Au premier regard, il y a sa couleur intense, des nuances de vert, teinté de bleu et de brun. Bactérie ou plante, selon l’espèce sélectionnée, l’algue intéresse ces dernières années de nombreux chercheurs en raison de ses multiples vertus: aliment pour les humains et les animaux, cet organisme aquatique qui se développe par photosynthèse peut, par exemple, être utilisé comme pigment coloré naturel, pour le stockage de dioxyde de carbone et comme filtre pour l’eau. Sa structure fibreuse et souple est également utilisée pour la création de plastiques biosourcés et de films protecteurs.

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Cette dernière innovation est ainsi à l’origine des boules de café biodégradables de CoffeeB, développées par Migros. Elles sont enveloppées d’une pellicule d’algues laminaires, algues brunes du nord de la France. On le voit, les projets fourmillent, les attentes aussi (lire encadré).

Dans ses bassins de Payerne, Nataliya Robert cultive de la spiruline, une cyanobactérie souvent appelée algue bleue. L’entrepreneuse de bientôt 50 ans, ancienne analyste financière à la BCV et chez Debiopharm, se consacre aujourd’hui exclusivement à cette microalgue comestible que l’OMS a identifiée comme «meilleur aliment pour l’humanité au XXIe siècle». Elle a fondé sa société, MaSpiruline, en 2019.

«La cyanobactérie, qui a 3,5 milliards d’années, est responsable de la production de l’oxygène sur Terre. Sans elle, nous ne serions pas là! Cultiver l’algue bleue permet d’absorber le CO2, nécessite un espace restreint, peu d’eau puisqu’on travaille en circuit fermé, et peu d’électricité en ce qui concerne la spiruline paysanne. Elle ne nécessite, de plus, aucune cuisson», explique Nataliya Robert.

Quatre bassins

La Vaudoise a repris une serre agricole à l’abandon pour y installer quatre bassins peu profonds, sur 500 m². «J’ai fait des tests à partir de 2017, dans mon jardin, pour savoir comment la spiruline se comporte sous nos latitudes. Elle préfère les climats chauds, mais j’ai prouvé qu’on peut cultiver la spiruline à Payerne sans chauffer les serres. Je ne suis pas la seule», poursuit-elle, se réjouissant du développement de cette ressource. 

Comme le spirulinier des Petits Prés en Ajoie, pionnier en Suisse romande, Spiruline SwissMade, à Lonay, avec 700 m² de culture. En Valais, Plein’R a suivi l’élan et remporté le Prix Créateurs 2021 de la BCVs pour les produits innovants. A Bienne, un bassin a vu le jour dans l’enceinte de l’ancien stade de football de la Gurzelen et des formations y sont données.

En France, la Fédération des spiruliniers (FSF) a doublé ses effectifs en cinq ans et compte 170 membres, dont MaSpiruline, seule adhérente helvétique. Principal producteur en Europe, la France estime sa production à 80 tonnes en 2022 pour un chiffre d’affaires de 16 millions d’euros. «Le marché mondial de la spiruline représentait 346 millions de dollars en 2018 et affiche une croissance de 11% par an», estime le spécialiste des études de marché Allied Market Research. Chine, Inde et Etats-Unis sont les premiers producteurs.

En Suisse, l’activité se développe discrètement un peu partout, y compris en ville. Une ferme urbaine à spiruline, Spiruline plus (S+), a vu le jour récemment à la rue du Rhône 114 à Genève, dans un parking souterrain. Il s’agit de spiruline élevée en photobioréacteur et dont le rendement est cinq à huit fois supérieur à celui de la spiruline paysanne et saisonnière. Mais sa consommation en électricité est également plus importante.

Un modèle loin de la réalité de Nataliya Robert, qui presse manuellement son or vert pour en extraire l’eau qui sera réinjectée ensuite dans ses bassins. «Je vise l’autonomie, précise-t-elle. Je dépends de la chaleur du soleil pour mon eau qui ne doit pas descendre sous les 20°C. Je produis pendant six mois, si la météo est estivale, près de 300 kilos de spiruline paysanne bio par an, résume-t-elle. Je la sèche à basse température, à 40°C, contre 200°C pour certains industriels. C’est important pour conserver les vitamines.»

