Plus d’un Suisse sur dix réside à l’étranger, une tendance qui n’a cessé de s’accentuer ces dernières années. Et si une bonne partie des 788'000 expatriés recensés par l’Office fédéral de la statistique en 2021 s’est installée en Europe, la diaspora suisse s’aventure de plus en plus loin autour du monde pour y faire des études, fonder une famille, rejoindre un grand groupe ou créer une entreprise. Quelles sont les motivations de ces expatriés? Pourquoi sont-ils partis pour satisfaire leur envie d’entreprendre? Quelles difficultés ont-ils rencontrées? De Los Angeles à Hongkong en passant par Singapour, trois entrepreneurs suisses racontent leur expérience d’exilés volontaires.

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Raphael Dana: Trouver les bons marchés

Né en France, ayant grandi à Genève et parti étudier aux Etats-Unis, le Franco-Suisse Raphael Dana a toujours eu un goût instinctif pour l’aventure entrepreneuriale qui a commencé à Genève avec la création d’une agence web, puis celle d’un groupe de presse autour du magazine économique Market. Un tour du monde plus tard, convaincu que l’avenir du marché mondial ne se situe plus en Europe ou aux Etats-Unis, Raphael Dana pose ses valises à Singapour pour y proposer ses services aux start-up qui cherchent à s’implanter dans les marchés asiatiques émergents. «Travailler en Asie revient à renverser complètement la logique à laquelle on est habitué en Suisse. La nature du marché est complètement différente: au lieu de concevoir des produits ou des services réservés à un petit nombre de personnes, on s’adresse à des dizaines de millions de consommateurs pour en tirer autant de micro-profits.» Mais la nationalité helvétique s’avère un atout: «La Suisse est un pays très aimé, respecté pour sa neutralité. Cela permet de tisser des premiers liens.»

Quelques années plus tard, une nouvelle intuition amène Raphael Dana à s’intéresser à l’Afrique francophone, transformée par le développement massif de la 4G sur le continent, qui permet d’imaginer la création d’un nouvel écosystème digital. Il crée alors en 2018 Gozem, un service de mototaxis géolocalisées au Togo et désormais opérationnel dans toute l’Afrique francophone subsaharienne. Très vite, l’appli propose de nouveaux services: «On peut se servir de Gozem pour commander un transport mais aussi pour se faire livrer de la nourriture, pour payer ses factures, acheter de l’électricité, transférer de l’argent, etc.» Une manière d’avoir un réel impact sur la société africaine, insiste l’entrepreneur. Installé à Barcelone après avoir quitté Singapour pour se rapprocher des fuseaux horaires africains, Raphael Dana est confiant: son application a déjà été téléchargée plus de 1 million de fois depuis sa création.

Raffael Dickreuter: La passion du cinéma

«J’ai su très tôt que je voulais travailler là où on tournait les grands blockbusters américains. Ce n’étaient pas tant les Etats-Unis qui me fascinaient que l’industrie du cinéma.» L’histoire de Raffael Dickreuter est celle du rêve américain d’un jeune adolescent de Berne qui vendait naguère des tickets de cinéma pour gagner son argent de poche. Après son diplôme de la Haute Ecole d’art de Zurich, ce Bâlois de naissance fait ses premières armes d’artiste numérique dans une agence bernoise de design web avant de créer son propre site internet en 2002, puis de décrocher un premier stage à Los Angeles. La suite s’enchaîne comme dans un rêve: «Pendant douze ans, j’ai fait exactement ce que j’avais toujours voulu faire: imaginer et réaliser des effets spéciaux numériques et des séquences d’action pour des films comme Iron Man, Avengers, Terminator ou Pirates des Caraïbes

Raffael Dickreuter

Très jeune, le Bâlois Raffael Dickreuter décroche un premier stage à Los Angeles. Superba AR, sa société fondée en 2017 est spécialisée dans la réalité virtuelle.

© DR

Une escale chez Snapchat permet à Raffael Dickreuter de s’initier au monde du business dans la Silicon Valley, avec déjà l’idée de fonder sa propre entreprise: Superba AR, une société spécialisée dans la réalité virtuelle créée en 2017. «Juridiquement, créer sa boîte est particulièrement simple aux Etats-Unis. Tout se fait en ligne, ça ne coûte pas cher et les formalités administratives sont bien plus légères qu’en Suisse. Mais développer son chiffre d’affaires n’est pas plus facile ici qu’à Genève ou à Berne.» La vraie différence se trouve dans le rapport à l’emploi: «Il est plus facile de recruter ici parce que les responsabilités sont moindres. En Suisse, une jeune entreprise va sans doute hésiter davantage à embaucher.»

Réalité augmentée, réalité virtuelle, visualisation 3D, métavers, quelques dizaines d’employés développent de nombreux projets high-tech avec Raffael Dickreuter. «Nous travaillons aussi bien pour Intel ou Microsoft que Johnson & Johnson, Netflix ou la Ligue nationale de hockey (NHL)», détaille le CEO, qui développe aussi des projets plus confidentiels avec certaines entreprises américaines du secteur militaire. Quant à savoir si le fait d’être Suisse est un atout, la réponse est ambivalente: «On bénéficie d’une réputation de fiabilité. En revanche, quand on a vécu en Suisse, on est habitué à considérer comme acquis ce qui a été convenu. Ici, c’est parfois un peu moins le cas.»

Gérard Dubois: Le savoir-faire gastronomique

En 1991, le Valaisan Gérard Dubois décide d’ouvrir une boulangerie à Hongkong. Au début des années 1980, son CFC de boulanger-pâtissier en poche, il quitte Zurich pour Londres. Il est alors repéré par le groupe Hilton qui le charge d’encadrer ses équipes de pâtissiers dans les nouveaux hôtels qu’il ouvre sur les marchés asiatiques. L’île de Guam, le Japon, Shanghai… partout, le professionnalisme de Gérard Dubois séduit, mais c’est à Hongkong qu’il décide de franchir le pas en 1991, en ouvrant sa pâtisserie, La Rose noire, avec sa femme. «Hongkong est l’endroit rêvé pour entreprendre. On peut y trouver des produits du monde entier et la liberté d’entreprendre est totale. L’international est dans les mœurs, on peut ouvrir jour et nuit, sept jours sur sept si on le souhaite.»

Gérard Dubois

Après Londres, c’est à Hongkong que le boulanger valaisan Gérard Dubois a ouvert sa première pâtisserie «La Rose noire». Ses produits sont vendus dans 57 pays!

© DR

Une deuxième boulangerie, une troisième, une quatrième, puis une fabrique de 250 salariés qui tourne 24 heures sur 24, comme celle ouverte ensuite aux Philippines et qui compte de son côté 1700 collaborateurs. Le succès vient notamment grâce à un positionnement assumé dans le haut de gamme, avec des produits entièrement faits à la main. «J’ai toujours pris soin de préciser ma nationalité dans mes boutiques parce que c’est un atout indéniable. Au-delà de la qualité de la formation initiale, la Suisse est un pays connu et apprécié pour l’excellence de ses produits emblématiques comme le chocolat, ce qui est évidemment un avantage dans mon métier.»

Gérard Dubois a ainsi développé une marque qui occupe aujourd’hui une place de choix sur le marché mondial de la pâtisserie, avec 500 produits différents distribués dans les hôtels, les aéroports et les chaînes de café dans 57 pays du monde. Egalement implanté aux Philippines, le pâtissier valaisan y a créé une fondation qui fournit des bourses à de jeunes adultes défavorisés pour les former aux métiers de la pâtisserie.

JP
Jean-Christophe Piot