La Suisse se situe parmi les 25 pays les plus motorisés du monde. On y compte 548 voitures de tourisme pour 1000 habitants (224 en 1970), soit un parc de 4,7 millions d’unités (2020). Le nombre total de véhicules motorisés, y compris les utilitaires légers et lourds, véhicules agricoles, etc., s’élève à environ 6,3 millions (2021). Un emploi sur huit dépend directement ou indirectement du secteur, qui occupe 230 000 personnes et génère chaque année environ 100 milliards de francs de gain. Emblèmes de l’activité, 5200 garages occupant 50 000 personnes ont pignon sur rue à travers le pays, dont 4000, représentant 39 000 employés, voguent sous la bannière de l’Union professionnelle suisse de l’automobile (UPSA). En voiture avec Nicolas Leuba, qui esquisse les contours des profonds bouleversements qui se profilent.

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Parmi les révolutions en cours, il y a le passage de l’essence et du diesel à l’électrique. Mais on parle aussi de l’hydrogène, du GPL et de nouveaux types de carburants, notamment synthétiques. Lequel s’imposera selon vous?

De quel type de véhicule roulant à quel endroit parlons-nous? A mon avis, nous nous acheminons vers un mix de carburants. Dans les villes, qu’on veut décarboner, les véhicules électriques s’imposeront et s’imposent d’ailleurs déjà de plus en plus. Savoir si l’électricité qu’ils consomment est propre ou pas est une autre question, à laquelle il faudra bien sûr répondre un jour, mais au moins, là où ils roulent, ils ne polluent pas. Et comme nous sommes en train de vider les centres-villes de leurs commerces pour les remplacer par toujours plus d’utilitaires pour livrer toujours plus de commandes de toutes sortes passées sur internet, cette technologie sera incontournable.

Ensuite, je pense que l’hydrogène est une solution intéressante pour les camions long-courriers, les transports nationaux et internationaux. En revanche, je ne vois pas les camions et la plupart des véhicules de chantier, qui ont besoin de puissance et de force, rouler à autre chose qu’au diesel. On peut avoir du couple avec un moteur électrique, certes, mais en utilisant la force, l’autonomie sera faible. Et le poids de la batterie diminuera forcément la charge utile, donc la capacité de transport.

Quoi qu’il en soit, la Commission européenne a confirmé l’interdiction de la vente de voitures à moteur thermique à partir de 2035…

Oui, et je pense qu’elle commet une erreur fondamentale et très dommageable pour les constructeurs traditionnels, européens en particulier. Il eût été beaucoup plus intelligent d’interdire les moteurs thermiques polluants et de se concentrer sur les carburants synthétiques pour alimenter les moteurs thermiques proprement. Pousser les constructeurs vers la technologie électrique s’avère un immense cadeau fait à l’industrie chinoise qui, en termes de qualité, n’a jamais vraiment produit autre chose que des véhicules électriques. De plus, n’oublions pas le coût écologique de la fabrication d’un véhicule de ce type. Non seulement à cause de l’utilisation de grandes quantités de terres rares, mais également par les importantes émissions de CO2 qu’elle génère. On estime qu’il faut rouler 80 000 km avec un véhicule électrique avant d’atteindre sa neutralité carbone.

Pourquoi craindre l’industrie chinoise en particulier?

Parce qu’elle se concentre depuis des années sur la seule technologie électrique avec le projet de vendre ses véhicules par internet et, ainsi, ne posséder que des centres de livraison. Un concept qui lui permettra de se passer d’une grande partie de la chaîne de distribution. Si aujourd’hui les acteurs classiques s’intéressent à ce marché, c’est justement pour tenter de contrer ce phénomène qui se met en place. Cela étant, les Chinois se rendront vite compte qu’on ne peut pas faire de dépannage virtuel, sauf s’il s’agit d’un logiciel. Tous ces véhicules ont besoin de maintenance et d’entretien.

On estime que l’activité dans les garages diminuera de 30 à 40%…

Il est clair que l’entretien d’un véhicule électrique nécessite moins de main-d’œuvre. Le métier de garagiste va profondément changer. Aujourd’hui, il ne vend que le véhicule. Demain, il deviendra un fournisseur de mobilité, proposant la borne de recharge, l’installation photovoltaïque attenante et, peut-être, un leasing de neuf ans qui permettra d’amortir l’installation, avec changement de véhicule tous les trois ans.

