La Confédération a-t-elle une feuille de route pour accélérer la transition énergétique, en particulier en matière de main-d’œuvre?

Guy Parmelin: C’est un thème prioritaire pour mon département. Le Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation (Sefri) veille à ce que les organisations professionnelles adaptent constamment les cursus d’apprentissage aux besoins des entreprises et de la société. Il a notamment développé un guide qui permet aux partenaires de la formation professionnelle de s’assurer que leurs plans de formation respectent les critères de la durabilité. Par ailleurs, un grand nombre de programmes de recherche, financés par la Confédération, livrent les bases de connaissances indispensables pour accompagner et encadrer la transition énergétique.

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Combien d’entreprises sont-elles actuellement engagées dans les métiers de la transition en Suisse et combien celles-ci emploient-elles de personnes?

A ma connaissance, il n’existe pas d’évaluation qui donne une réponse précise à votre question. C’est d’ailleurs difficile de définir ce qu’est un métier «vert». Tous les métiers doivent s’adapter aux évolutions en cours. Historiquement, l’économie suisse a toujours réussi ses transitions technologiques. Je pense qu’il n’en ira pas différemment avec celles que nous vivons maintenant, qu’elles soient énergétiques, écologiques ou numériques. C’est possible grâce à notre économie libérale, à la flexibilité de notre marché du travail, à notre tradition du dialogue social et à l’excellence de notre formation et de notre formation continue.

On parle d’un CFC d’installateur solaire. Quand deviendra-t-il officiel et de quelle durée sera la formation?

La question est en discussion. C’est l’économie qui définit les nouvelles professions. Elle seule sait quelles sont les qualifications et les compétences qui sont requises. Les organisations professionnelles peuvent présenter au Sefri une demande pour la création d’une telle filière professionnelle si le besoin est avéré. Celui-ci assure la coordination entre les différentes filières et veille à éviter les doublons: il s’agit d’utiliser autant que possible les ressources qui existent déjà. Dans le cas de l’installateur solaire, une demande formelle pourrait être soumise cette année encore.

La Confédération envisage-t-elle de faciliter l’intégration de main-d’œuvre étrangère afin de pouvoir accélérer les choses?

Grâce à la libre circulation des personnes avec l’Union européenne, la Suisse dispose de la main-d’œuvre spécialisée dont elle a besoin. Pour certains profils hautement qualifiés, pour lesquels on ne trouve personne en Suisse, dans l’UE ou l’AELE, on peut recourir à des ressortissants de pays tiers. Des contingents sont fixés par le Conseil fédéral et peuvent être adaptés si le besoin s’en fait sentir. Les conditions de salaire et de travail doivent évidemment être respectées. En réponse à un postulat du conseiller national Philippe Nantermod, le Conseil fédéral fera l’analyse du système de contingentement actuel et présentera éventuellement des propositions pour l’améliorer.

Beaucoup de PME renoncent à former tout ou partie de leur personnel aux nouvelles technologies pour des questions de coût et de disponibilité du personnel. La Confédération envisage-t-elle de les soutenir financièrement pour les aider à faire le pas?

L’objectif du Conseil fédéral est de favoriser la main-d’œuvre qui se trouve déjà dans le pays. Nous avons ainsi adopté un train de mesures qui améliorent les perspectives professionnelles des travailleurs en Suisse. L’offre en matière de formation continue est très vaste dans notre pays. La plus grande difficulté pour les PME, c’est d’identifier quels sont leurs besoins et quelle formation les remplit le mieux. Pour aider les PME, le Sefri offre un programme de coaching en formation continue. Mais les entreprises doivent aussi prendre leurs responsabilités: elles sont les seules à même de savoir de quels spécialistes elles auront besoin demain. Economiser dans la formation, c’est renoncer au futur.

Que répondez-vous aux gens qui disent «l’argent est là, les technologies existent mais il manque la volonté politique»? A l’aune du Protocole de Kyoto, que la Suisse a signé en 1995, cela semble difficile de contester ce reproche, non?

Fixer des objectifs est une chose. Les mettre en œuvre en est une autre. Si on a perdu du temps, c’est sans doute dans les années 1990. La population n’avait pas encore totalement réalisé ce qui se passait dans notre environnement. Aujourd’hui, je pense que la prise de conscience a eu lieu, en particulier parmi les jeunes. Tous les éléments sont aujourd’hui en place pour que les prises de décisions s’accélèrent.

