La question de savoir s’il est plus intéressant financièrement de rester locataire ou de devenir propriétaire soulève des controverses souvent épiques entre spécialistes. D’autant plus que tout le monde ne calcule pas de la même façon.

Du côté des banques, la méthode consiste généralement à prendre les intérêts payés pour l’hypothèque, les frais directs, les coûts de l’entretien (1% du prix d’achat) et l’amortissement convenu (1% aussi). A quoi il faut ajouter l’impôt sur la valeur locative du bien. Ce total mensualisé est ensuite comparé avec le loyer d’un objet comparable.

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Spécialiste de l’estimation hédoniste, le CIFI (Centre d’information et de formation immobilières) ne tient pas compte de l’amortissement du 2e rang de l’hypothèque (1% par an sur quinze ans). «Car c’est un investissement: réduire ainsi sa dette de 15% est en fait une façon de devenir le vrai propriétaire de son bien», commente son président, Donato Scognamiglio. En revanche, comme les banques, le CIFI prend le loyer brut augmenté de 10 à 15% pour les charges.

Certains économistes contestent cette pratique: le bien étant similaire, les charges devraient être peu ou prou identiques. D’autant que cette méthode induit un biais. Pour un appartement valant 600 000 francs et qui serait loué 2000 francs par mois avec 300 francs de charges, l’estimation des frais pour un propriétaire culmine à 6000 francs l’an (1% de la valeur du bien).

De son côté, selon ces calculs, le locataire s’en tire à 3600 francs (300 francs de charges x 12). «C’est parce que le propriétaire doit, lui, payer des frais d’entretien qui, la plupart du temps, sont assumés par les régies dans le cas d’un locataire», justifie Donato Scognamiglio.

Autre biais encore, chez UBS par exemple, les analystes immobiliers de la banque intègrent dans leurs estimations le «coût d’opportunité», c’est-à-dire le rendement que l’on aurait pu obtenir si l’on avait placé ses fonds propres ailleurs que dans la pierre.

Cette manière de faire est toutefois critiquée. Notamment du fait de la difficulté de déterminer quels sont les actifs «sûrs» qu’il faudrait prendre à titre de comparaison. «En plus, personne ne calcule comme ça, s’indigne le directeur d’une grande régie qui préfère toutefois rester anonyme. Si vous gardez votre argent sur un carnet d’épargne, vous n’avez, aujourd’hui encore, pratiquement pas de rendement. Et vous ne risquez pas de bénéficier des plus-values que la pierre assure toujours si on conserve l’objet sur la durée.»

Augmentation du bien avec les années

Dernier point critique: personne ne prend en compte cette possible augmentation du bien avec les années et l’éventuel gain immobilier qui en résulterait. Pourtant, c’est le raisonnement qui est fait quand on veut montrer le résultat global d’un fonds de placement coté…

Au-delà de ces querelles de spécialistes, Fredy Hasenmaile, chef économiste chez Raiffeisen, constate que, d’ici à douze mois, avec les baisses de taux attendues de la part de la BNS (encore 0,50% de moins), la propriété va redevenir plus avantageuse. «La prime à la propriété (cette majoration des prix souvent induite par le fait d’être propriétaire, ndlr) qu’on avait vu réapparaître avec la fin des taux négatifs est en train de disparaître.»

C’est ce que confirment les statistiques du CIFI: en 2021, Val de Bagnes (VS) était la seule commune romande à «subir» une prime de propriété de l’ordre de 15%. En 2023, la situation avait diamétralement changé. Si, dans le Valais romand, la région de Verbier restait la seule dans le rouge (avec une prime dépassant les 60%), tout le littoral lémanique, depuis Villeneuve jusqu’au bout du lac, subissait cet effet, avec des pourcentages oscillant jusqu’à 45%. Et, à Genève, l’ensemble du canton était touché.

Nouvelle évolution marquante cette année: il n’y a plus qu’une dizaine de communes à être concernées: toujours Val de Bagnes en Valais, Rougemont, Lausanne, Paudex, Pully ou Morges sur Vaud, ainsi que Genève, Carouge, Céligny, Chêne-Bourg, Corsier et Le Grand-Saconnex au bout du lac. Sur la côte lémanique, la situation s’équilibre désormais entre achat et location à Montreux, Buchillon, Ecublens, Préverenges et Saint-Sulpice. Même chose dans plusieurs communes genevoises: Bardonnex, Bernex, Chêne-Bougeries, Lancy, Onex ou Veyrier ainsi que les villages de Puplinge, Soral, Choulex et Jussy.

Propriété toujours défavorisée

En même temps, la question «acheter ou louer?» ne s’applique qu’à ceux qui cherchent un premier logement ou qui déménagent. Car, avec les distorsions de loyers créées par le droit du bail entre anciens et nouveaux locataires, la propriété est toujours défavorisée. Selon les différents experts consultés, une personne qui habite son appartement depuis plusieurs années bénéficie d’un «rabais» d’au moins 20% par rapport aux prix actuels du marché.

L’hésitation entre acquisition ou location reste donc souvent purement théorique. «C’est une discussion de gens aisés. Pour certains locataires qui peinent à acheter un vélo, elle revient à leur demander s’ils veulent une Porsche ou une Ferrari…», note Donato Scognamiglio.

En plus, au final, décider de devenir propriétaire parce qu’on en a l’envie et les moyens ne résout pas encore forcément la question. «Il faut aussi trouver le lieu et l’objet qui correspond à ses besoins et à ses aspirations. Et, malgré la pénurie, il ne faut pas se précipiter sur n’importe quel bien. Il faut qu’il reste liquide si les aléas de la vie font qu’on doit le revendre plus rapidement que prévu», prévient Jonas Wiesel.

En revanche, même s’ils auraient payé un prix un peu trop élevé, le responsable du site immobilier RealAdvisor conclut sur une note positive pour les potentiels primo-accédants: «Rester propriétaire de sa résidence pendant plus de dix ans présente un faible risque de ne pas réaliser une plus-value. Cependant, sur un horizon de vingt ans, ce risque devient négligeable, car il est très probable que la valorisation du marché immobilier compense largement.»

Acheter ou louer: la propriété redevient plus intéressante!

Dans l’immense majorité des communes romandes, il devient plus attrayant d’acheter son logement que de le louer. Mais l’accès à la propriété reste un rêve pour beaucoup de Suisses. Découvrez notre grand dossier:

PB
Pierre Ballay