Banquier pour les grandes fortunes de Suisse pendant vingt ans, Mike Baur investit depuis dix ans dans des start-up via son entreprise Swiss Ventures Group. Ses jeunes pousses ont connu des exits flatteurs, mais beaucoup aussi n’ont pas survécu. La réalité du monde des start-up. Un chemin fait de succès et de défaites qu’il compare à celui des sportifs professionnels, comme Stanislas Wawrinka, l’un de ses proches amis.

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A Zurich, où vous vivez et où se trouve le siège de Swiss Ventures Group, on vous surnomme la star des start-up. Ça vous parle?

Pas du tout. Certains médias m’appellent comme ça. Je suis juste Mike Baur, j’ai beaucoup d’énergie positive pour développer les projets et j’ai un très bon réseau d’investisseurs qui me fait confiance, mais j’ai les pieds sur terre et j’ai connu aussi des moments difficiles, comme n’importe quel entrepreneur.

La passion pour l’investissement vous est venue très jeune, non?

Mon père était CEO d’une assurance fribourgeoise. Il avait un petit carnet bleu dans lequel il écrivait en lisant le journal. Ça m’a très vite intrigué. A 13 ans, j’ai compris qu’il suivait les cours des actions dans Finanz und Wirtschaft. Il n’y avait pas internet à l’époque. Il a commencé à m’éduquer sur ces questions. C’était un très grand bosseur et il m’a aussi transmis cela.

Vous avez passé dix-sept ans chez UBS comme gestionnaire de fortune puis encore cinq ans dans des banques privées avant de lancer votre propre structure dans le capital-risque (VC). Qu’avez-vous appris?

La banque a été une magnifique plateforme pour rencontrer clients et investisseurs. Je m’occupais de la clientèle très fortunée. J’étais fasciné en particulier par ceux qui avaient construit leur fortune dans l’entrepreneuriat, sans hériter. J’ai appris que l’argent ne tombe pas du ciel et qu’il faut beaucoup travailler pour réussir. L’image du succès facile en investissant dans le bitcoin est une illusion.

Vous avez un carnet d’adresses à faire pâlir plus d’un entrepreneur. Comment l’avez-vous constitué?

J’étais gestionnaire de fortune pour la clientèle suisse alors que mes collègues rêvaient d’aller sur les marchés à l’étranger, pour voyager. J’aime la Suisse et c’est ainsi que j’ai construit de zéro mon réseau. Beaucoup de clients de l’époque m’ont suivi et sont présents aujourd’hui dans ma vie d’entrepreneur. C’est une belle reconnaissance.

Malgré une place confortable, vous partez pour vous lancer à votre compte. Quelle était votre vision au début?

J’avais envie de créer mon destin. Avec Swiss Ventures Group, en 2015, l’idée était de professionnaliser l’approche pour investir dans des start-up. J’étais entouré de plusieurs familles d’investisseurs dont la deuxième ou troisième génération voulait se rapprocher des nouvelles technologies. Avec mes deux cofondateurs, Olivier Walzer et Max Meister, on s’est lancés. On a commencé avec un accélérateur. On épaulait les start-up pendant trois mois avant d’investir dans celles qui avaient bien avancé. A cette période, il y a eu 27 investissements directs par Swiss Ventures Group. En 2019, nous étions fatigués par ces programmes très intenses. On a alors créé Serpentine Ventures et lancé des fonds d’investissement privés, le Rookie Fund (stade très précoce) et le Flagship Fund (stade précoce). On a aussi un fonds dédié aux technologies pour le diabète (Swiss Diabetes Venture Fund). En parallèle, le groupe a développé des services financiers pour louer un CFO (GetGoing), pour le légal (CodeLaw) et pour la valorisation (BV4).

D’où vient l’argent investi?

Nos quelque 80 investisseurs privés sont tous suisses, avec environ 35% de romands et 65% d’alémaniques. En revanche, nos start-up sont à 80% alémaniques, même si nous avons un accès direct à l’EPFL. En dix ans, nous avons investi dans environ 80 projets. Nos sociétés de services vivent de leur activité propre, tandis que Serpentine Ventures gagne de l’argent grâce au management fee et au performance fee.

Combien de start-up sont encore actives?

Je n’aime pas la notion d’«actives». C’est une maladie typiquement suisse. Aux Etats-Unis, on appelle ça les walking dead, sociétés zombies. Elles existent sans rien délivrer. Il y a une telle peur de la faillite chez nous qu’on préfère laisser vivoter des structures qui ne font rien. Pour répondre à votre question, il y a eu beaucoup de faillites quand même et de très gros succès. C’est le principe du capital-risque, surtout à un stade précoce.

De quels succès parlez-vous?

