Au quatrième trimestre 2024, le chinois BYD est devenu leader mondial des voitures électriques après avoir détrôné Tesla. Ces dernières années, la marque a connu une croissance hors norme. En 2020, le constructeur ne représentait encore que 6% des ventes mondiales de véhicules électriques. Quatre ans plus tard, cette proportion a presque triplé (16%). En 2024, les ventes mondiales de la marque ont connu une croissance de 40%. Un succès qui ne doit rien au hasard. «Les véhicules électriques fabriqués en Chine offrent un bon rapport qualité-prix. L’efficacité des moteurs est encore un peu moins performante que celle des Tesla, mais l’écart se rétrécit», explique Geoffrey Orlando, responsable pour la Suisse romande de l’association Swiss eMobility.
En Suisse, BYD a inauguré son premier point de vente à Zurich en avril 2025. En parallèle, d’autres fabricants d’automobiles électriques made in China font progressivement leur apparition en Europe, parmi lesquels Great Wall Motors, Leapmotor, Geely et Nio. Leur entrée en scène intervient alors que Tesla fait face à une chute vertigineuse de ses ventes au niveau européen (-37% au premier trimestre 2025) malgré la hausse globale des ventes de véhicules électriques sur ce marché (+24%).
Le modèle Y de la marque américaine reste pour l’heure la voiture électrique la plus vendue en Suisse. Avec ses séries Seal (berline) et Sealion (SUV), BYD vient donc proposer deux alternatives sur le segment du milieu et du haut de gamme. «Même si seules les séries premium ont fait leur entrée en Suisse en avril, le catalogue de BYD couvre toutes les gammes. A terme, la marque viendra donc concurrencer des séries comme la Renault 5, l’Opel Corsa-e ou encore la Volkswagen ID.3 avec des prix plus avantageux», estime Geoffrey Orlando. Sur l’entrée de gamme, le chinois Leapmotor offre d’ores et déjà une citadine électrique, la T03, à partir de 17 000 francs.
Citadines et super-chargeurs
Autre enjeu de taille: les super-chargeurs actuellement développés en Chine, qui doivent permettre à certains modèles d’e-véhicules d’atteindre 400 km d’autonomie en une seule recharge d’environ cinq minutes. Ces bornes ultra-performantes ne seront pas déployées en Europe dans l’immédiat, mais elles illustrent l’avance prise par la Chine dans ce secteur.
«La question du chargement et de l’autonomie des batteries constitue une préoccupation majeure pour les consommateurs suisses. Beaucoup renoncent au moteur électrique au profit de véhicules hybrides ou thermiques en raison de l’absence de moyens de recharge satisfaisants», dit Ilaria Besozzi, directrice de Swisscharge, une entreprise active dans les solutions de recharge pour la mobilité électrique. Les super-chargeurs constituent-ils la clé du problème? «A terme, il serait bénéfique que le pays dispose d’une infrastructure plus performante, notamment sur les autoroutes, mais cela demandera sans doute des investissements importants dans le réseau électrique. Dans un pays qui compte près de 60% de locataires, le défi immédiat est d’assurer un meilleur accès aux bornes électriques dans les garages et sur les places de parc des immeubles résidentiels. Le droit de recharge (qui devrait être soumis au vote du Conseil des Etats lors de la session parlementaire de juin 2025, ndlr) constituerait un outil décisif à moyen terme.» Pour Ilaria Besozzi, l’intérêt des constructeurs chinois pour la Suisse est globalement un bon signal pour le secteur de la mobilité électrique. «Ces nouveaux arrivants devront toutefois veiller à disposer d’un bon réseau de distribution, par exemple au travers de partenariats avec des concessionnaires déjà bien implantés.» BYD s’était notamment rapproché du distributeur Emil Frey, mais aucun accord n’a finalement été signé.
Le manque d’ancrage local demeure, pour l’instant, l’une des principales faiblesses des constructeurs chinois, en Suisse comme ailleurs en Europe.
Contre-attaque européenne
L’absence d’ancrage local reste pour l’heure l’un des points faibles des fabricants chinois, non seulement en Suisse mais dans toute l’Europe. Selon Matthieu Noel, analyste au cabinet de conseil Roland Berger, «le développement d’un réseau de distribution à l’échelle européenne prend du temps, car la démarche doit être effectuée individuellement dans chaque pays».
Pour l’heure, les déboires de Tesla et le succès de la motorisation électrique en Europe semblent davantage profiter aux marques traditionnelles. Au premier trimestre 2025, le groupe Volkswagen (qui détient Audi, Skoda et Seat notamment) a vu ses ventes de voitures électriques bondir de 113% et le groupe BMW de 33%. Mais cette bonne forme apparente des acteurs européens pourrait bien rester éphémère. «Sur le segment électrique, ce sont les nouvelles séries qui réalisent souvent les meilleures performances du marché dit Matthieu Noel. C’est un segment très compétitif avec des innovations fréquentes en matière d’autonomie et de technologie. Volkswagen profite actuellement du lancement de son modèle ID.4. Mais dès qu’un autre constructeur lancera un concurrent moins cher ou plus performant, les parts de marché évolueront rapidement.»
L’Union européenne surveille de près l’arrivée des voitures électriques chinoises. En octobre 2024, Bruxelles a décrété des droits de douane de 17% sur les modèles de BYD et de 18,8% sur ceux de Geely. Pour les autres marques, le tarif peut s’élever à 35%. Motif: les subventions que ces fabricants ont perçues de l’Etat chinois constituent une forme de concurrence déloyale.
Pour Matthieu Noel, le frein actionné par l’UE permettra aux industries automobiles européennes de se préparer à affronter une concurrence chinoise en plein essor. L’enjeu est énorme. Les Vingt-Sept se sont engagés à interdire les ventes de véhicules thermiques en 2035. L’industrie automobile européenne pèse près de 7% du PIB de l’UE et représente 13 millions d’emplois. La menace chinoise est donc prise très au sérieux.
«Les droits de douane constituent une solution temporaire. Pour résister sur le long terme, les constructeurs traditionnels devront proposer une offre concurrentielle crédible, par exemple avec des modèles moins chers ou en misant sur leur ancrage auprès du consommateur et de leur réseau de distribution et de maintenance.» Pour produire moins cher, il faut notamment réduire les coûts de production des batteries. Une réponse politique s’articule déjà. Par exemple en France, où le projet d’usine de batteries de l’entreprise Verkor a levé 2 milliards d’euros, dont 600 millions de la Banque européenne d’investissement en 2023. «La production de batteries en Europe de l’Ouest n’est toutefois pas encore rentable. Il faudra probablement installer des unités de production en Europe de l’Est ou dans les pays voisins du Vieux Continent, comme le font déjà certaines marques chinoises», conclut Matthieu Noel.