La Maison-Blanche a frappé fort en plaçant la Suisse sur la liste des rares économies à avoir été encore plus durement touchées que prévu après le fameux «Liberation Day», en avril 2025. Ce ne seront pas 31% mais bien 39% de tarifs douaniers sur les biens entrant aux Etats-Unis depuis la Suisse. Pour l’heure, les produits pharmaceutiques et l’or, les marchandises les plus importantes au sein des exportations suisses vers les Etats-Unis, sont exonérés. En moyenne, l’ensemble des marchandises suisses ne sera donc taxé qu’à hauteur d’environ 12%. Ainsi, il y a lieu d’espérer que les effets néfastes de la politique commerciale américaine sur la santé des entreprises suisses restent, dans l’ensemble, limités. Mais pour les centaines d’entreprises industrielles, actives dans les machines-outils, l’horlogerie et la fabrication de matériel médical dont le modèle économique dépend souvent fortement des exportations vers les Etats-Unis, les barrières douanières auront de lourdes conséquences, alors que ces secteurs souffrent encore de la période covid.

Contenu Sponsorisé
 
 
 
 
 
 

Directeur du Centre Patronal depuis 2007, Christophe Reymond estime que les entreprises suisses tiendront bon face aux volontés protectionnistes des Etats-Unis. Mais il appelle la Confédération à continuer de négocier dans l’espoir d’un accord plus favorable et de veiller à ne pas alourdir les charges salariales.

Les entreprises suisses qui exportent aux Etats-Unis doivent payer 39% de taxes douanières. Vous étiez-vous préparé?

Personne n’était préparé. Les négociations semblaient sur la bonne voie et devaient permettre de dessiner les contours d’un accord convenable pour notre pays. Aujourd’hui, il faut se relever et se mettre à l’œuvre pour atténuer les effets délétères de ces barrières douanières.

L’économie est-elle prête à affronter ce nouvel obstacle aussi imposant qu’inattendu?

De nombreux entrepreneurs avaient accéléré leurs exportations vers les Etats-Unis en prévision de l’introduction de nouveaux droits de douane. Les scénarios semblaient mener de toute façon à des taxes douanières en hausse et personne ne s’attendait à une exonération totale pour les marchandises suisses envoyées aux Etats-Unis. Maintenant que le taux exact est connu, les exportateurs examinent leur marge de manœuvre, notamment en vue de répercuter les coûts supplémentaires engendrés par les tarifs douaniers sur les prix de vente. Pour les fabricants de produits de luxe ou difficilement substituables, c’est une option parfaitement envisageable.

L’idée est donc de répercuter les surcoûts sur l’ensemble de la clientèle, et pas seulement celle se trouvant aux Etats-Unis, afin d’éviter une hausse trop brusque de leurs prix?

C’est évidemment une possibilité. Certains décideront de relever leurs prix sur tous les marchés et d’autres seulement aux Etats-Unis. La solution dépendra de la nature des biens exportés. S’il s’agit de montres de luxe, une augmentation de prix ou une diminution de la marge bénéficiaire sera plus facilement envisageable que pour du matériel médical ou des dosettes de café.

Dans ce combat, les entreprises exportatrices suisses ne luttent pas à armes égales.

Non, il y a de grandes disparités entre secteurs et, par ricochet, entre zones géographiques. Les entreprises horlogères, les fabricants de matériel médical et de machines-outils, l’industrie alimentaire seront les plus touchés. Ainsi, l’Arc jurassien paraît plus exposé à des baisses d’exportations vers les Etats-Unis que l’Arc lémanique, par exemple. Cela dit, je pense qu’il ne faut pas céder au catastrophisme, l’économie suisse est assez diversifiée et robuste pour surmonter cette épreuve.

Certains industriels écoulent 20 ou 30% de leur production aux Etats-Unis, et plusieurs craignent de devoir recourir aux licenciements. Comment peut-on éviter ce scénario?

