Transformer les excréments en or, c’est en quelque sorte le rêve des alchimistes que sont en train de réaliser deux entrepreneurs suisses en Asie. Il y a un peu plus de huit ans, en pleine ascension dans leur carrière bancaire zurichoise, Andreas Wanner et Dominik Schuler ont tout lâché pour s’installer à Bangkok et fonder Mister Loo, une entreprise qui installe et assure l’entretien de toilettes propres et sécurisées dans des lieux publics. «On s’est connu à l’UBS, dans le département fusions et acquisitions, raconte Andreas Wanner. On aimait beaucoup nos jobs mais on avait envie de tenter une aventure entrepreneuriale.»

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Marché asiatique prometteur

Dès les premières réflexions, les deux associés se tournent vers l’Asie, pas seulement parce qu’ils aiment y voyager, mais pour des raisons arithmétiques: «Si l’on inclut la Chine et l’Inde, la moitié de la population du globe vit en Asie, poursuit Andreas Wanner. La moitié de ces 4 milliards d’humains fait désormais partie de la classe moyenne et a donc les moyens d’accéder à une meilleure qualité de vie. En voyageant en Asie, on avait constaté à quel point il était difficile de trouver des toilettes propres. Et même lorsqu’il en existe des payantes dans les endroits fréquentés comme les plages, les gares ou les marchés, elles sont dans un état déplorable. On a pensé qu’il y avait une possibilité d’améliorer l’offre en installant un réseau de WC publics payants de qualité.»

Le business plan prend forme en marge de leurs activités bancaires respectives. «On a pris du temps pour réfléchir et analyser tous les aspects, explique Dominik Schuler. Malgré notre envie et notre détermination, il nous a fallu du courage pour sortir de notre «cage dorée» et nous lancer dans un tel projet incertain.» En 2015, à 34 ans, Dominik démissionne en premier et se rend en Asie pour analyser la situation sur le terrain et le potentiel économique dans différents pays. Afin de pouvoir financer cette phase de recherche, Andreas, 33 ans à l’époque, reste quelques mois supplémentaires dans sa banque, avant de rejoindre son compère. Mister Loo est fondée à Bangkok en 2016.

Les Suisses connaissent bien ce concept de WC payants car l’entreprise bâloise McClean en avait installé dans les gares CFF. «C’est un peu la même idée, sauf que nous sommes allés plus loin dans une offre adaptée au marché asiatique, avec des infrastructures équipées de senseurs afin de limiter les contacts, des locaux climatisés, une déco stylée et des prix adaptés aux différents endroits et segments de marché.» En Thaïlande, les tarifs vont de 5 bahts (15 centimes) dans les marchés des zones reculées à 10 bahts (30 centimes) dans les zones touristiques comme les plages de Phuket.

Actuellement, le réseau compte 90 Mister Loo répartis entre la Thaïlande, le Vietnam, l’Indonésie et depuis peu les Philippines. «Si l’on prend l’ensemble de nos marchés, nous touchons une population à 75% locale, explique Dominik Schuler. Le besoin de confort et de propreté est essentiel pour toutes les couches de la population, en particulier pour les femmes, qui souffrent de l’absence ou de la qualité déplorable des WC publics.»

Selon les zones et la clientèle visée, Mister Loo met en place des infrastructures plus ou moins luxueuses. La version premium inclut air conditionné, parfum d’ambiance, musique, wifi et déco soignée. «A tel point que de nombreux usagers prennent des selfies qu’ils postent sur les réseaux sociaux, s’amusent les fondateurs. Et même si le premium est facturé deux fois plus cher, on constate que la clientèle locale, y compris dans les régions les plus pauvres, est prête à payer davantage pour bénéficier de ce confort.»

L’entreprise emploie 140 personnes, dont 110 sont du personnel de nettoyage.

L’entreprise emploie 140 personnes, dont 110 sont du personnel de nettoyage.

© Mister Loo

Des ambitions de croissance

Pour développer le réseau et accélérer la croissance, il a fallu lever des fonds importants car les infrastructures sont coûteuses à mettre en place et qu’il faut en moyenne deux ans pour rentabiliser l’investissement initial que coûte l’installation d’un Mister Loo. «En plusieurs tours de table, nous avons levé près de 8 millions de francs, poursuit Andreas Wanner. Et nous menons actuellement un «roadshow» afin de convaincre de nouveaux investisseurs car nous avons identifié de nombreuses opportunités prometteuses. Beaucoup d’investisseurs s’intéressent à développer des activités en Asie, notamment parce que notre projet combine un aspect technique et commercial, avec un impact direct sur la qualité de vie des gens. La crise du covid nous a aidés car, désormais, les secteurs tangibles, non délocalisables, ont connu un regain d’intérêt. Même si nous intégrons beaucoup de technologie dans nos infrastructures – notamment en ce qui concerne la gestion des accès et du personnel –, l’entreprise reste active dans un domaine d’activité traditionnel, si l’on considère le service qu’elle propose!»

L’entreprise emploie 140 personnes sur l’ensemble de ses marchés, dont 110 sont du personnel de nettoyage. «Nous formons nos collaborateurs pour qu’ils atteignent les standards de qualité que nous avons fixés, c’est-à-dire qu’ils doivent nettoyer et désinfecter après chaque passage, ce qui est un service très supérieur à ce que l’on trouve partout ailleurs», explique Dominik Schuler.

L’entreprise s’est fixé des objectifs de croissance ambitieux: Mister Loo envisage d’exploiter plus de 1000 sites en Asie d’ici à cinq ans. «Nous y parviendrons parce qu’il y a un intérêt auprès de partenaires privés ou publics avec lesquels nous travaillons déjà (des opérateurs de transport, des gestionnaires de marché, des municipalités), expliquent les fondateurs. Le système fait ses preuves partout où il est installé, et de nombreux partenaires sont ravis de pouvoir proposer ce service à leurs clients, et de nous en confier l’installation, la gestion et la maintenance.»

Mister Loo compte enrichir son offre en proposant, dans certains endroits, des douches, des produits à acheter, des casiers/consignes, ainsi que la commercialisation d’espaces publicitaires. Dans le contexte de l’émergence globale du débat sur les identités de genre, les deux entrepreneurs s’interrogent sur le nom de leur entreprise. «Il y a désormais quelque chose d’inadéquat à appeler «Mister» une entreprise dont l’approche est inclusive et qui propose un service destiné à tous les genres, raison pour laquelle nous allons changer cette partie de notre identité. La réflexion est déjà entamée et le nouveau nom sera dévoilé cette année.»

Les deux entrepreneurs envisagent la mise en place d’un système de franchises qui permettra d’exporter le concept sur d’autres continents à fort potentiel comme l’Afrique ou l’Amérique du Sud. «Nous voulons que notre marque devienne un label reconnu internationalement, comme Starbucks l’a fait pour le café.»

Bio express 

2015 
Dominik Schuler quitte son job de banquier et commence l’exploration du marché en Asie.

2016 
Andreas Wanner démissionne à son tour et rejoint Dominik Schuler. Ils créent la société Mister Loo à Bangkok.

Carré blanc
Gabriel Sigrist