Le championnat du monde de voile le plus excitant du monde faisait escale dans la magnifique baie de Saint-Tropez début septembre pour la troisième étape de la saison. Sur l’eau, les F50, ces catamarans à foils, volent à des vitesses proches des 100 km/h. Avec leurs 15 mètres de long et leur aile rigide de 24 mètres de haut, les bateaux filent à plus de trois fois la vitesse du vent en décollant sur leurs foils à partir de 30 km/h. Fabriqués en carbone, ces bolides affichent un poids plume de 2,3 tonnes, soit moins que le poids d’une Range Rover!
Agiles et maniables, les F50 s’affrontent en flotte dans des régates nerveuses de quinze minutes où les skippers frôlent en permanence la limite du chavirage et de la collision. Pour les spectateurs, qu’ils soient passionnés de voile ou non, regarder ces courses, c’est assister à un spectacle unique, qui marie à la fois puissance, vitesse et légèreté dans un ballet fascinant.
Le spectacle avant tout
Il faut dire que, dès la création de ce championnat, en 2018, ses deux instigateurs, le milliardaire américain Larry Ellison, fondateur d’Oracle, double vainqueur de la Coupe de l’America, et le skipper néo-zélandais Russell Coutts, quintuple vainqueur de la même épreuve, ont privilégié le spectacle avant tout. Lassés par la Coupe de l’America, ses règles jugées obsolètes et son rythme quadriennal, ils ont délaissé le plus vieux trophée sportif du monde (1851), au profit d’un nouveau format susceptible de capter l’intérêt du plus grand nombre.
Cinq ans plus tard, le pari semble en passe d’être gagné. Larry Ellison a investi 50 millions de dollars pour lancer son projet, qui réunit aujourd’hui dix équipes nationales. Celles-ci s’affrontent lors de 12 épreuves autour du monde, de Chicago aux Bermudes, en passant par Cadix, Abu Dhabi, Auckland, Sydney ou encore New York. Les trois épreuves quotidiennes successives de quinze minutes offrent un format idéal pour les chaînes TV qui peuvent entrecouper les courses de fenêtres publicitaires. La réalisation des retransmissions est elle aussi parfaitement orchestrée. Des informations affichées en continu à l’écran indiquent la vitesse des bateaux, la direction du vent ou la délimitation virtuelle de la ligne d’arrivée, facilitant grandement la compréhension des téléspectateurs. Tous ces éléments ont certainement participé à attirer plus de 117 millions de curieux la saison dernière. Et même 998,8 millions de personnes si l’on tient compte de l’audience secondaire (informations et programmes sportifs).
«Nous pensions atteindre le break even au bout de dix ans, confiait Andrew Thomson, Managing Director de SailGP, lors de l’épreuve de Saint-Tropez. Mais, nous sommes en avance sur nos prévisions et nous devrions atteindre la rentabilité dès la saison prochaine.» A condition, toutefois, d’accélérer encore la cadence. «Dans l’idéal, nous aimerions compter 18 étapes par saison, pour fidéliser les téléspectateurs, tout en augmentant la valeur pour les diffuseurs et les sponsors.» Le nombre d’équipes devrait quant à lui passer de dix à douze dès l’année prochaine. «Les candidats ne manquent pas, nous enregistrons des demandes d’Italie, de Chine, de Pologne, du Brésil et d’autres pays, mais nous n’irons pas au-delà de douze équipes pour ne pas déprécier la valeur des franchises existantes.»
Quête de transparence et d’équité
Ces franchises sont assimilables à un droit d’exploitation d’une équipe, négocié pour trois ou quatre ans. «Aujourd’hui, après quatre saisons, le ticket d’entrée pour rejoindre la flotte se situe aux alentours de 20 millions de dollars, confie Andrew Thomson. Un investissement auquel il faut ajouter environ 7 à 9 millions par saison pour les frais de fonctionnement.» Ce budget est pratiquement le même pour tous les participants et il s’agit là d’une autre spécificité du championnat de SailGP. Dans de nombreuses autres épreuves de voile, dont la Coupe de l’America, la victoire se joue évidemment sur l’eau, mais elle dépend aussi largement de la profondeur des poches du propriétaire. Dans le championnat de SailGP, l’équité sportive prévaut. Ainsi, tous les bateaux sont des monotypes strictement identiques qui n’appartiennent même pas aux équipes engagées. Celles-ci les louent à l’organisation, qui se charge de les faire évoluer, de les entretenir, de les réparer et de les transporter. Dans la même veine, les 30 000 données récoltées par seconde grâce à 125 capteurs sur chaque bateau sont consultables en direct par toutes les équipes en compétition.
