«Je lis et je regarde beaucoup de sujets consacrés à des entrepreneurs. C’est toujours le même canevas et, la plupart du temps, je m’ennuie à mourir. Alors, si c’est pour me demander comment j’ai commencé et quel est mon parcours professionnel, c’est non!» prévient Pascal Gross à l’autre bout du fil. En affaires comme dans la vie, ce natif de Fribourg ne connaît en fait qu’une direction: la ligne droite! «Tourner en rond fait perdre du temps», rappelle celui qui a débuté dans les affaires en 1995 en reprenant le commerce de palettes et d’emballages plastique de son père, à Ecuvillens (FR). Trente ans plus tard, le frais sexagénaire a multiplié par 100 la vente des éléments de stockage et se retrouve à la tête d’un petit empire d’une vingtaine de sociétés voguant sous la bannière de XXL Group. «En allemand, gross signifie «grand». En plus de coller à mon ambition, ce nom coulait donc de source», estime-t-il, en revendiquant un ego et une grande gueule largement supérieurs à la moyenne. Une constellation d’entreprises actives dans l’immobilier industriel et résidentiel (une centaine d’appartements en cours de construction), la sécurité, la santé, le stockage (propriétaire d’environ 40 000 m2 de halles) et le divertissement. Notamment. En parallèle, le Sarinois se passionne pour le capital-risque, ce qui l’a incité à prendre des participations dans une vingtaine de sociétés en Suisse et à l’étranger. Chez le fabricant italien de chapeaux de luxe Borsalino, par exemple, ou dans le sport, en tant que membre du conseil d’administration de son club de cœur, Fribourg-Gottéron. Le sport. Le foot en particulier. Son nouveau dada…
Dans notre dernière édition, vous disiez que vous rêviez de vous offrir le Lausanne-Sport ou Neuchâtel Xamax. Entre rêve et réalité, où en êtes-vous?
J’ai posé une question aux deux clubs: êtes-vous vendeur à court terme? J’attends leur réponse. Concernant Xamax, j’étais déjà candidat à son rachat en 2019. Le club a finalement choisi son propriétaire actuel, raison pour laquelle je suis rentré au conseil d’administration de Gottéron. Pour l’anecdote, suite à votre article, j’ai reçu exactement 485 messages, demandes et propositions. De Suisse, de France, d’Angleterre et même du Brésil. J’ai encore quelques années devant moi pour réaliser quelque chose.
Le foot, une passion?
J’aime bien. J’en ai fait dans les ligues régionales de mes 8 ans à mes 20 ans. Mais ma véritable passion, ce sont les affaires. A 60 ans, j’ai encore le feu sacré, la santé, l’ambition et un peu de moyens. J’ai donc créé XXL Sport Invest, dont je suis seul propriétaire et qui dispose d’un capital de plusieurs dizaines de millions de francs. En Suisse, je suis ouvert au foot, au hockey et au basket. Quand je pense que des villes comme Zurich, Berne ou Lucerne ne possèdent pas de club de basket dans l’élite, c’est incroyable. A l’étranger, seul le foot professionnel m’intéresse.
Après le PSG et le Paris FC, la capitale française vivra-t-elle bientôt au rythme d’un troisième club de D1? Sauvé de justesse d’une relégation en National, le Red Star FC 93, fondé en 1897 par Jules Rimet, le créateur de la Coupe du monde, n’attend qu’un investisseur pour retrouver l’élite et son lustre d’antan. Pascal Gross est sur les rangs.
En Suisse, c’est une activité qui est le plus souvent déficitaire. Même Christian Constantin, qu’on ne peut pas qualifier d’homme d’affaires junior, y va de plusieurs millions de sa poche à Sion. Comment ferez-vous mieux?
Young Boys et Bâle ne perdent pas d’argent. Ces clubs ont certes naguère bénéficié de l’appui de gros investisseurs mais, depuis, ils ont rendu leur offre si attrayante qu’elle permet de remplir leur stade tous les week-ends ou presque. C’est le facteur clé de leur réussite. A Sion, à Lausanne ou à Neuchâtel, les stades affichent rarement complet, loin de là même parfois. Ça ne peut pas marcher. Quelle que soit la moyenne de spectateurs que réalise le club, la mission prioritaire et capitale de son président est d’aller chercher les milliers de fans manquants.
Un défi que vous êtes en mesure de relever?
Absolument. Avec ma créativité, je suis capable de remplir un stade à tous les matchs. Comment être content d’accueillir 3000 personnes dans une enceinte qui peut en contenir 12 000? Il y a la bonne méthode, la mauvaise méthode et il y a ma méthode, car j’ai l’avantage de ne rien faire comme les autres. Et puis, il y a le réseau. Quand je suis entré au conseil d’administration de Gottéron, le mien était déjà enviable. Mais avec le hockey, il a explosé. Ainsi, l’argent qu’un investisseur injecte dans son club lui revient souvent par son business. Au final, je ne suis pas sûr qu’il soit perdant.