300 francs le kilo

Epiceries fines, thérapeutes, traiteurs haut de gamme, restaurants véganes (L’Ec(h)o à Lausanne) ou gastronomiques, tel l’Hôtel de la Gare à Lucens et ses 17 points au GaultMillau, font partie de sa clientèle. «Avec le kilo qui se vend aux alentours de 300 francs, on peut vivre de cette activité, même si cela reste modeste. Il faut encore faire connaître la spiruline comme un aliment et non seulement comme un médicament», poursuit-elle. Pour cela, en hiver, elle produit avec des partenaires locaux des bouchées aux fruits secs et spiruline, du chocolat, des jus à la spiruline ou des cosmétiques tels que des shampoings ou des crèmes.

Adepte des circuits courts, Nataliya Robert effectue les tests bactériologiques de sa spiruline à proximité, au laboratoire de Moudon – à vélo la plupart du temps. Ce qui lui coûte 180 francs, alors que si elle envoyait ses échantillons en France, elle débourserait 39 euros. «J’ai travaillé dans le domaine de la finance, alors bien sûr, je fais attention aux chiffres, explique-t-elle. La croissance est là, de l’ordre de 20%. La concurrence? Je préfère parler plutôt de collègues, car plus on connaîtra la spiruline, mieux ce sera pour tout le monde et pour la planète.»

Depuis l'Antiquité

Consommée depuis l’Antiquité, la spiruline a été utilisée au XXe siècle pour soigner les populations souffrant de malnutrition. Aujourd’hui, sportifs, astronautes et véganes la consomment pour booster leurs performances. Le marché a suivi cet intérêt. Antioxydant riche en fer (65% de protéines), l’algue bleue contient de la phycocyanine qui inhiberait le développement de certaines maladies telles que le cancer, selon plusieurs études. Digeste, anti-inflammatoire, antifatigue, coupe-faim, super-vitaminée, elle semble avoir toutes les qualités.

Et pour ne rien gâcher, son rendement en protéines explose les statistiques: 50 tonnes à l’hectare par an pour la spiruline contre 160 kilos à l’hectare par an pour la viande de bœuf, et cela avec une consommation d’eau 40 fois inférieure. Pas étonnant qu’en France plusieurs agriculteurs ont diversifié leur activité en cultivant de la spiruline.

Pour cette raison, cette ressource miracle fait déjà partie de la conquête de l’espace. A Nyon, Beyond Gravity, du groupe Ruag, travaille avec la Station spatiale internationale (ISS) sur «des photobioréacteurs remplis de spiruline et permettant de régénérer l’oxygène en condition de survie», précise Clemens Gähwiler, porte-parole de Beyond Gravity. La microalgue servait déjà de nutriment aux astronautes. Elle purifie désormais l’air de l’habitacle.

Un troisième axe viserait à l’utiliser dans la fabrication d’objets pour des besoins spatiaux. La poudre d’alginate est en effet l’un des composants utilisés par les imprimantes en 3D. Encore un débouché prometteur.

Les projets du futur

Filtre à eau. «Nous avons effectué un test très prometteur avec des microalgues, ceci avec l’Institut de génie thermique (IGT) d’Yverdon. Il s’agissait de purifier l’eau de rejet des bassins, et notamment le phosphate, grâce aux microalgues. Maintenant, nous devons voir si c’est rentable. La création de bioplastiques pour le packaging ou la revente à la pharma sont des pistes», explique Beat von Siebenthal, responsable de la R&D de l’écloserie de perches de Percitech à Chavornay.

Colorant naturel. L’IGT a travaillé avec l’Université de Tunis sur l’utilisation des microalgues comme teintures naturelles. Elles permettent de renoncer à la pétrochimie et de réduire les besoins en eau lors du procédé. La marque britannique de vêtements Vollebak privilégie déjà un pigment biodégradable dérivé de la spiruline.

Batterie. Des chercheurs de l’Université de Cambridge ont réalisé une pile à base d’algues bleues. «Grâce à la photosynthèse, les algues ont généré l’équivalent de 0,3 microwatt/heure», soulignent-ils. Une énergie suffisante pour alimenter un ordinateur.

Confiserie. Nestlé plancherait sur la construction d’une ferme à spiruline. Une information non confirmée par le groupe. L’un des porte-paroles signale cependant: «Nous utilisons la spiruline comme ingrédient, par exemple comme colorant naturel dans les Smarties, et comme ingrédient dans certains produits alimentaires pour animaux.»

TB
Tiphaine Bühler