Vous voyez loin…

Peut-être. Mais c’est une vision induite par les acquisitions qui sont en train de se faire discrètement en coulisses. Le groupe Amag, dont on connaît la puissance, a par exemple récemment acquis la division Helion de Bouygues, spécialisée dans le photovoltaïque. Du coup, Amag a considérablement étendu son offre de prestations de services autour de l’électromobilité. C’est un signe qui ne trompe pas.

Quid de la mobilité privée?

Nous aurons sans doute un abonnement général des CFF, un nombre X de jours de location d’une voiture Mobility et une offre intéressante pour une voiture vendue par un concessionnaire. Il s’agira aussi d’adapter l’offre des transports publics, car en nombre de véhicules, quel que soit leur carburant, on a atteint le plafond. Un autre changement notable concerne les camions long-courriers. En roulant à l’hydrogène, ils ne feront pratiquement plus de bruit. Dès lors, il faudra les autoriser à rouler la nuit.

Le secteur automobile doit se préparer à un tsunami technologique

Pour Nicolas Leuba «le nombre de garages, estimé à 5200 en Suisse aujourd’hui, va diminuer. Les professionnels de la branche doivent s’y préparer mais ne pas avoir peur. De nouveaux métiers apparaissent. On forme de plus en plus de mécatroniciens, d’électromécaniciens.»

© DR

Tout cela provoquera d’énormes bouleversements, parmi la chaîne d’entretien notamment.

Il est clair que le nombre de garages, estimé à 5200 en Suisse aujourd’hui, va diminuer. Pour des raisons structurelles d’abord. Nombre d’entre eux disparaîtront faute de repreneur alors que d’autres, établis dans les villes, seront engloutis par de nouvelles constructions. Cette concentration changera la donne. Les professionnels de la branche doivent s’y préparer mais ne pas avoir peur. De nouveaux métiers apparaissent. On forme de plus en plus de mécatroniciens, d’électromécaniciens. Nous aurons toujours besoin d’employés pour gérer les stocks de pièces; les véhicules étant plus lourds à cause de la batterie, les pneus s’usent plus rapidement. A contrario, l’arrivée des véhicules intelligents réduira les besoins en carrosserie. Le bon côté, c’est que les assureurs devraient bientôt baisser leurs prix. Mais nous parlons encore de musique d’avenir.

C’est-à-dire?

Il y a aujourd’hui 450 000 immatriculations par an en Suisse. La pénétration des véhicules électriques est de 10%, soit, arrondi, 50 000. A ce taux-là, cela fera 600 000 d’ici à 2035. Même avec un taux de 30%, soit 135 000 par année, on parviendrait à 1,6 million de véhicules en douze ans. Nous sommes donc encore loin du compte. Sans oublier que ce basculement reste conditionné à la performance des véhicules électriques et aux infrastructures de recharge.

Quels impacts auront ces bouleversements sur l’emploi?

A défaut de s’affronter, les technologies deviendront complémentaires et la formation de nos 10 000 apprentis, et plus largement de tous les apprenants du secteur, doit évoluer rapidement. La section vaudoise de l’UPSA, qui forme grosso modo 900 apprentis par année, s’est déjà engagée dans cette voie en construisant l’YMECA, le nouveau centre de formation romand des métiers de la mécanique, basé sur le site d’Y-Parc, à Yverdon, dont l’ouverture est prévue à la rentrée scolaire d’août. Le bâtiment, qui offre 9530 m² de surface de plancher, accueillera 1500 apprentis et utilisera 100% d’énergie renouvelable grâce à ses 570 m² de panneaux photovoltaïques et aux pieux géothermiques équipés de sondes. Initiatrice du projet, l’UPSA Vaud aura deux tiers de la surface à sa disposition, le reste étant occupé par le Groupement suisse de l’industrie des machines (GIM), la section romande de 2roues Suisse et diverses associations.

Un centre qui répondra donc aux nouvelles exigences technologiques qui se profilent?

Absolument. Les garages et ateliers seront dotés des équipements indispensables à l’électromobilité et deux autres ateliers seront pré-équipés dans le but de dispenser une formation sur les véhicules à hydrogène, dotés d’une pile à combustible, pour les poids lourds et les véhicules particuliers. Il faut à tout prix enrayer le manque de main-d’œuvre qualifiée dont souffre la branche avant d’entrer de plain-pied dans la vraie révolution technologique qui va déferler tel un tsunami.

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Christian Rappaz, journaliste
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