Chaque entreprise doit élaborer la meilleure stratégie pour limiter les dégâts. C’est elle qui est la mieux placée pour prendre les meilleures décisions. Il ne faut pas attendre de remèdes miracles des pouvoirs publics.

Les négociations avec les Etats-Unis se poursuivent. Faut-il garder espoir?

Il faut le souhaiter. La recette adoptée par la Maison-Blanche est un mauvais remède à un mauvais diagnostic. Le scénario actuel est déplorable mais il n’est pas gravé dans le marbre. La politique du président Trump se caractérise par sa versatilité et elle est susceptible de changer ces prochains mois. Le Conseil fédéral a raison de ne pas envisager une stratégie de représailles et de poursuivre les discussions.

Il faut donc faire profil bas pour espérer s’en tirer à meilleur compte? Cette méthode n’a pas vraiment fonctionné jusqu’à présent.

Cela nous rappelle que la Suisse est une puissance économique moyenne, mais un petit pays du point de vue géopolitique, par ailleurs isolé. Ces caractéristiques ne jouent pas en sa faveur en l’occurrence. Mais il faut rappeler que seule une poignée de partenaires commerciaux ont réussi à engager un vrai rapport de force avec les Etats-Unis. Même l’Union européenne a dû consentir à de nombreux sacrifices pour limiter les tarifs douaniers américains à 15% sur ses exportations. Seuls la Chine, l’autre géant mondial, le Canada et le Mexique, dont les économies sont très intégrées avec celle des Etats-Unis, ont décidé de répondre frontalement.

Seule une poignée de partenaires commerciaux ont réussi à engager un rapport de force avec les Etats-Unis.

Certains proposent de taxer l’or à l’exportation vers les Etats-Unis. Les grandes quantités d’or qui ont transité par la Suisse en 2024 ont encore creusé le déficit commercial des Etats-Unis vis-à-vis de la Suisse. Pourquoi ne pas prélever une taxe sur ces lingots pour aider les entreprises suisses touchées?

Les autorités doivent examiner de près toutes les solutions qui se présentent à elles. Je ne suis pas sûr que cela doive aboutir à une mesure aussi insolite que celle préconisée par Nick Hayek ou Carlo Sommaruga (conseiller aux Etats PS/GE, ndlr). Je ne vois pas très bien comment mettre en place un mécanisme de redistribution visant à aider les entreprises touchées. Comment évaluer équitablement quelles entreprises doivent être dédommagées et dans quelle mesure? Dans la pratique, il est extrêmement difficile d’établir précisément les causes d’une perte, et plus encore d’un manque à gagner.

Avec l’exonération des droits de douane sur les produits pharmaceutiques et l’or, ce sont les petits industriels qui contribuent le moins à l’excédent commercial qui seront les plus touchés. Cette injustice ne devrait-elle pas être corrigée?

Il est encore trop tôt pour se lancer dans ces calculs. De plus, la situation pour l’industrie pharmaceutique apparaît très incertaine. Le président américain a menacé de lui imposer des droits de douane de 250% d’ici à l’année prochaine si elle ne baissait pas ses prix. Comment échafauder un mécanisme de solidarité entre entreprises exportatrices dans ces conditions? Il faut, en priorité, continuer de négocier avec l’administration américaine afin d’améliorer – ou au moins stabiliser – nos relations commerciales.

Certains suggèrent que l’on remette en cause l’imposition minimale des entreprises de 15% imposée par l’OCDE. Qu’en pensez-vous?

La majorité des autres Etats, à commencer par nos voisins membres de l’UE, appliquent l’impôt minimal de 15%. Tant que cela est le cas, il n’y a aucun intérêt financier à envisager de le supprimer, ni pour nos collectivités publiques, ni pour nos entreprises qui se verraient contraintes de s’acquitter de la différence dans les autres Etats. Personne n’a donc rien à y gagner. Sur le plan fiscal, il serait en revanche judicieux d’examiner la mise en place de paquets de soutien à la recherche et à l’innovation, comme cela a été fait dans la foulée de l’impôt minimal à Bâle, à Lucerne ou à Zoug.

