Al’heure où les tartares d’aubergines broyardes au crum-ble de charbon actif ou le pesto de spiruline s’invitent dans nos assiettes, les milieux économiques précisent les priorités en matière d’alimentation. Food Innovation Europe pointe notamment la transition protéique socialement acceptée et durable, la circularité de l’agroalimentaire et la santé. En Suisse, ces jalons sont repris par Cluster Food & Innovation et Swiss Food & Nutrition Valley.

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Les entreprises ont déjà commencé à s’adapter et à innover. A preuve, les demandes en propriété intellectuelle (IP) venant du secteur alimentaire sont en forte hausse. Le cabinet de conseil en IP Katzarov à Genève a d’ailleurs créé un service dédié. Tour d’horizon des opportunités et développements en dix points.

1. Les nouvelles protéines

On en parle depuis un certain temps déjà. En cinq ans, les ventes de substituts de viande ont presque doublé en Suisse et représentaient un marché de 117 millions en 2020. Parallèlement, selon une étude de 2025 de l’Université de Saint-Gall, la consommation de viande diminue. Actuellement, 64% des ménages en mangent sans restriction, contre 71% en 2022.

Les conséquences sont directes pour l’agriculture, qui doit augmenter la production de pois protéagineux, lentilles, soja, féveroles, auparavant principalement importés ou cultivés pour nourrir les animaux. Ces cultures sont pourtant bénéfiques pour la régénération du sol et les blés côtoyant les féveroles contiendraient 15% de protéines en plus, selon l’institut FiBL. Moins connues, les graines de lupin se font une place, notamment avec la start-up Lupifood à Orbe qui promeut ces graines riches en protéines.

A une tout autre échelle, le Groupe Minoteries (GMSA), entreprise suisse spécialisée dans la transformation des céréales, retrouve des couleurs en se diversifiant. Elle a inauguré en juillet, à Riddes, le Moulin du Valais, soit le plus grand moulin à meule de pierre de Suisse. GMSA a par ailleurs investi à Granges-près-Marnand dans une nouvelle ligne de production dédiée aux protéines végétales, avec sa filiale Protaneo.

Côté investisseurs, le marché est attrayant mais instable. On se souvient de la start-up Beyond Meat, le burger végétal entré en bourse en 2019. L’action s’était envolée à 200 dollars avant de chuter de 81% et de végéter actuellement à 4 dollars.

2. Les aliments enrichis

Autre tendance: les aliments pour lutter contre les carences ou alicaments, terme formé des mots aliments et médicaments. On parle aussi d’alimentation préventive ou fonctionnelle. Ce marché d’aliments thérapeutiques naturels ou enrichis est en croissance, porté par la demande accrue de produits aux bénéfices santé ciblés. Il ne s’agit plus de compléments alimentaires sous forme de gélules, mais bien d’aliments du quotidien tels que café, chocolat chaud ou yaourt enrichis selon les besoins en protéines, antioxydants, agents relaxants...

Profitant d’un vide juridique, ce marché avait le vent en poupe il y a vingt ans, avant de se tasser. Aujourd’hui, il semble renaître, entouré d’un cadre légal plus strict dans lequel les preuves scientifiques des bienfaits de ces aliments boostés sont nécessaires. Ce point est central pour Nutriyado, start-up proposant des cafés et cacaos enrichis. «Nous travaillons avec des champignons chinois adaptogènes, et ce, avec une équipe de scientifiques, explique César Beuchat, docteur en chimie, responsable du produit. En buvant votre café ou cacao, vous profitez, selon la gamme choisie, d’un effet équilibrant sur votre métabolisme, d’un soutien à vos fonctions cognitives ou d’une dose relaxante.» La concurrence existe puisque des cafés au collagène ou à la protéine de petit-lait (whey) se déclinent sur le marché.

Nous travaillons avec des champignons chinois adaptogènes.

César Beuchat, Nutriyado

A noter que, selon l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV), 30% de la population adulte suisse consomme des compléments alimentaires. Un chiffre en recul par rapport à 2014, mais qui remonte et ne prend pas en considération des aliments enrichis que l’on trouve aujourd’hui chez tous les distributeurs.

3. Le fromage végétal

Domaine de niche, le «faux-mage» fait son chemin en Suisse, avec notamment un des plus importants producteurs: New Roots. A Oberdiessbach, il produit 200 000 faux-mages par mois. L’entreprise remplace le lait animal principalement par un lait à base de noix de cajou. Ce choix n’est pas celui de Yuki Cheeze qui propose depuis deux ans au marché de Lausanne des fromages à base d’amandes européennes, de millet bio suisse, de riz italien ou de soja bio suisse. «Je cherchais une alternative aux noix de cajou, qui ne sont pas très locales. J’ai d’abord commencé à produire pour ma propre consommation, puis petit à petit commercialisé nos différents produits et notamment un bleu végane pour lequel on a beaucoup de demandes», explique Chanelle Youssefi.

Je cherchais une alternative aux noix de cajou, qui ne sont pas très locales.

