«En quelques années, les personnes du troisième âge font face au décès de proches, voient apparaître des problèmes de santé et commencent à éprouver des difficultés à se déplacer. Ces sources d’angoisse peuvent contribuer à leur isolement social, ce qui les expose à l’anxiété et à la dépression.» La Dre Laura Camodeca est géronto-psychiatre à la Fondation du Nant, une institution parapublique responsable des soins psychiatriques de l’est du canton de Vaud. Pour cette spécialiste, il existe plusieurs moyens simples pour les seniors de se prémunir des maladies mentales, à commencer par la stimulation intellectuelle et sociale. «On peut se maintenir informé en lisant le journal, continuer de jouer aux cartes avec ses amis, pratiquer le yoga ou s’inscrire dans des universités du troisième âge, comme Connaissance 3 à Lausanne ou l’U3a de Neuchâtel. En outre, les associations ou structures dédiées aux personnes âgées, comme les centres d’accueil de jour, organisent des activités favorisant la socialisation, par exemple des après-midi jeux.» Pour les troubles mentaux liés à l’âge, les professionnels privilégient les approches non médicamenteuses. «Chez la personne âgée, on commence par des approches corporelles, comme les massages, la relaxation, la méditation de pleine conscience ou encore la luminothérapie.»
Améliorer les diagnostics
Les traitements non médicamenteux laissent eux aussi la place à l’innovation. Fondée en 2021 à Zurich, Healthy-Longer propose une nouvelle approche diagnostique des troubles mentaux comme l’anxiété, le déficit d’attention et la dépression, grâce à l’analyse du métabolisme. En recensant des biomarqueurs présents dans l’urine des patients, l’entreprise parvient à déterminer quelle étape du métabolisme est défaillante et pour quelle raison. «Cela peut être dû au manque ou à l’excès d’une hormone ou d’une enzyme, par exemple. Nous avons observé que ces perturbations neurométaboliques sont corrélées aux troubles mentaux comme l’anxiété, la dépression, l’épuisement ou les troubles de l’attention», explique Joanna Ledunger, directrice de Healthy-Longer. «Pour y remédier, nous utilisons des nutriments naturellement présents dans l’organisme, comme les acides aminés et des minéraux, pour stimuler ou inhiber le processus métabolique en cause.» Pour la startupeuse, les troubles mentaux sont encore trop souvent mal diagnostiqués. «En croisant les données physiques et psychiques, il sera possible de mieux évaluer l’état de santé des patients.» Soutenue par Innosuisse, Swissnext et CSS, Healthy-Longer a terminé son premier projet pilote et cherche désormais à lever entre 1 et 2 millions de francs pour déployer ses activités à plus grande échelle.
De nombreuses start-up suisses se sont lancées dans cette course à l’amélioration de la santé mentale. A Zurich, Mynerva a développé Leia, un dispositif médical utilisant une stimulation électrique pilotée par l’IA pour soulager la douleur chronique et restaurer la sensibilité chez les patients atteints de neuropathies liées au diabète. L’entreprise a levé 5,3 millions de francs. En 2016, MindMaze, entreprise issue de l’EPFL, est devenue la première licorne suisse. Cette medtech combine jeux vidéo et réalité virtuelle pour aider les patients souffrant de maladies dégénératives ou ayant subi un accident vasculaire cérébral. En proie à des difficultés financières, l’entreprise vaudoise a convaincu de nouveaux investisseurs suisses et américains début 2025 et devrait traverser cette période d’incertitude sans licenciements.
Ces solutions peuvent aider à renforcer les capacités psychomotrices à un âge avancé. En Suisse, près de 25% des plus de 65 ans subissent au moins une chute par an à domicile, avec des conséquences graves, comme des fractures, dans environ 5% des cas, selon les statistiques rapportées par le Bureau de prévention des accidents en 2022.
Convergence des savoirs de pointe, longue tradition de l’hospitalité spécialisée dans le bien-être et la santé et cadre juridique avantageux, la Suisse cumule les atouts dans le secteur de la longévité.
