Rand Hindi a été ce que l’on peut appeler un enfant précoce. Il a commencé à coder à l’âge de 10 ans, fondé un réseau social à 14 ans et une agence web à 15 ans avant de se lancer dans le machine learning trois ans plus tard, puis d’entamer un doctorat en bio-informatique à 21 ans. Il a ensuite créé Snips, une start-up spécialisée dans l’intelligence artificielle (IA) qui a été rachetée par Sonos pour 40 millions de dollars et équipe désormais l’assistant vocal de plus de 20 millions d’appareils.

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Désigné par la MIT Technology Review et par Forbes comme l’un des jeunes innovateurs les plus influents du monde, il a ensuite lancé Zama, une entreprise de cryptage homomorphe, qui permet l’analyse de données sans déchiffrement et qui a levé 50 millions de dollars en deux ans. Il investit par ailleurs dans une cinquantaine d’entreprises actives dans la vie privée, l’IA, la blockchain, les technologies médicales et les psychédéliques.

Nous nous rencontrons à l’EPFL, dans le cadre d’une conférence organisée par la BCV sur l’intelligence artificielle. Quels sont, selon vous, les principaux enjeux auxquels seront confrontées les PME dans ce domaine dans les années à venir?

Rand Handi: Cela fait environ 70 ans qu’on essaie de faire fonctionner l’intelligence artificielle, ce n’est pas nouveau. Pendant longtemps, il a été difficile de s’en servir d’un point de vue pratique. La grosse révolution a eu lieu il y a une dizaine d’années avec le deep learning, qui a permis d’apprendre aux machines à faire des choses beaucoup plus compliquées. Aujourd’hui, les entreprises peuvent l’utiliser à de multiples niveaux, par exemple dans le cadre de campagnes pour générer du contenu créatif. Au-delà d’automatiser des emplois existants, l’IA permet de décupler les facultés des gens au sein des entreprises en leur donnant un nouvel outil de productivité, au même titre que l’informatique auparavant.

On évoque parfois les dangers liés à la généralisation de cette technologie dans notre vie quotidienne. Quel est votre point de vue à ce sujet?

Je pense à trois grands dangers. Le premier concerne la vie privée. Lorsque l’on veut que l’IA apprenne quelque chose, on doit lui donner des exemples, des datas, qui sont souvent personnels. Le deuxième touche à l’authenticité du contenu. Les deepfakes sont devenus tellement performants que l’on ne peut plus être sûr que ce que l’on voit est réel. Le troisième grand risque est d’ordre éthique. Quelqu’un pourrait se servir de cette technologie à des fins néfastes. Toutes les innovations qui ont eu des impacts positifs ont également été utilisées comme des armes.

L’analyse des données est à la base de ce que l’on nomme l’intelligence artificielle contextuelle, qui fonctionne grâce à des recoupements de nos activités en ligne ou par géolocalisation. Comment assurer dans ce contexte une protection adéquate de nos données?

Avec Zama, nous nous focalisons sur le chiffrement homomorphe, qui permet de faire des calculs sur des données sans les déchiffrer, à l’aveugle. Au lieu d’envoyer la data telle quelle à un ordinateur, on lui envoie une donnée cryptée. Sans la clé, elle est incompréhensible. On n’a donc plus besoin de se soucier de qui a accès à la machine effectuant le calcul, en d’autres termes au serveur dans le cloud. Il n’y a plus de problème de surveillance ou de vol de données.

Pour sa part, le privacy by design permet de créer des produits de telle sorte que les questions de vie privée ne se posent plus. Chez Snips, nous faisions tout directement dans l’objet. Il s’agissait d’assistants vocaux. Au lieu d’envoyer la voix dans le cloud, nous l’analysions localement dans l’objet avec lequel nous interagissions. Cela évitait que quelqu’un puisse écouter. Grâce à Zama, on pourrait envoyer la voix dans le cloud, mais cryptée, donc on n’aurait plus besoin de le faire localement dans l’objet. En fait, le privacy by design est davantage un principe qu’une technologie.

Quels sont les métiers ou les secteurs d’activité les plus menacés par cette évolution et lesquels vont le plus en bénéficier?

Il faut voir l’IA comme la continuité de l’informatique. S’il y a une raison économique ou sociétale pour automatiser des métiers, on le fera. Il y a des choses qu’on pourrait déjà automatiser, mais on ne le fait pas, car on aime les effectuer, comme faire la cuisine. Ou faire des maths; personnellement, j’adore ça et je n’ai pas envie qu’un robot le fasse à ma place. En France, seuls 10% des métiers vont être automatisés, 40% ne vont pas changer en raison de leur forte composante humaine et émotionnelle et, dans 50% des professions, on n’automatisera qu’une partie des tâches, avec toujours un humain derrière qui donnera les impulsions de départ.

