CleantechAlps a pour mission de profiler la Suisse occidentale comme un pôle d’excellence dans le secteur de la durabilité et des technologies propres. La plateforme sort son rapport intitulé «Panorama des start-ups cleantech», sept ans après l’édition précédente. Son secrétaire général, Eric Plan, nous éclaire sur l’évolution d’un secteur d’avenir.
Comment se portent les cleantechs depuis votre dernier rapport il y a sept ans?
Entre 2017 et 2023, nous sommes passés de 200 start-up actives dans ce domaine à plus de 600. Les sourires en coin des sceptiques ont aujourd’hui disparu face à la dynamique des cleantechs. En effet, plus de 50 nouvelles start-up sont créées chaque année en Suisse. En matière de levées de fonds, nous sommes passés de 2 millions en 2010 à 13 millions en 2015, pour arriver à près de 1 milliard en 2022, une année record.
Qu’est-ce qui explique une telle progression?
L’accident nucléaire de Fukushima en 2011 a joué un rôle de déclencheur indéniable. Ensuite, la croissance économique a évidemment aidé, tout comme la COP21 à Paris, un point culminant marqué par la signature des accords sur le climat et le lancement des Objectifs de développement durables par les Nations unies. Cette dynamique positive s’est encore renforcée en Suisse par la suite avec l’acceptation de la Loi sur la stratégie énergétique en 2017.
Est-ce que cet élan peut continuer à ce rythme ces prochaines années?
Cette croissance continuera par paliers avec un nouveau coup d’accélérateur en 2026/2027, lorsque les exigences légales en matière de durabilité comme le CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) et ESG (Social Governance Report) se généraliseront. Si aujourd’hui, ce sont principalement les grandes entreprises qui sont concernées, les PME vont suivre et je pense qu’elles ne mesurent pas encore les changements à venir sur le fonctionnement de l’économie.
A quoi pensez-vous?
La période actuelle va bien au-delà d’une transition énergétique. Il s’agit véritablement d’une révolution. Nous vivons non seulement la transition de l’ancien monde carboné vers le nouveau, moins carboné, plus durable et plus responsable. Mais surtout, nous vivons l’évolution d’une société centralisée vers des systèmes décentralisés – la téléphonie mobile par exemple –, basée sur une approche linéaire de la production vers une économie plus circulaire, alors que de nouveaux métiers émergent. La durabilité, c’est-à-dire la capacité à maintenir une activité sur la durée, va profondément impacter la société de demain. Les entreprises, quels que soient leur taille et leur domaine d’activité, seront contraintes de modifier leurs habitudes. Les cleantechs les aideront et elles connaîtront un fort développement.
Pensez-vous que les entreprises et les milieux politiques ont pris la mesure de ces changements?
Clairement en ce qui concerne les grandes entreprises. Je pense aussi que les PME, et les sous-traitants en particulier, commencent à sentir le vent du boulet, suite à la mise en place des directives que j’évoquais précédemment. Par contre, les politiciens restent passablement déconnectés. Le peuple suisse a accepté la Loi sur le climat et l’innovation en juin 2023, mais le conseiller fédéral Albert Rösti est en train de faire disparaître toute la substance de cette loi ainsi que des programmes d’incitation existants comme le programme bâtiment, par exemple. Il ne s’oppose pas à la proposition de couper la moitié des subventions prévues à hauteur de 2 milliards de francs pour soutenir la rénovation et l’abandon des chauffages à gaz et au mazout. C’est un peu comme si on traînait un bloc de 100 kg derrière son véhicule et que l’on se demandait pourquoi il n’avance pas et consomme autant… C’est un déni démocratique et un manque de vision sur la relève des secteurs industriels de la Suisse de demain.
Dans votre rapport, le canton de Vaud devance celui de Zurich en nombre de start-up cleantech, comment l’expliquez-vous?
C’est vrai, le canton de Vaud totalise 172 start-up actives dans les cleantechs contre 160 pour Zurich. Le Valais se hisse à la troisième place avec 40 entités. Spontanément, on aurait tendance à lier ce développement à la présence des écoles polytechniques. Cela explique en partie ces résultats mais pas seulement. Cinquante-cinq pour cent de ces jeunes pousses sont issues d’initiatives privées, l’innovation n’est donc pas uniquement issue des centres académiques et c’est une très bonne chose. La Suisse occidentale a notamment misé sur le développement de sites de tests et d’implémentation en milieu industriel, beaucoup plus activement que nos collègues de Suisse alémanique. Ces lieux permettent de déployer des produits préindustriels dans les conditions réelles et jouent un rôle de validation incontournable avant leur commercialisation à l’international.
Quel est le niveau de maturité des start-up cleantech suisses?
La moitié des cleantechs suisses dispose d’un système éprouvé dans un environnement opérationnel, soit le plus haut degré de maturité. Le défi pour ces entreprises consiste maintenant à décrocher de nouveaux marchés à l’international pour perdurer. Cinquante-cinq pour cent d’entre elles annoncent un développement à l’étranger alors que ce taux était de 27% en 2017. Pour passer ce cap, elles doivent bénéficier de soutiens financiers importants.
Est-ce qu’une future licorne se cache déjà au sein des cleantechs suisses?
Oui, je suis persuadé que de futures licornes existent déjà, notamment dans le sous-secteur de la chimie durable, avec l’entreprise DePoly, par exemple, qui a développé un processus chimique capable de décomposer les plastiques en matières premières réutilisables. Ou encore Bloom Biorenewables, spécialisée dans le raffinage des composants de la biomasse pour remplacer les dérivés pétroliers dans la fabrication des polymères et des solvants. Ces entreprises sont les précurseurs de la chimie de demain, mais les mesures d’économies proposées à Berne visant à couper les fonds de soutien aux projets pilotes de toutes sortes risquent de les pousser à l’étranger, où les fonds publics de nos voisins les courtisent déjà. C’est grave, alors que la chimie/pharma est un secteur clé de la prospérité helvétique. Le coup de frein, en discussion à Berne, casserait non seulement la dynamique de ces quinze dernières années, mais provoquerait un retard irrattrapable.
Est-ce qu’il y a matière à s’inquiéter pour l’avenir économique du pays?
La Suisse doit conserver son dynamisme économique et son bien-être sécuritaire. Pour cela, nous devons suivre la voie ouverte lors de la crise sanitaire où l’on a vu que, sous la contrainte, les autorités peuvent décider rapidement de mesures extraordinaires pour des montants conséquents. L’urgence climatique est une crise qui s’inscrit dans le sillage de celle du Covid-19 mais d’une amplitude sans commune mesure. Les dégâts naturels récurrents (débordement de la Morges, crues du Rhône, laves torrentielles récurrentes dans les Alpes, tempêtes dans le Jura, etc.) sont là pour rappeler les climatosceptiques à la raison.
Cela devrait déclencher une prise de conscience pour lancer un fonds souverain afin de soutenir la révolution de la société dans laquelle nous sommes entrés de plain-pied. Nous n’avons pas le choix de faire évoluer la société vers plus de résilience. Dans cette optique, je me demande souvent qui sera le prochain visionnaire pour construire l’avenir de la Suisse, après Alfred Escher, après les constructeurs des barrages ou encore des NLFA? Je suis convaincu que la réponse passera par une combinaison de citoyens qui appuieront un collège politique. C’est possible, à condition de cesser de penser en silo et de privilégier en priorité nos propres intérêts, le plus souvent à court terme. Il y a urgence!