Avec les problèmes énergétiques qui se profilent, l’économie helvétique est-elle en danger?

L’augmentation du prix de l’énergie amplifiée par le conflit en Ukraine crée de nouvelles incertitudes qui se répercutent sur les ménages et les entreprises. Beaucoup de choses vont dépendre de l’évolution de la situation internationale et des répercussions du conflit en Ukraine (inflation, risque de récession, etc.). Je suis cependant convaincu que la Suisse est capable de réussir sa transition énergétique. Elle a tous les atouts pour cela. Mais il faut peut-être un peu moins d’idéologie et un peu plus de pragmatisme pour y parvenir.

Estimez-vous que l’économie suisse en général a trop tardé à réagir aux problèmes énergétiques qui nous préoccupent aujourd’hui?

Regardons d’abord du côté de la consommation: au cours des vingt dernières années, des progrès considérables ont été réalisés dans l’ensemble de l’économie en matière de réduction de la consommation d’énergie et des émissions de CO2. L’efficacité énergétique a toujours été un sujet d’actualité, en particulier pour les entreprises à forte consommation d’énergie. Ces efforts ont également été soutenus par la législation, qui permet à ces entreprises de se faire rembourser la taxe sur le CO2 et le supplément réseau pour l’électricité si elles réduisent en contrepartie leur consommation d’énergie. Du côté des ménages, les choses vont également dans la bonne direction: les appareils électriques sont de moins en moins gourmands alors que l’utilisation des pompes à chaleur et des véhicules électriques se répand. Grâce au boom du photovoltaïque, la production suisse d’électricité solaire peut tout de même couvrir aujourd’hui environ 6% de nos besoins en électricité. Cela étant, il faut des procédures d’autorisation plus rapides et plus légères pour faciliter les investissements.

La Suisse paie chaque année 15 milliards de francs à des fournisseurs d’énergies fossiles étrangers. Au-delà de l’indépendance énergétique, notre économie ne serait-elle pas la première gagnante à garder une bonne partie de cet argent dans notre pays?

La Suisse est un petit pays ouvert sur le monde, et les échanges commerciaux, de manière générale, ont contribué à notre prospérité. Cela vaut également pour les importations d’énergie. Il ne faut pas le renier. Mais les temps changent. Il est aujourd’hui clair que le développement d’énergies renouvelables en Suisse, ainsi qu’une meilleure efficacité énergétique, ne permet pas seulement de remplir nos objectifs climatiques, mais aussi de relancer l’innovation, de créer de nouveaux emplois, de réduire notre facture d’électricité et – élément important sur fond de conflit avec la Russie – de diminuer notre dépendance de l’étranger et d’améliorer ainsi la sécurité de notre approvisionnement.

Avec le retard pris, ne craignez-vous pas que la Suisse rate le virage de sa transition énergétique?

Non, la tendance va vraiment dans la bonne direction. Que ce soit au niveau de la consommation ou de la production. Mais il faut aller plus vite. Cela vaut aussi pour l’extension et la transformation des réseaux électriques, qui sont sans cesse retardées par des oppositions. Enfin, le mot d’ordre est: innovation, innovation et encore une fois innovation.

Ne pensez-vous pas que notre pays et son économie subissent actuellement une sorte d’effet boomerang des sanctions prises à l’égard de la Russie?

Tout d’abord il faut souligner que l’agression de la Russie contre l’Ukraine est une violation crasse du droit international public, ce qui est absolument inacceptable. En reprenant les sanctions de l’UE, la Suisse manifeste clairement son attachement au respect du droit international, avec naturellement les conséquences qui en résultent. Les liens commerciaux entre la Suisse et la Russie étaient déjà très faibles avant la guerre en Ukraine. Les sanctions ont donc un effet limité sur notre économie, même si certaines entreprises en souffrent sans doute plus que d’autres. Le principal problème, c’est la question de l’approvisionnement en énergie. En ce qui concerne le pétrole, des alternatives existent. Le gaz pose plus de problèmes en raison de la rigidité des infrastructures. Mais je suis persuadé que la Suisse est en mesure d’affronter cette crise.

Christian Rappaz, journaliste
Christian Rappaz