«Plus d’un tiers de l’électricité est produite par l’énergie nucléaire en Suisse. Il s’agit donc de développer une solution rapidement afin de pallier les problèmes d’approvisionnement qui pourraient survenir à l’avenir.» Maurice Bourquin, professeur de physique et ancien recteur de l’Université de Genève, est convaincu du potentiel de l’énergie nucléaire. Aujourd’hui, cet ex-président du conseil du CERN est membre du comité scientifique de Transmutex.

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Fondée à Genève en 2019 par le physicien Federico Carminati et l’entrepreneur Franklin Servan-Schreiber, Transmutex collabore avec divers partenaires internationaux afin de mettre au point un réacteur nouvelle génération, développé à partir de technologies existantes. La start-up emploie une trentaine de chercheurs et de consultants. Leur but: produire de l’énergie à base de déchets nucléaires.

En mai 2017, la Suisse acceptait la loi sur l’énergie à plus de 58% des voix. Objectif: sortir progressivement du nucléaire, en interdisant la construction de nouvelles centrales, tout en continuant d’exploiter celles en service tant que leur sécurité peut être garantie. La recherche nucléaire échappe néanmoins à cette limitation.

Déchets hautement radioactifs

«Ces centrales génèrent de l’énergie en grandes quantités sans émettre de gaz à effet de serre. Leur principal défaut réside dans le fait qu’elles engendrent des déchets, dont une petite partie – les actinides – reste hautement radioactive durant des centaines de milliers d’années», explique Maurice Bourquin.

En 2012, un groupe d’experts du CERN – dont Maurice Bourquin – fonde l’association iThEC afin de réfléchir à une alternative au combustible uranium. «Le thorium est un métal faiblement radioactif, dont les déchets ont une durée de vie relativement courte d’environ trois cents ans. Il est aussi trois à quatre fois plus répandu sur la planète que l’uranium, particulièrement en Inde.»

Grâce à un procédé de transmutation – d’où le nom Transmutex –, la start-up entend aussi réutiliser les actinides des réacteurs à l’uranium. «L’idée est de transformer ces déchets en éléments stables pour les mélanger au thorium et obtenir un nouveau combustible. Cela permettrait de réduire la durée de vie ainsi que la quantité de déchets nucléaires générés par les centrales suisses de 2800 tonnes (dont 40 tonnes d’éléments de longue durée de vie) sur les 4500 qui seront produites dans les soixante prochaines années.»

Possible révolution

Transmutex travaille avec le laboratoire américain Argonne National Laboratory à la création d’une usine de retraitement de combustibles. «Le potentiel de la transmutation est gigantesque, commente Nadine Reichenthal, directrice de l’accélérateur de projets de l’Université de Lausanne et enseignante en entrepreneuriat à la HEC et à l’EPFL. Si la technologie fonctionne, il s’agira d’une véritable révolution. Reste à savoir si l’idée est transposable dans la réalité.» L’experte souligne l’absence de tests tangibles qui attestent de la viabilité de la technologie, au-delà des résultats obtenus en laboratoire.

Jusqu’en février 2022, la start-up collaborait avec des entreprises russes afin de développer un réacteur refroidi au plomb liquide plutôt qu’à l’eau. Depuis le début de la guerre en Ukraine, des entreprises italiennes ont pris le relais. «Dans les réacteurs actuels, l’eau se trouve sous haute pression, précise Maurice Bourquin. En cas de fuite, le risque d’explosion est élevé. Le plomb, par contre, fonctionne à une température de 400 à 500°C, il reste donc inerte et ne réagit pas négativement au contact de l’air ou de l’eau.» Afin de rendre le système d’autant plus sûr, Transmutex a aussi décidé de combiner son réacteur à un accélérateur de particules du CERN, cette technologie permettant de stopper instantanément les réactions nucléaires en cas d’incident.

Depuis 2020, Transmutex réalise chaque année de nouvelles levées de fonds. La start-up a déjà obtenu 14 millions de francs et a annoncé fin janvier un nouveau tour de financement de plus de 20 millions de francs auprès de Union Square Ventures et de Steel Atlas, deux fonds de capital-risque basés à New York. «Notre but consiste à proposer un concept abouti à de potentiels clients privés et gouvernementaux d’ici au printemps 2024», confie Maurice Bourquin.

La loi sur l’énergie ne permet pas d’envisager d’installer le réacteur Transmutex sur sol suisse pour l’instant. «Nous prévoyons de construire le premier réacteur en Europe d’ici à 2030, le lieu exact n’est pas encore déterminé, dit le physicien. J’ai toutefois récemment constaté un changement d’attitude envers le nucléaire de partis politiques historiquement opposés, comme les Verts, qui ne verraient plus forcément d’inconvénients au développement de ce type d’installations. C’est très encourageant.»