entre acteurs privés et publics reposent sur des bases légales. Dès lors, un organisme tel que la Comco ne peut agir autrement que sous la forme de recommandations.

 

William Türler
William Türler