En 2021, nous avons eu trois exits. Struckd, dans le gaming, a été rachetée par une société américaine cotée au Nasdaq, tout comme VAY Sports, une application pour le sport qui corrige vos mouvements. Beaconsmind, des balises commerciales récoltant des datas, a fait une cotation à la bourse Euronext. Le rendement pour nos investisseurs a été très favorable, ils ont plus que triplé le capital investi. Le timing a été essentiel dans ces réussites. C’était durant le covid. Tout le monde faisait du sport ou du jeu en ligne à la maison et les grandes sociétés ont pu cibler la vente en ligne grâce aux balises.

La situation du capital-risque est de plus en plus complexe. Cela affecte les start-up, les investisseurs et bien évidemment votre société. Vous avez par ailleurs vécu des départs, dont celui d’un cofondateur. C’est aussi ça, être entrepreneur, non?

Cette réorganisation a été très difficile. On a commencé à trois, on est monté jusqu’à 50 collaborateurs en 2021 et aujourd’hui nous sommes une vingtaine. Humainement, ça m’a beaucoup affecté, surtout que c’était ma propre boîte. Du jour au lendemain, tu deviens le méchant. Déjà au printemps 2022, avec le début de la crise en Ukraine, nos investisseurs les plus expérimentés nous ont avertis qu’il fallait stopper la roadmap de croissance. On a réagi très vite, heureusement. D’autres sociétés ont tardé et ça va mal pour elles.

Mes clients connaissent les risques. Ce sont des investisseurs qualifiés. Aucun n’est là pour s’amuser ou pour changer le monde. Ils veulent performer.

Le risque de contagion existe dans ce genre de crise et peut pousser une structure à la faillite, non?

Heureusement, on n’en a jamais été là. De plus, la règle lorsqu’on fait du capital-risque est de bien diversifier. Mes clients connaissent les risques et ce type d’actifs. Ce sont des investisseurs qualifiés. Aucun n’est là pour s’amuser ou pour changer le monde. Personne ne met 250 000 francs pour le fun. Ils veulent performer. Ce sont principalement des directeurs de banque, des entrepreneurs, des familles fortunées qui savent très bien ce qu’ils font et ce qu’ils veulent. Le plus dur, encore une fois, a été de licencier pour des raisons économiques. Je l’ai fait car c’était ma responsabilité pour le bien de la société. Pendant cette période, j’ai dû apprendre à dire non huit fois sur dix, alors qu’avant je trouvais toujours des solutions pour dire oui.

Aujourd’hui, comment va Swiss Ventures Group et dans quelle phase du cycle vous situez-vous?

On sent une bonne reprise, même s’il y a de l’instabilité notamment en raison de la politique de Trump. L’instabilité touche en premier le capital-risque. C’est la règle du jeu. En 2025, il y a de bons investissements qui se font dans le gaming, un marché très «scalable». Il me fascine d’autant plus qu’il est souvent méconnu. Toutes les technologies en lien avec Nvidia et les micropuces sont aussi prometteuses, ainsi que les développements IA, pour autant que ce soit vraiment de l’IA. La health-tech avec des innovations pour aider les gens est aussi primordiale pour les investisseurs souhaitant avoir un impact positif. En revanche, j’observe que pendant les crises les start-up autour de la durabilité ou de la RSE passent au second plan. La question de la rentabilité financière redevient prioritaire.

Y a-t-il encore suffisamment d’argent en Suisse pour les start-up?

Il y a de l’argent en Suisse, mais on n’a pas le mindset entrepreneurial. Les investisseurs répondent présent pour le early-stage, mais les gros tours de financement se font à l’étranger. Il faudra encore un cycle, entre huit et dix ans, pour que cela change et qu’on prouve qu’en Suisse on sait faire de bonnes performances avec le capital-risque. Actuellement, en Suisse, dès que l’économie tremble, les investisseurs corporatifs ont d’autres priorités et se retirent. Or les gros tours sont un marathon et demandent de tenir sur le moyen à long terme. Il faudrait que les caisses de pension, les institutions investissent dans nos start-up. Par exemple, l’Université Yale dispose d’un fonds et investit 21% de l’ensemble de ses actifs dans le capital-risque.

Que conseillez-vous aux start-up en quête de financement?

Aller chercher les gros investisseurs dès le début, car si vous en avez un petit pour le early-stage, il ne sera ensuite souvent pas assez solide pour les 2e et 3e tours de financement. Autre conseil: commencer très tôt le dialogue avec les investisseurs, même si vous n’êtes pas prêts. Souvent, les start-up vont chercher de l’argent trop tard. Ne soyez pas non plus naïfs et ne vous contentez pas de promesses. Tant que l’argent n’est pas sur votre compte, ne prenez pas d’engagement financier. Enfin, il faut des tripes pour approcher ces investisseurs. Le problème est que beaucoup de fondateurs sont des ingénieurs dans leur bulle. Ils n’ont pas les qualités relationnelles et peinent à lire les gens. Or il est essentiel d’avoir ce type de compétences dans votre équipe.