Un scénario dystopique selon lequel les machines ou les objets qui nous entourent pourraient nous dominer n’est donc pas à l’ordre du jour, selon vous.

L’humain choisit ce que la machine va faire. Elle pourra le faire mieux, mais ce sera toujours l’humain qui décidera. Prenons l’exemple de la finance. Lorsque j’ai fait mon doctorat, il y a une quinzaine d’années, j’ai été consultant pour des fonds d’investissement qui voulaient automatiser les stratégies d’achat et de vente d’actions sur le marché. Trois ans plus tard, 90% des traders dans les banques à Londres avaient été remplacés par des IA. Les designers sont l’exemple typique du métier qui sera hybride dans le futur. On ne va jamais remplacer le directeur artistique; par contre, on pourra remplacer l’exécution fois mille d’une photo ou d’une illustration selon une thématique donnée. Il en va de même pour les médecins, qui n’ont plus le temps de gérer le flux grandissant des demandes qu’on leur adresse.

Quelles sont les limites de l’intelligence artificielle?

Les limites sont atteintes dès que l’on touche à l’intelligence émotionnelle. La discussion que nous avons en ce moment est un bon exemple. Une IA serait en mesure de répondre à vos questions, mais de manière encyclopédique. Elle ne serait pas capable d’avoir une conversation, ni de résoudre des paradoxes ou de comprendre l’ironie. S’il n’y a pas de solution logique à un problème, elle ne peut pas le résoudre. C’est ce qui arrive à une voiture automatisée qui reste piégée lorsque l’on dessine un cercle au sol avec à l’extérieur une ligne pointillée et une ligne continue à l’intérieur.

Vous avez vendu votre start-up Snips pour 40 millions de dollars à Sonos en 2019, à l’âge de 34 ans. Quel impact cela a-t-il eu sur l’évolution de votre carrière?

Une semaine après avoir vendu Snips, j’ai monté ma nouvelle boîte, Zama. Cela faisait longtemps que je voulais travailler sur le chiffrement de la vie privée. C’est plus facile la deuxième fois, on sait ce qui marche et ce qui ne marche pas. On va droit au but. Je me suis aussi retrouvé avec du capital pour investir dans des projets qui me passionnent, qui sont difficiles à mener à terme, mais dont l’impact pourrait être énorme et que je ne développe pas en tant qu’entrepreneur.

En tant qu’investisseur deeptech, quels sont les secteurs qui vous intéressent en particulier?

Il n’y a pas longtemps, j’ai investi dans Corintis, une start-up de l’EPFL qui réalise des systèmes de refroidissement pour les puces électroniques. J’investis dans tout ce qui touche aux semi-conducteurs, à l’informatique quantique, à la blockchain, à l’IA et aux technologies médicales modernes, notamment en lien avec la santé mentale. Il y a une vraie crise mondiale dans ce domaine. Aux Etats-Unis, un jeune sur quatre a pensé à se suicider dans les six derniers mois. Aujourd’hui, les psychédéliques y sont autorisés comme traitements antidépresseurs avec des résultats incroyables. J’ai moi-même connu des phases où je me sentais très mal. J’ai découvert ce type de thérapies et elles ont changé ma vie.

Vous avez pris 35 kilos dans le cadre d’un projet lié à la nutrition, il y a quelques années. Pourriez-vous nous expliquer cette démarche, pour le moins radicale?

J’aime bien faire des expériences (rires). Je me suis aperçu à l’époque où je faisais mon doctorat que personne n’était d’accord en matière de nutrition. Je me suis dit que tout le monde avait peut-être raison, mais pour des gens différents. Je suis parti sur l’idée de la personnalisation de la nutrition, afin que les gens n’aient pas besoin de faire beaucoup d’efforts pour rester en forme. Ma stratégie a consisté à utiliser l’IA en mesurant tout ce que je mangeais pour voir ce qui était bon ou mauvais pour mon organisme. Comme j’étais mince, personne n’allait me croire. Il fallait donc que je le montre par l’exemple. C’est pourquoi j’ai pris 35 kilos. Cela m’a pris un an et demi. C’était comme un régime inversé. Je devais parfois me forcer à manger un burger avant d’aller me coucher… Malheureusement, en 2011, les gens n’étaient pas encore prêts pour l’IA. J’ai donc laissé tomber ce projet et je me suis par la suite tourné vers Snips, avec cette même philosophie de collecte et d’analyse des données.

 

 

 

 

Bio express
  • 2013 Après un doctorat en bio-informatique à l’Université de Londres, il cofonde la start-up Snips, spécialisée dans les interfaces vocales des objets connectés.
  • 2019 Vente de Snips à l’américaine Sonos, qui fabrique des haut-parleurs. La start-up comptait alors une centaine d’employés.
  • 2020 Fondation de Zama, qui compte aujourd’hui une cinquantaine de collaborateurs, dont une partie à Paris.
William Türler
William Türler