«De 2000 à 2050, nous devrons produire autant de nourriture pour alimenter les habitants de notre planète que ce que l’ensemble de l’humanité a produit jusqu’à aujourd’hui. Il est impératif de trouver des solutions pérennes aux nombreux défis qui nous attendent en matière d’alimentation et d’agriculture.» Directeur de l’Agropôle, campus consacré à l’innovation dans le domaine de l’agrifood tech basé à Molondin (VD), Alain Schacher souhaite connecter les acteurs de l’agroalimentaire afin d’accélérer leur mise sur le marché et mettre en place la nutrition durable de demain (lire encadré).

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Parmi la dizaine de sociétés locataires présentes sur le site vaudois se trouve CleanGreens, une scale-up qui propose une solution unique en matière d’aéroponie mobile. Plus précisément, elle a mis au point un système innovant de culture en serre de salades et d’herbes aromatiques hors sol. Alignées sur un support, ces dernières sont suspendues dans le vide sur des lignes de production pouvant faire jusqu’à 80 mètres de long. Un robot leur vaporise de manière permanente les racines avec une solution nutritive.

Nombreux avantages

«Les avantages sont nombreux, souligne le CEO, Bruno Cheval. Cette technologie demande moins de surface et de main-d’œuvre, limite les déchets, réduit les incertitudes liées au climat et permet plus de proximité avec les consommateurs.» Par rapport aux cultures traditionnelles, la productivité est multipliée par un facteur de 30 à 35. Pour donner un ordre de grandeur, concernant les salades, on peut passer en moyenne de 30 à 1000 tonnes produites par année et par hectare.

Au préalable, il faut compter avec un investissement de plusieurs millions de francs comprenant la serre, un régulateur de climat, des luminaires et le système de vaporisation robotisé. «Selon le type de culture, il est possible de rentabiliser l’achat en six ans pour les herbes aromatiques, un peu plus pour les salades en fonction du lieu d’implémentation de la serre», estime Bruno Cheval.

Fondée en 2013 sous le nom de CombaGroup, la société a commencé la commercialisation de ses installations il y a quatre ans. Aujourd’hui, sa clientèle potentielle se divise en trois catégories: les agriculteurs sensibles aux innovations, les distributeurs et les investisseurs extérieurs au monde de l’agriculture.

CleanGreens, qui compte une vingtaine de collaborateurs, envisage d’étendre prochainement ses activités à d’autres aliments tels que les baies. A ce jour, elle a vendu plusieurs systèmes et en produit actuellement deux en France et au Koweït avec des partenaires locaux. «Les pays moyen-orientaux importent près de 80% de leur nourriture, notamment d’Europe et des Etats-Unis, ils sont donc particulièrement demandeurs de solutions leur permettant de garantir leur indépendance alimentaire», relève Bruno Cheval.

Prix plus élevés

Maraîcher au Domaine des Mattines, à Perly (GE), Jeremy Blondin utilise ce système depuis septembre 2020 sur une surface d’essai de 300 m2. «Nous cherchons en permanence des solutions pour produire mieux. Lorsque nous avons appris que, en Suisse, il y avait un système de culture aéroponique, nous avons immédiatement pris contact.» La première chose qui l’a «bluffé» était la qualité des salades, des feuilles très croquantes et du volume, ce qui n’est pas possible, selon lui, avec l’hydroponie (culture réalisée dans des gouttières avec une solution nutritive circulante). Il confirme que l’aéroponie permet de réduire l’emprise au sol et libère de la surface agricole pour d’autres cultures ou espaces de développement de la biodiversité.

«Nous produisons douze mois par année de manière régulière, les salades sont toujours propres et les récoltes se réalisent de façon ergonomique: nous n’avons plus besoin de nous baisser. De plus, nous économisons drastiquement la quantité d’eau nécessaire grâce au circuit fermé et à la possibilité de cultiver sans traitement.»

Si les aliments produits de cette manière sont de bonne qualité (ils proviennent d’un circuit court et ne nécessitent pas de pesticides), ils coûtent en moyenne entre 20 et 30% de plus que les variétés traditionnelles. Quelques centimes de différence que Jeremy Blondin n’arrive pas encore à répercuter auprès d’une partie de sa clientèle: «Nous nous trouvons entre les cultures classiques et le bio en cumulant le meilleur des deux mondes, mais il est parfois difficile de trouver une place pour ces produits dans la grande distribution.»

Développements en vue à l’Agropôle

Récemment nommé huitième technopôle du canton de Vaud, seul actif dans la foodtech et l’agritech, l’Agropôle prévoit à terme de s’agrandir grâce à quatre nouveaux bâtiments. «Le chantier débutera dès que la signature avec l’investisseur suisse sera finalisée, le permis de construire est en force et n’a pas rencontré d’opposition», se réjouit le directeur, Alain Schacher. Dans ces futurs espaces, on trouvera des infrastructures industrielles, des ateliers tels qu’une chocolaterie, une brasserie, un laboratoire et une serre de R&D, ainsi que des espaces de coworking et des bureaux.

William Türler
William Türler