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Sous-traitant majeur de l’industrie automobile, le spécialiste zurichois des isolations thermo-acoustiques a crû de 5% ces trois dernières années alors que ses principales clientes, les marques européennes, subissent les assauts de la conjoncture depuis plus de cinq ans.
Julien Crevoisier
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Malgré un contexte difficile, Autoneum tient le cap. Au premier semestre 2025, la firme zurichoise spécialiste des isolations thermiques et acoustiques pour véhicules a affiché un résultat net en hausse de 12,7%. La société a ainsi augmenté son chiffre d’affaires de 2,3 milliards à 2,5 milliards en 2025. Ces performances contrastent pourtant avec la tendance générale de l’industrie automobile européenne. Depuis la pandémie de covid, les ventes du secteur fléchissent et les carnets de commandes des sous-traitants s’effritent. Même le géant Georg Fischer s’est retiré du marché en vendant sa filiale GF Casting Solutions à un groupe mexicain. Mais Autoneum affronte cette période d’incertitude avec flegme et méticulosité, décidée à relever les défis structurels qui s’imposent aujourd’hui à l’industrie automobile.
«Pour nous, la rentabilité passe avant la croissance», dit Eelco Spoelder. Le Néerlandais, passé par Forvia et Continental, a été nommé directeur général d’Autoneum en 2023. «Nous mettons l’accent sur l’excellence opérationnelle, avec des ajustements des capacités de production. Mais la partie la plus importante reste le portefeuille produits, où nous nous efforçons de nous différencier en fabriquant des pièces proches des besoins de nos clients, par exemple avec des isolations acoustiques de première qualité pour les berlines allemandes ou avec des nouveaux revêtements de sécurité pour les batteries des véhicules électriques, comme des plaques anti-chocs et des protections anti-flammes.»
Pour Jérôme Schupp, responsable des investissements chez Prime Partners à Genève, la santé d’Autoneum atteste d’une gestion financière bien rodée. «Dans le secteur de la sous-traitance automobile, les entreprises se satisfont de marges à hauteur de 5%.» Résultat: les emprunts et les levées de fonds deviennent des opérations risquées, surtout lorsque les taux d’intérêt sont élevés. «Pour investir dans la croissance, ces entreprises doivent générer des liquidités.» Et à ce jeu-là, la firme suisse s’illustre avec brio. Au premier semestre 2025, elle disposait de 48,4 millions de francs de flux de trésorerie disponible (ou «free cash-flow»), en hausse de 24% par rapport à l’exercice précédent. «Cette trésorerie est essentielle pour acquérir de nouvelles unités de production», commente le spécialiste.
Pour les maillons de la chaîne d’approvisionnement de l’industrie automobile, le positionnement géographique est la clé du succès, et même de la survie. «Notre stratégie consiste à produire au plus près de nos clients: cela favorise une véritable proximité avec eux, limite les distances de transport et donc l’empreinte carbone, tout en réduisant l’exposition aux barrières douanières», explique Eelco Spoelder. Seuls quelques rares composants franchissent des frontières. Dans ce contexte de tensions commerciales accrues, Autoneum, présente dans 25 pays répartis entre l’Europe, l’Asie, l’Afrique et les Amériques, dispose d’un avantage indéniable. Une stratégie conçue pour répondre au découpage du marché mondial, divisé en trois marchés majeurs: les Etats-Unis, l’Europe et l’Asie. «Généralement, les cycles économiques de ces trois marchés sont désynchronisés. Par exemple, lorsque la tendance est à la baisse en Asie, elle peut être compensée par une reprise aux Etats-Unis ou en Europe, et inversement. La diversification géographique permet de lisser le bilan global», indique Jérôme Schupp. Actuellement, la croissance des constructeurs automobiles chinois permet de compenser la demande atone en Europe. «Le covid a paralysé le secteur. Mais en Europe, le rebond attendu avec la fin des restrictions sanitaires a été bridé par l’inflation. Résultat: les ventes restent inférieures à leur niveau de 2019.» Par ces temps agités, la meilleure façon d’aller chercher la croissance est d’acquérir de grosses capacités de production sur des marchés où la marge de progression est plus large. On pense naturellement à la Chine, ainsi qu’aux marchés asiatiques adjacents.
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Le fabricant suisse d’isolants thermiques et acoustiques a racheté son concurrent chinois Jiangsu Huanyu Group fin 2024, entérinant ainsi une étape supplémentaire de son implantation dans l’Empire du Milieu. L’entreprise dispose d’une quinzaine de sites de production en Chine et 90% de sa clientèle est chinoise. Elle produit des pièces intérieures pour automobiles, telles que les tapis, les tableaux de bord, les pavillons de toit, les habillages de coffre et les éléments de finition intérieure. Au premier semestre 2025, c’est d’ailleurs cette acquisition qui a permis à Autoneum d’afficher une croissance, inorganique. «A moyen terme, le marché asiatique comptera pour 20% de nos ventes. C’est là que le potentiel de croissance est le plus élevé», explique le directeur général. Même si l’Asie et son marché phare, la Chine, sont actuellement dans le viseur, Autoneum assure ne pas se détourner de son Europe natale. «Le Vieux-Continent représente toujours 50% de notre chiffre d’affaires, et les dizaines de constructeurs qui y sont implantés constituent toujours une clientèle abondante pour nous.» En 2023, Autoneum s’était offert son concurrent allemand Borgers, alors en situation d’insolvabilité, à hauteur de 117 millions d’euros. La transaction a dopé le résultat net du groupe suisse. «Cette acquisition nous a surtout permis de parfaire notre portefeuille, avec des produits solides dans les passages de roues et des applications d’isolation pour coffres», explique Eelco Spoelder. Et pour couronner le tout, les portefeuilles clients des deux entreprises étaient quasiment similaires.
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«Nous avons créé un nouveau pôle d’innovation à Shanghai pour répondre aux besoins de nos clients sur place.»
Eelco Spoelder, directeur général, Autoneum
En Chine, la motorisation électrique représente près d’un nouveau véhicule sur deux en 2024. L’occasion pour Autoneum d’adapter son portefeuille et de proposer de nouveaux concepts à haute valeur ajoutée? «Nous avons créé un nouveau pôle d’innovation à Shanghai, dans l’optique de développer des produits en adéquation avec les besoins de nos clients sur place, dit Eelco Spoelder. La mobilité électrique élargit notre catalogue, avec la protection incendie des batteries, des écrans thermiques dans le moteur ou le bouclier du frunk (coffre situé à l’avant, typique des voitures électriques, ndlr). Mais ces nouveaux composants ne sont pas nécessairement plus lucratifs que les pièces que nous fabriquons pour les véhicules thermiques. La force de notre technique est de pouvoir équiper tous types de véhicules, quel que soit le mode de propulsion. Le passage à l’électrique n’est finalement que marginalement déterminant pour notre activité.»
Equilibre des finances, «near-shoring» au plus près de ses marchés clés et diversification du portefeuille produit, Autoneum semble avoir trouvé la clé pour garantir sa pérennité dans une industrie en pleine mutation.
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