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Start-up

CCRAFT, à la vitesse de la lumière

La start-up neuchâteloise CCRAFT lance la production industrielle de microprocesseurs de nouvelle génération. Plus puissantes et moins gourmandes en énergie, ces puces répondent aux défis posés par l’intelligence artificielle et les ordinateurs quantiques.

Erik Freudenreich

Alexandre Pauchard et Hamed Sattari

Le CEO du CSEM, Alexandre Pauchard, et le CEO de CCRAFT, Hamed Sattari, tiennent un wafer TFLN entre les mains.

CSEM

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Une consommation dix fois moindre pour un débit jusqu’à huit fois plus élevé que les technologies disponibles sur le marché. C’est la promesse des puces en niobate de lithium en couche mince (ou TFLN selon le sigle anglais) développées par la start-up neuchâteloise CCRAFT. Depuis quelques mois, une petite équipe installée au sein du Centre suisse d’électronique et de microtechnique (CSEM) à Neuchâtel s’attaque à un défi industriel de taille: produire des millions d’exemplaires de ces microprocesseurs et capter jusqu’à un tiers du marché mondial.

Les puces élaborées par CCRAFT sont «photoniques», c’est-à-dire qu’elles transportent et traitent les informations qu’elles reçoivent à travers la fibre optique directement sous forme de lumière plutôt que sous forme d’électrons, comme le font les puces en silicium classiques. «Lors de leur transit, les données circulent sous forme de photons dans la fibre optique ou sous forme d’électrons dans des circuits en silicium, explique Hamed Sattari, cofondateur et CEO de CCRAFT. Elles doivent souvent être converties plusieurs fois. Cette conversion coûte de l’énergie, génère de la chaleur et freine le débit. Grâce à notre expertise avancée en microfabrication, nous pouvons concevoir et fabriquer des circuits optiques à l’intérieur des puces en TFLN. Les signaux électroniques peuvent ainsi être convertis en photons beaucoup plus rapidement, avec une consommation d’énergie bien plus faible par rapport aux puces photoniques classiques en silicium.»

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Cette technologie permet de transmettre d’énormes volumes de données à grande vitesse, ce qui est particulièrement avantageux pour les centres de données dédiés à l’intelligence artificielle. Les technologies actuelles à base de silicium atteignent leurs limites en termes de transmission de données et d’efficacité énergétique.

Six ans de recherche

Le projet a pris forme après plus de six ans de recherche au CSEM. «Ce n’est pas l’idée d’une seule personne, mais une initiative d’une équipe de chercheurs, alignée avec la mission du centre, à savoir développer des technologies de pointe en vue de les transférer à l’industrie suisse. En 2022, nous avons décidé d’investir sérieusement dans cette technologie, car nous avons perçu son potentiel et anticipé les besoins à venir du marché. L’arrivée soudaine de l’intelligence artificielle générative a créé un besoin urgent d’augmenter les capacités de traitement des données.»

A l’heure actuelle, CCRAFT utilise une ligne de production pilote du CSEM pour produire ses puces. «Nous avons déjà livré des milliers de puces à plus de 40 partenaires industriels», précise Hamed Sattari. La start-up prévoit désormais d’étendre ses capacités de production en créant sa propre fonderie, toujours à Neuchâtel. «L’écosystème local et les compétences en microtechnique héritées de l’horlogerie offrent un terreau idéal. Dans un rayon de moins de 2 kilomètres, nous avons accès à tout le savoir-faire nécessaire pour tester, produire et assembler nos composants.»

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«Trois éléments convergents ont permis de lancer l’industrialisation: la maturité technologique, la validation du marché et l’arrivée de clients majeurs qui nous disent littéralement: «Nous avons besoin de vos puces hier.» Parmi les marchés visés, il y a les centres de données et les entreprises actives dans l’intelligence artificielle, qui représentent la demande la plus vigoureuse. «Les télécoms longue distance et intra-urbains représentent un autre secteur intéressant. Parmi les autres débouchés possibles, on peut citer les technologies quantiques, les applications spatiales et les systèmes de détection avancée. Le TFLN est, pour certaines de ces applications, la seule plateforme réellement viable», estime l’entrepreneur.

Ambitions mondiales

La start-up, qui compte une vingtaine de collaborateurs, veut devenir le leader européen du TFLN et l’un des trois principaux acteurs mondiaux dans ce domaine. «Notre objectif est d’atteindre une production de 12 millions de puces par an d’ici à 2030 et de capter jusqu’à 30% du marché mondial», souligne Hamed Sattari. Le défi est maintenant de passer ce cap industriel.»

Les promesses du TFLN sont nombreuses, mais la technologie reste peu maîtrisée jusqu’ici. Actuellement, d’autres projets sont en cours de développement en Chine et aux Etats-Unis. «Mais la plupart de nos concurrents en sont encore au stade des démonstrateurs ou sous-traitent leur production.» Pour l’ancien chercheur de l’EPFL, la Suisse figure parmi les leaders mondiaux de l’innovation et doit aussi devenir un leader en production industrielle dans des domaines stratégiques. «On pense encore trop souvent qu’on ne peut pas produire à grande échelle, ce qui est faux. A Neuchâtel, nous avons les compétences et la technologie. Parfois les chercheurs et entrepreneurs suisses devraient oser un peu plus.»

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