La réputation de la Suisse en tant que terre de bien-être et de santé date de plusieurs siècles. Il y a plus de 500 ans, le pape Léon X promettait l’absolution à quiconque entreprenait le pèlerinage vers les sources de Saint-Moritz (GR), riches en fer et réputées pour leurs vertus curatives. Au XIXe siècle, ce sont les bienfaits de l’eau froide et l’air alpin qui attirent les patients dans les sanatoriums helvétiques. Aujourd’hui, cette tradition d’accueil et de soins persiste et s’élargit à travers un écosystème où se croisent médecine de pointe, innovation biotechnologique et cadre juridique avantageux.
1. Des soins haut de gamme
Le pays a toujours su soigner sa réputation dans les services de luxe et du sur-mesure. Les spécialistes de la longévité ne dérogent pas à la règle. «Il existe une image de marque premium qu’il faut veiller à préserver par des soins de très haute qualité», estime le Dr Igor Martinek, cofondateur de la Clinique Suisse de Montreux. Cette attention portée à chaque patient permet non seulement de fidéliser une clientèle exigeante, mais aussi de justifier les tarifs élevés pratiqués en Suisse. «Pour rivaliser avec la Silicon Valley, il faut pouvoir continuer de proposer une véritable valeur ajoutée.» Selon le médecin, l’innovation seule ne suffit pas sans l’excellence du service.
La quête de longévité transcende désormais la seule barrière de la clientèle aisée, pour répondre à un besoin de santé publique. «Le système de santé entier doit évoluer pour répondre à l’enjeu du vieillissement de la population. Aujourd’hui, il n’est pas adapté», soutient Benoît Dubuis, coresponsable de projet pour le futur Campus Santé de Meyrin (GE). Pour lui, le secteur suisse de la longévité reste ainsi porteur tant pour les investisseurs privés que pour les autorités publiques. «Le pays dispose d’un très bon réseau d’hôpitaux et d’un écosystème de recherche de premier plan. En Suisse, les secteurs publics et privés ont bien compris l’ampleur du défi et des opportunités qui en découlent.» Parallèlement, le recours à la médecine esthétique s’est démocratisé. Le Dr Thierry Dauvillaire, fondateur de la clinique genevoise ReGeneva, observe cette évolution. «La clinique compte des patients de toute origine sociale. Je n’ai d’ailleurs jamais voulu réserver mes services à une clientèle fortunée.»
2. Un cadre coopératif et concurrentiel rare
«La Suisse est aux avant-postes de la biotech et de la medtech, note Benoît Dubuis. C’est un lieu de confluence entre médecine, technologie et entrepreneuriat comme il n’en existe que très peu dans le monde.» La collaboration étroite entre hôpitaux, centres universitaires et start-up est un puissant vecteur d’innovation. «Sur le Campus Santé, l’hôpital deviendra un lieu d’expérimentation et de prototypage, capable d’intégrer rapidement les innovations, en misant notamment sur la formation du personnel soignant aux nouveaux outils et aux nouvelles méthodes. A l’avenir, l’institution médicale ne devra plus uniquement soigner, mais aussi prévenir. C’est donc tout un système qu’il faut repenser. Cette transformation ne pourra être réalisée qu’à travers la coopération étroite de tous les acteurs clés.» Pour le Dr Thierry Dauvillaire, le cadre juridique suisse constitue un avantage supplémentaire: «La médecine esthétique est ici considérée comme un acte médical. A ce titre, elle n’est pas soumise à la TVA, comme c’est le cas en France, par exemple.» Anciennement installé à Divonne (F), le praticien souligne que le dynamisme actuel du marché suisse donne lieu à une concurrence féroce. «C’est un défi supplémentaire, mais cela oblige également les cliniques à se distinguer par leur expérience et la qualité de leurs soins.»
3. Ouverture sur le monde
A la Clinique La Prairie, institution de renom située à Montreux, près de 90% de la patientèle vient de l’étranger. A quelques kilomètres, à la Clinique Suisse de Montreux, le Dr Igor Martinek reçoit régulièrement des patients «qui font plusieurs heures d’avion pour suivre leurs soins». Cette affluence mondiale est rendue possible par l’excellente desserte aérienne du pays, renforcée par différents points d’entrée majeurs à Genève, à Zurich ou à Bâle. «La proximité de l’aéroport de Cointrin est un atout décisif pour le futur Campus Santé, dit Benoît Dubuis. C’est un avantage net pour attirer des talents internationaux, qu’il s’agisse de chercheurs, de professionnels de la santé ou de patients.»