Cette quête de transparence et d’équité permet aux athlètes de se battre à armes égales et attire les meilleurs marins du monde, hommes et femmes confondus, puisque chaque équipe doit compter au minimum deux athlètes féminines. Ainsi, ce ne sont pas moins de 35 championnes et champions olympiques, six vainqueurs de la Coupe de l’America, 15 World Sailors of the Year et 240 champions du monde de voile qui ont déjà pris part à une étape de SailGP.
La Suisse participe elle aussi à cette formidable aventure sportive depuis la saison passée. C’est l’homme d’affaires genevois Alex Schneiter, ancien président et directeur général de Lundin Energy, qui est aux manettes. Son Team Tilt fondé il y a dix ans s’est déjà illustré à de multiples reprises dans d’autres disciplines, comme le championnat du monde de GC32, le Bol d’or ou encore la Red Bull Youth America’s Cup.
Sébastien Schneiter, fort de deux participations aux Jeux olympiques, tient la barre de l’Eiger, le catamaran helvétique engagé en SailGP. Du haut de ses 27 ans, il est le benjamin de la flotte, ce qui ne l’empêche pas de se mesurer à des stars de la voile aussi capées que Tom Slingsby (Australie), Jimmy Spithill (Etats-Unis), Ben Ainslie (Grande-Bretagne) ou Peter Burling (Nouvelle-Zélande). En phase de rodage, l’équipe suisse ne rivalise pas encore avec les meilleures, même si elle est parvenue à remporter une manche à Singapour en janvier dernier. «Nous progressons à chacune de nos sorties, se réjouit Tanguy Cariou, General Manager et directeur sportif de l’équipe suisse. Mais nous devons maintenant nous montrer plus audacieux sur l’eau si nous voulons jouer les premiers rôles.»
Un objectif prioritaire pour décrocher des soutiens financiers supplémentaires dès la saison prochaine. Pour l’instant, les sponsors commerciaux, dont Aker BP, Jiva Hill Resort et Rolex, assurent 65% du budget. Le reste est couvert par des partenaires privés dans la région lémanique. «L’objectif consiste à réduire la part de ces derniers en décrochant notamment un naming sponsor prêt à investir 5 à 6 millions par saison, explique Tanguy Cariou. Pour ce faire, nous voulons renforcer l’identité suisse de notre équipe navigante, qui devrait compter 100% de marins helvétiques alors qu’elle accueille pour l’heure encore trois étrangers. Si nous y parvenons, nous renforcerons encore l’adhésion populaire et l’intérêt des sponsors.»
Pour accélérer ces deux objectifs, le Team Suisse garde un atout dans sa manche. Il travaille actuellement sur l’organisation d’une étape du championnat de SailGP en Suisse à l’horizon 2025. «Voir ces bateaux naviguer dans la rade de Genève avec le jet d’eau en toile de fond serait tout simplement exceptionnel.» Pour le spectacle et le public, bien sûr, ainsi que pour les sponsors et l’image de la région. Pour l’instant, l’équipe de SailGP étudie les conditions de vent potentielles qui restent l’élément déterminant. Tout comme la cohérence de cet emplacement dans le calendrier. Sans oublier le volet financier. En effet, l’organisation d’une étape de SailGP coûte environ 5 millions de francs et implique une logistique importante. Le financement de cette épreuve présente encore de nombreux challenges. Au moment du choix, espérons que les autorités genevoises se souviendront du retour triomphal d’Alinghi avec son aiguière d’argent en 2003 devant 40 000 personnes regroupées sur les quais.