On associe généralement le nom de Bucherer au célèbre détaillant de montres et de bijoux, dont les boutiques ont pignon sur rue dans la plupart des grandes villes suisses. Son histoire débute en 1888, lorsque l’entrepreneur Carl-Friedrich Bucherer et son épouse Luise ouvrent leur premier magasin à Lucerne. En 2001, l’entreprise familiale décide de lancer la marque indépendante Carl F. Bucherer.

A l’occasion des 135 ans d’existence du groupe, qui vient d’être racheté par Rolex (lire encadré), cette dernière, l’une des rares à maîtriser la répétition minute, mécanisme parmi les plus complexes du monde horloger, à décidé de monter en gamme. «Concrètement, cela signifie que nous allons nous concentrer sur nos propres mouvements et abandonner nos modèles d'entrée de gamme, résume la responsable du marketing Barbara Sieber. Nos prix moyens se situeront entre 8000 et 10 000 francs.»

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La marque va désormais se focaliser sur une quantité réduite de modèles, faisant partie de trois grandes familles de produits. «Par le passé, nous comptions plus de 300 références, contre environ 120 aujourd'hui, ajoute le directeur des ventes Renato Bonina. En ce qui concerne la distribution, nous comptabilisons auparavant plus de 400 points de vente dans le monde, contre 260 dans le futur. L’idée n’est pas de fermer des marchés, mais de devenir plus exclusif.»

Dirigée par la troisième génération de la famille fondatrice, la société emploie aujourd’hui 150 collaborateurs, dont environ la moitié travaille au sein de sa manufacture, située à Lengnau (BE). Pour sa part, le groupe Bucherer compte plus de 2000 employés et 37 sites en Europe, dont 15 en Suisse et 13 en Allemagne. Les effectifs de la marque Carl F. Bucherer ne seront pas concernés par ce changement de stratégie.

«L’idée n’est pas de fermer des marchés, mais de devenir plus exclusif»

 

Ce repositionnement est l’aboutissement de plusieurs mois d’analyses concernant les attentes des clients, mais également, on peut aisément l’imaginer, d’observations réalisées au travers des activités de détaillant du groupe Bucherer. Présent en Suisse, en Autriche, en Allemagne, en France, en Angleterre, au Danemark et aux Etats-Unis, il est le plus grand vendeur au détail de Rolex et le premier détaillant officiel de CPO (certified pre-owned ou montres de luxe déjà portées certifiées). Au total, il représente plus d’une trentaine de marques.

Une distribution plus directe

«Aujourd’hui, toutes les marques essayent d’avoir une distribution plus directe, non pas pour une question de marges, mais afin d’être plus proches du client, recueillir des informations et orienter leur stratégie», indique Elvis Gonzalez, fondateur du cabinet lausannois M&BD Consulting. Il rappelle que le segment de l’entrée de gamme dans le luxe (des modèles compris entre 3000 et 5000 francs) est particulièrement concurrentiel. Le fait de travailler sur son image auprès des collectionneurs et des influenceurs grâce à des pièces compliquées, permet aux marques de quitter cette zone potentiellement problématique. D’autant qu’il serait désormais plus facile, par rapport à il y a encore une dizaine d’années, de vendre des pièces de 10 000 francs, notamment aux plus jeunes générations.

«Les concentrations observées par différentes marques à succès ont permis aux clients de mieux comprendre leurs produits», ajoute le consultant, en citant le cas d’Audemars Piguet. En d’autres termes, c’est une stratégie logique pour une marque ayant enregistré plusieurs années de croissance et qui souhaite passer un cap que de mettre l’accent sur des produits plus raffinés. Relevons toutefois que monter en gamme est souvent plus difficile que de prendre le chemin inverse, comme le montre l'exemple récent de la MoonSwatch, dont le succès a été retentissant.

«Le secteur du luxe se porte très bien, la demande n'a jamais été aussi forte.

 

Felicitas Morhart, professeur au département de marketing à HEC Lausanne (UNIL) et fondatrice du Swiss center for luxury research, estime elle aussi que ce type de repositionnement fait sens. «Le secteur du luxe se porte très bien, la demande n'a jamais été aussi forte. Beaucoup de gens dans le monde sont prêts à payer des dizaines de milliers de francs pour des modèles de prestige. Les marques ont donc intérêt à montrer leur savoir-faire et leur expertise.» D’autant plus que la lutte contre les contrefaçons, le traçage et l’authentification sont des activités qui prendront toujours plus d’importance dans les années à venir.

La spécialiste met également en avant la tendance de plusieurs marques, telles qu'Audemars Piguet, à se concentrer toujours davantage sur leur propres activités et ouvrir leur propres magasins dans le but de s’adresser directement aux consommateurs, ce qui est évidemment un challenge de taille pour les détaillants. «Bucherer a avantage à en faire de même avec sa propre marque horlogère et ses collections de joaillerie. L’objectif consiste à s’orienter vers un modèle d’affaires hybride. C’est aussi la direction que prend une entreprise comme Gübelin.»

Reprise de Bucherer par Rolex

La semaine dernière, Rolex a annoncé avoir fait l’acquisition de Bucherer «afin de pérenniser le partenariat entre les deux entreprises et prolonger leur histoire commune». Le détaillant horloger conservera son nom et continuera son activité de manière autonome. Son intégration dans le groupe Rolex sera effective lorsque les autorités de la concurrence auront validé l’opération de reprise. En l'absence de descendants directs, Jörg Bucherer avait décidé de céder l’activité de sa société. Le partenariat entre les deux sociétés existe depuis 1924. Bucherer représente plus de 100 points de vente dans le monde, dont 53 qui distribuent la marque Rolex et 53 la marque Tudor.

William Türler
William Türler