Qu’a-t-elle de révolutionnaire, votre méthode?
Tout. La stratégie tournera autour d’une seule question: comment offrir une journée incroyable à des fans à travers un match? Ce dernier restera bien sûr l’élément central, mais le spectacle ne se limitera pas au terrain. Il y en aura avant et après. J’ai envie de dire de 11 h à 18 h, avec le match en apothéose. A Gottéron, nous devons encore professionnaliser l’offre dans certains secteurs mais, globalement, grâce à nos infrastructures, à notre organisation et à nos 400 bénévoles, cela fonctionne et le club réalise du bénéfice alors qu’il perdait de l’argent il n’y a encore pas si longtemps. A chaque match, la patinoire est pleine, nous vendons 1300 fondues et des tonnes de bière. La saison prochaine, il y aura 200 places supplémentaires dans le stade, lequel pourra accueillir à terme 10 000 personnes sans que cela nécessite de grands travaux. Et même si on en dénombre déjà plus de 800, il y a encore de la place pour des sponsors-annonceurs à 3500 francs la saison.
Gottéron est pratiquement au top partout, sa marge de progression, notamment financière, paraît donc faible pour lui permettre de remporter enfin un titre national.
Vous avez raison sur un point: malgré un budget qui a été multiplié par deux (le consensus le situe à 35 millions de francs, ndlr), il manque quelque chose pour décrocher le graal. Je ne suis pas un spécialiste de hockey, mais on me parle de profondeur de banc qui nous fait apparemment défaut. Il s’agit dès lors d’étoffer encore notre contingent. Pour y parvenir, nous avons besoin de revenus supplémentaires. Et en cela, vous avez tort.
C’est-à-dire?
Notre marge de progression est plus importante que vous ne le pensez. Nous devons développer notre merchandising. Plusieurs projets d’outils digitaux sont également à l’étude. Comme les bandes équipées d’affichage publicitaire led et la diffusion des matchs à domicile sur grand écran à la halle des fêtes située près de la patinoire, qui peut accueillir 800 personnes. Le must sera un jour de pouvoir projeter de manière virtuelle les matchs à l’extérieur directement sur la glace de la BCF Arena. En clair, voir Berne-Fribourg ou Lausanne-Fribourg depuis nos travées comme si vous étiez sur place. Le jour où cette prouesse technologique sera réalisable, il n’y aura plus que des matchs à domicile. Tous ces projets sont en cours.
Vous allez au mieux passer pour un doux rêveur et au pire pour un grand mégalomane...
Pas grave. Si j’ai un talent, c’est de percevoir ce qui ne va pas dans une entreprise et de savoir comment y remédier. Je suis programmé pour imaginer un concept d’affaires selon les opportunités qui se présentent. J’ai toujours eu l’ambition d’accomplir quelque chose avant celle d’être quelqu’un. J’aime l’idée d’être une arme de construction massive.
On vous dit doté d’un ego surdimensionné. Vous offrez par exemple des dragées à votre effigie…
C’est vrai. J’aime les gens mais la personne que j’aime en premier lieu, c’est moi-même. J’ai une grande gueule mais j’assume. Je suis un dictateur, mais un dictateur social doublé d’un égoïste généreux. Dur en affaires, mais qui sait rester juste, je crois. Je fais toujours ce que je dis et je dis toujours ce que je pense, tant dans le business qu’en amitié. Je n’ai donc ni rancœur, ni frustration en moi, ce qui me permet de jouir d’une santé solide. Et si je possède une qualité, c’est celle de ne pas être rancunier. C’est très rare en affaires.
Comment fait-on pour gérer une vingtaine d’entreprises et autant de participations simultanément?
C’est beaucoup de sacrifices. J’ai par exemple choisi de ne pas avoir d’enfant. J’ai été élevé pour faire des affaires. Je suis connecté H24 et 7/7 à mon téléphone. Mon bureau, c’est ça (il brandit son smartphone)! Quand on brasse autant d’affaires, les gens attendent des réponses à leurs questions. C’est normal. Pour moi, il est inconcevable d’éteindre mon téléphone pendant que je mange ou pour regarder la télé. J’ai la chance d’avoir une compagne qui me comprend, croit en moi et me soutient depuis vingt ans. Il faut savoir déléguer aussi. Plus de 200 personnes gravitent autour de moi, supervisées par une comptable qui m’accompagne depuis longtemps et qui a les yeux sur l’ensemble des activités. Moi, je suis là pour les coups de cravache et les coups de gueule. Mais ce sont eux qui bossent.
Combien de salariés XXL Group occupe-t-il et quel est son chiffre d’affaires annuel?
