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Confronté à deux obstacles techniques majeurs, le grand projet de transport de marchandises Cargo sous terrain est désormais en cours de réaménagement, sous le regard intrigué – voire dubitatif – de ses investisseurs privés. Basile Mermoud
Les véhicules autonomes seront remplacés par des wagons tractés par câble pour proposer un modèle commercial plus performant.
Cargo sous terrainPublicité
Le projet est-il trop ambitieux? Il consiste à creuser des centaines de kilomètres de galeries sous le plateau suisse pour relier les principaux centres urbains du pays. D’abord entre Härkingen (SO) et Zurich, puis vers Berne, Lausanne, Genève, Bâle et Saint-Gall. Sur ces voies de communication d’un nouveau genre, ce sont des milliers de véhicules autonomes qui devaient circuler 24 heures sur 24 pour transporter marchandises et colis postaux d’un bout à l’autre du pays. Soutenu par plusieurs géants de l’économie suisse, le projet, baptisé Cargo sous terrain, unique au monde par ses dimensions, réduirait le trafic de poids lourds de 40% au niveau national. Pour un budget initial évalué à 33 milliards de francs.
Mais en avril 2025, Christian Späth, fraîchement nommé directeur général de Cargo sous terrain, annonce que les plans doivent être entièrement repensés, en raison de deux problèmes techniques majeurs. La recharge des véhicules électriques générait une chaleur excessive nécessitant un système de refroidissement coûteux. En outre, de nouvelles simulations ont révélé que le dispositif prévu risquait de provoquer des embouteillages similaires à ceux observés sur les routes de surface.
Exit les véhicules autonomes, place à un système plus classique, sous forme de wagons tractés par câble. «Ce n’est pas un aveu d’échec, mais plutôt une preuve d’agilité, essentielle pour aboutir à un modèle commercial performant. La nouvelle mouture du projet permettra par ailleurs de réduire les coûts d’investissement et d’exploitation», explique Patrik Aellig, porte-parole de Cargo sous terrain. Son coût total devrait passer à environ 25 milliards de francs, soit presque 25% de moins que le budget préalable. La société, créée en 2013 pour porter le projet, affirme que les objectifs restent inchangés: il s’agit de proposer une solution logistique souterraine et durable pour le transport de marchandises.
Pour Leon Zacharias, postdoctorant en logistique à l’Université de Saint-Gall et familier du dossier, la décision d’abandonner les véhicules autonomes constitue certes un tournant considérable, mais pas forcément inhabituel pour des travaux de cette envergure. «En renonçant à une innovation technologique majeure, les responsables lui ôtent une partie de son attrait d’un point de vue extérieur.»
Pour autant, ce projet pharaonique garde tout son sens. «La traction par câble est une technologie robuste, dont les risques sont maîtrisables, et pour laquelle on connaît précisément le fonctionnement ainsi que les coûts d’exploitation. Cela signifie qu’il n’y a plus de risque technologique, et donc un moindre risque financier pendant la construction et l’exploitation.»
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Ce revirement stratégique n’étonne pas Leon Zacharias. «Par le passé, la coordination au sein de l’équipe n’était pas toujours optimale. Des changements organisationnels et l’arrivée de sang neuf ont été nécessaires pour relancer le projet et motiver l’équipe. C’est un processus normal dans toutes les entreprises.» Mais il reste convaincu que l’idée garde tout son sens. «Je ne vois pas là un échec dans la prise de décision, car le principe de base reste inchangé. Il s’agit toujours de transport de marchandises souterrain à grande échelle.»
Un constat partagé par Olivier Français, ancien conseiller aux Etats (PLR/VD) et membre du comité en faveur de Cargo sous terrain. «Tout projet innovant comporte sa part de risques. Il faut parfois que les responsables revoient leur copie avant d’arriver à un résultat solide et pérenne.» L’homme politique vaudois, qui a notamment supervisé le chantier du m2 à Lausanne en tant que municipal, se montre confiant quant à l’avenir du réseau de fret souterrain. «La décision du comité me paraît judicieuse au regard de la situation. Mais il faudra attendre la mise en exploitation du réseau souterrain pour connaître le véritable impact sur le système de mobilité suisse.»
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Pourtant, des doutes subsistent. Au départ, les véhicules devaient circuler de manière autonome à environ 30 km/h. Mais avec le passage à un système de tractage par câble, peut-on encore espérer maintenir la même vitesse et le même débit de trafic? Selon les autorités concernées, ces questions trouveront réponse lorsque les contours du nouveau projet seront précisés.
L’Office fédéral des transports (OFT), chargé de la supervision, attend le dépôt officiel du dossier d’approbation. S’ensuivra un examen technique approfondi. «Avant cela, il incombe aux responsables de Cargo sous terrain de clarifier de tels défis et d’élaborer une nouvelle mouture susceptible d’être approuvée», dit Florence Pictet, porte-parole de l’OFT. L’office rappelle également les conditions fixées par la Confédération: autofinancement intégral, accès non discriminatoire aux installations, garanties de démantèlement en cas d’arrêt et actionnariat majoritairement suisse. «Le cadre légal est clair: aucun financement étatique n’est prévu», souligne la porte-parole.
Dès le lancement de Cargo sous terrain, le Conseil fédéral a clairement refusé d’engager des fonds publics. L’OFT estimait que les retombées pour la collectivité seraient limitées, évoquant tout au plus un «léger avantage». Un manque d’investissement que regrette Olivier Français: «La Confédération manifeste peu d’intérêt pour le transport souterrain et préfère miser sur CFF Cargo. A mes yeux, c’est une erreur stratégique.»
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