Vous avez lancé dernièrement un programme destiné aux PME avec la plateforme Swiss Peaqs. De quoi s’agit-il?

L’avenir de l’investissement est dans les marchés privés. Mes clients me demandent d’investir dans des entreprises en Suisse. Ce sont des entrepreneurs qui veulent investir dans des entrepreneurs. L’idée est par exemple d’aider les PME à passer le cap de la transmission, sans devoir vendre à un private equity étranger. On leur offre une alternative en Suisse. Il peut aussi s’agir d’un soutien à l’innovation ou à la croissance. Par exemple, pour l’eau bernoise Adelbodner, nous avons créé le groupe Aqva avec plusieurs investisseurs et ambassadeurs suisses qui reboostent la marque, dont Severin Lüthi et Yann Sommer. Le spécialiste de l’audiovisuel IDS Group ou la marque horlogère Norqain font déjà partie du programme. Pour un investisseur, c’est une diversification intéressante de son portefeuille et l’occasion d’investir en Suisse dans des projets solides qui ont une histoire.

Mindset venture

Pour survivre, les PME doivent utiliser la puissance de la communication et des données. Si elles restent sans agir, elles risquent de mourir. Mike Baur parle de «mindset venture» ou esprit d’aventure. L’objectif n’est pas forcément de croître à l’international, mais déjà au niveau national.

Une proposition risquée, alors que beaucoup de PME sont familiales, avec des modèles conservateurs.

La Suisse a des PME qui sont des championnes cachées, leaders sur certains marchés étrangers mais qui s’essoufflent. A l’inverse, on a des start-up souvent surévaluées, alors qu’elles n’ont encore rien délivré. Ma mission est de faire avancer l’esprit d’aventure des PME, le «mindset venture». L’idée n’est pas forcément une croissance internationale, mais déjà une expansion nationale. C’est le moment d’investir dans les entreprises suisses, sinon on va complètement se faire absorber par les Etats-Unis ou l’Asie. On est déjà dépendants de Google, de Microsoft, de Netflix et toutes nos datas partent à l’étranger.

Un message très ambitieux à faire passer auprès des PME.

Si elles restent sans agir, beaucoup de PME vont gentiment mourir, ainsi que les emplois qui vont avec. Aujourd’hui, les entreprises trouvent normal d’investir dans une machine de production, mais peinent à mettre de l’argent dans la communication ou la digitalisation de leurs services. Or pour survivre, il faut utiliser la puissance de la communication et des données. Je ne parle pas de tout changer, mais j’observe que la jeune génération, les repreneurs de PME familiales ne veulent plus travailler de la même manière, sans compter leurs heures. Ils veulent et utilisent de nouveaux outils et modèles commerciaux. Avoir des investisseurs suisses dans la société donne une sécurité et permet de garder la PME en mains familiales, sans mettre trop de pression sur la nouvelle génération.

Dans cette approche, vous utilisez des L-QIF ou Limited Qualified Investor Funds, un placement collectif de capitaux. Ces fonds suscitent un vif intérêt des investisseurs. De quoi s’agit-il?

Les L-QIF sont disponibles en Suisse depuis environ deux ans et surveillés par la Finma. La régulation pour ce type de fonds est moins lourde. Cela signifie aussi qu’ils sont moins chers. Ce nouveau véhicule permet de faire fléchir la domination du Luxembourg et de l’Irlande en matière de gestion des fonds de placement. En résumé, c’est une structure suisse qui propose des fonds suisses.

Récemment, vous avez investi personnellement dans By the way Studio, une agence de communication et d’événements basée à Fribourg, présente également à Sion et à Thoune. Un retour aux sources?

Oui, je reviens désormais aux sources. C’est une société avec un joli potentiel, une équipe très talentueuse et bilingue, comme beaucoup de Fribourgeois. Ils sont excellents avec notamment une cellule en innovation autour de l’IA. Ils souhaitent se développer à l’échelle nationale et internationale et c’est là que je les accompagne.

Bio express

17 février 1975
Naissance.

1990
Déménagement à Marly, où il vivra jusqu’à 25 ans.

2014
Victoire à l’Open d’Australie de son ami Stanislas Wawrinka contre Rafael Nadal. Il suit également l’espoir Céline Naef.

2015
Fondation de Swiss Ventures Group à Zurich.

2022
Stage de six mois de son fils dans sa propre entreprise.

2024
Fondation du programme Swiss Peaqs pour les PME.