Entre 20 et 30 pleins-temps. Mais on estime que l’ensemble de nos activités et de nos engagements permet à 250 personnes d’aller au boulot tous les matins. Quant au chiffre d’affaires, nous ne le divulguons pas. Je me contenterai de le situer à quelques dizaines de millions de francs.
Mon rôle est comparable à celui d’un samouraï. Il est né pour la guerre et s’entraîne au combat toute sa vie. Tel est son destin. Il n’a qu’un seul but: la victoire.
Votre moteur, c’est l’argent?
Cela dépend de quel côté on se place. Vu du chef d’entreprise, oui. Une entreprise qui ne grandit pas meurt. Mon rôle est comparable à celui d’un samouraï. Le samouraï est né pour la guerre. Il s’entraîne au combat toute sa vie. Tel est son destin. Il n’a qu’un seul but: la victoire. S’il échoue, il meurt. Les affaires, c’est la guerre et je suis un guerrier. Sur 300 décisions par année, il suffirait que j’en prenne trois mauvaises pour me mettre à terre. Vu de l’homme, c’est différent. Avant l’argent, je crois à certaines valeurs. La famille, l’éducation, l’honnêteté, le respect, l’honneur et la loyauté surtout. Aujourd’hui, nous vivons dans un monde où les gens se fréquentent par intérêt. Les véritables amitiés sont rares et les valeurs sont souvent bafouées par l’argent. Moi, j’ai choisi de croire en l’être humain.
Un homme d’affaires à l’ancienne en somme…
J’ai la passion des affaires, de la vie et j’ai confiance en moi. «La confiance avant tout» est d’ailleurs le slogan du groupe. Mes rêves m’ont poussé à aller toujours de l’avant. Pour moi, la société est divisée en trois catégories: 75% des gens n’ont pas de rêves, 20% en ont mais ne font rien pour les atteindre et 5% les réalisent avec conviction et énergie. Je fais partie de cette dernière.
Quel regard l’entrepreneur à l’ancienne porte-t-il sur notre époque?
Si tu abordes la vie et les affaires avec une attitude positive, en étant un poil philosophe face aux emmerdes, alors tu peux vivre la quintessence d’une époque exceptionnelle. Il y a 400 ans, les gens n’avaient pas d’eau chaude et un pantalon pour toute leur vie. Aujourd’hui, avec du travail, de la créativité et un peu d’argent, on peut vivre des aventures professionnelles et humaines incroyables. Personnellement, je m’éclate dans tous mes projets, petits ou grands.
A vous entendre, la Suisse et la Suisse romande en particulier sont donc propices à cet épanouissement…
Absolument. Tout n’est pas parfait mais les conditions-cadres, dans lesquelles j’englobe l’accès au savoir et aux technologies, permettent de bosser, d’avancer, de grandir. A condition de maîtriser ses coûts cependant. On sait que ce qui coûte le plus, chez nous, sont les salaires et les locations. Le secret de la réussite est donc de savoir s’adapter à la vitesse de l’éclair aux soubresauts et au ralentissement des affaires. Si, pour une raison X, votre chiffre d’affaires baisse de 10, 20 ou 30% et que vous n’avez pas adapté vos charges en conséquence, vous êtes mort.
Quel conseil donneriez-vous à des adolescents en mal d’avenir professionnel?
Je ne donne pas de conseil, je constate. 1: la connaissance, c’est le savoir et le savoir, c’est le pouvoir. 2: pour réussir, il faut s’engager fond, car tout ce qu’on fait à moitié donne de la m... Et 3: pour devenir chef d’entreprise, il faut appliquer la règle des trois T: tout, tout de suite, tout seul!
Vous avez créé une fondation caritative…
Exact. XXL Fondation, reconnue d’utilité publique, qui participe au combat contre la faim dans le monde. Elle permet de livrer en vingt-quatre heures des fleurs n’importe où sur la planète. Ou, pour 350 francs par année, elle vous assure quatre livraisons à qui voulez, où vous voulez, à la date que vous voulez. Bon an, mal an, le bénéfice varie entre 150 000 et 200 000 francs. Cela nous permet d’acheter de la nourriture et de la livrer au bon endroit ou de faire des dons à la Banque alimentaire de Fribourg, qui collecte, stocke et distribue des denrées à des personnes en situation de précarité alimentaire. On ne peut pas sauver tout le monde, mais j’ai choisi cette cause car je ne trouve pas normal de mourir de faim en 2025. J’estime que je suis un privilégié de la vie et que, à ce titre, chaque personne bien portante devrait choisir un combat social...
1965
Naissance à Fribourg, du côté francophone de la ville, où il grandit.
1980
Brevet de technicien en marketing, à Lausanne.
1987
Maîtrise fédérale de chef des ventes.
1995
A l’âge de 30 ans, il reprend l’entreprise familiale fondée par son père.
2019
Arrivée au sein du conseil d’administration de Fribourg-Gottéron, après avoir échoué dans le rachat de Neuchâtel Xamax.