Vous vous prononcez pour une amélioration des conditions-cadres, une recette «classique» mais toujours pertinente aujourd’hui. Quelles sont les mesures prioritaires?

La prolongation à vingt-quatre mois du régime du chômage partiel est une mesure qui sera vraisemblablement adoptée, et c’est très bien. Je ne crois pas que ce soit un remède miracle. Mais pour les entreprises les plus vulnérables, cela permettra d’amortir le choc. Pour le reste, il faut porter une attention particulière aux coûts du travail. Au niveau fédéral, nous devons nous mobiliser contre les prélèvements supplémentaires sur les salaires, par exemple, pour financer la 13e rente AVS. En parallèle, il faut travailler systématiquement dans les cantons, qui ponctionnent parfois beaucoup pour financer la formation ou la politique sociale. Ces prélèvements pèsent de plus en plus lourd sur les charges des entreprises. Dans le canton de Vaud par exemple, une augmentation de cotisation sera introduite en 2026 pour financer les prestations complémentaires en faveur des familles, après une augmentation l’an passé des allocations familiales. Il faudrait pourtant tout mettre en œuvre pour ne pas pénaliser les employeurs déjà en difficulté. Avant de demander des soutiens publics pour les entreprises, les autorités devraient éviter de générer davantage de vents contraires pour l’économie.

Face aux difficultés croissantes d’accès au marché américain, certains préconisent de multiplier les traités de libre-échange. Qu’en pensez-vous?

Il est toujours bénéfique d’élargir les marchés d’exportations. Actuellement, les accords avec le Mercosur, l’Inde et la Malaisie doivent être ratifiés. Ceux avec la Chine ou le Japon doivent être modernisés. Il faut s’y atteler au plus vite, car l’effet de substitution recherché mettra sans doute plusieurs années à se matérialiser. Même avec le meilleur accord commercial possible, nouer des relations solides prendra du temps.

Les droits de douane à l’entrée en Suisse ont été supprimés en 2024. La mesure avait été soutenue par les représentants des milieux économiques. Etait-ce une bonne stratégie?

Le Centre Patronal avait accueilli la mesure avec scepticisme à l’époque. Mais il est vrai que les milieux économiques s’étaient majoritairement prononcés en sa faveur. J’estime que les droits de douane sur les importations auraient dû rester en vigueur, sauf pour les partenaires avec lesquels nous avions passé des accords qui préservent également nos intérêts. Cependant, je doute que la tournure des événements sur le dossier américain eût changé si nous avions maintenu les droits de douane suisses. Ce n’était pas un levier de négociation assez déterminant pour faire la différence.

Faut-il redoubler d’efforts pour que les bilatérales III soient adoptées?

Maintenir des relations stables et apaisées avec cet important partenaire commercial est un avantage pour l’économie suisse. Il s’agit cependant davantage de la perpétuation d’une situation que de l’espoir d’un nouveau départ. Les entreprises romandes sont suffisamment pragmatiques pour soutenir le nouveau paquet d’accords mais je doute qu’elles en attendent un changement extraordinaire. Avant même que les Etats-Unis annoncent les 39%, nous avons réalisé une enquête pour mieux connaître la position des entreprises vis-à-vis du paquet de nouveaux accords avec l’UE. Le soutien s’est élevé à 61%. Il s’agit de continuer de bénéficier du marché intérieur et de la libre circulation, ce qui est certes de première importance, mais qui n’est pas nouveau.

Bio express

1965
Naissance à Bienne.

1990
Achève son doctorat en droit à l’Université de Lausanne.

1992
Réalise un master en droit européen au King’s College de Londres.

2007
Devient directeur général du Centre Patronal.