Chanelle Youssefi, Yuki Cheeze

Formée à l’EHL et fille d’un docteur en chimie, elle a lancé sa micro-entreprise avec son compagnon Guglielmo Billè, mais ne peut pas encore en vivre complètement. «Nous avons des demandes d’épiceries locales et même de grands distributeurs, mais pour le moment, nous n’avons pas les capacités suffisantes de production. Nous fabriquons 100 unités par semaine et nous souhaitons augmenter pour répondre à l’intérêt croissant», poursuit-elle. L’EHL a apporté son soutien au développement de Yuki Cheeze, dans le cadre d’un projet d’étudiants.

En mai 2025, la société alémanique Fabas a remporté le Prix Sud pour les start-up durables, avec des yaourts à base de haricots secs. A Genève, la Crémerie Végane est actuellement en pause temporaire, victime de son succès. En 2021, le marché mondial du faux-mage a atteint plus de 2,15 milliards de francs, avec un taux de croissance annuel estimé à 13% jusqu’en 2030, selon Le Temps.

4. Les sucres alternatifs

L’OSAV estime que la population suisse consomme deux fois plus de sucre par jour que la recommandation de l’OMS. On ingurgite donc en moyenne 100 grammes de sucre quotidiennement. De nombreuses maladies en découlent, occasionnant des coûts de santé élevés. C’est pourquoi l’OSAV veut réduire la teneur en sucre dans les aliments transformés. En signant la Déclaration de Milan, les fabricants de boissons et d’aliments se sont engagés à réduire volontairement la teneur en sucre de leurs produits de 10 à 15%, ceci à fin 2024.

En Suisse, plusieurs alternatives au sucre sont disponibles, offrant des options plus saines. Parmi les plus populaires: le miel, le sirop d’érable ou d’agave et la stévia. D’autres options, comme le sirop de yacon (la poire de terre), l’érythritol et le xylitol (sucre de bouleau) font leur chemin. Bruno Graf, de la Ferme du Château, produit un sirop de sorgho.

La réduction du sucre dans les préparations devient une priorité et un gage de qualité. C’est le cas des macarons Amarella, société qui a triplé sa capacité de production. En plus de réduire la quantité de sucre, elle utilise du sucre de dattes et des purées de fruits pour les garnitures, sans aucun additif et évitant le sucre raffiné. Chez Wander, connu pour l’Ovomaltine, on a signé la Déclaration de Milan et réduit le sucre dans certains produits. Pour quel coût et quel résultat? Esther Raemy, manager de projet R&D: «Les coûts liés à la réduction de la teneur en sucre ne peuvent être chiffrés de manière précise. Cependant, nos produits réduits en sucre ont été très bien accueillis et sont un atout important. A noter que nous n’utilisons pas de sucres alternatifs, mais adaptons les recettes.»

5. La fermentation de précision

Il s’agit d’une technique qui utilise des micro-organismes pour produire des aliments, de manière plus durable et avec un rendement accru. Elle se distingue de la fermentation traditionnelle par un contrôle plus précis. Certains parlent de cette technologie comme d’une domestication des micro-organismes. Ce modèle exploite le potentiel des levures, des bactéries, des algues et des champignons. En 2021, les start-up pratiquant la fermentation de précision ont levé 904 millions de dollars aux Etats-Unis, selon Gourmet Foods International (GFI).

En Suisse, la start-up genevoise Planetary a levé 12 millions de francs au total depuis 2022 et ouvert son entreprise à Aarberg. Elle a par ailleurs acquis Libre Foods, un spécialiste espagnol des aliments à base de champignons fermentés. Depuis cet été, Planetary commercialise ses filets de smilipoulet dans les 242 magasins Aldi de Suisse. «La production se fait dans une usine d’Aarberg, vers Bienne, signale David Brandes, le CEO de Planetary. Ce sont des mycoprotéines naturellement fermentées. Nous sommes désormais une quinzaine de collaborateurs. Outre la production à Aarberg, nous allons déménager les bureaux de Genève à Gland. L’avenir est prometteur puisque nous venons de signer avec trois distributeurs à l’étranger, en plus d’Aldi.» Planetary a l’exclusivité du procédé de fabrication des filets de poulet végétarien et propose une solution avec très peu d’ingrédients: mycoprotéines fermentées, blanc d’œuf, huile de tournesol et arôme naturel. La start-up prévoit d’élargir sa gamme de produits issus de la fermentation pour réaliser des alternatives à d’autres viandes, ainsi qu’à des produits laitiers.

6. Snacking et automates

Les trois repas traditionnels par jour sont-ils de l’histoire ancienne? Restaurateurs et producteurs d’aliments observent un changement d’habitudes depuis quelques années déjà. Selon le bulletin Nutrition Suisse, la population mange en moyenne 5,4 repas par jour et 2,7 sont des collations. En 2021, le snacking représentait déjà un chiffre d’affaires de 4,5 milliards de francs, avec une croissance annuelle de 4%. On dépense plus en snacks qu’au restaurant, les professionnels doivent donc adapter les portions et les horaires.

«La finger food américaine est arrivée chez nous avec trente ans de retard, mais elle est bien là. C’est désolant de constater qu’en 2025 McDonald’s est le premier restaurateur de Suisse et continue sa croissance folle. On veut du prêt-à-manger et de la praticité alimentaire. Cela génère une grande quantité de déchets», observe Sébastien Potet, cofondateur de Bien Bon, service de repas à domicile qui propose des repas en bocaux réutilisables. Confirmation de l’entreprise McDonald’s Suisse elle-même: «Entre 2024 et 2026, nous allons investir 250 millions de francs dans de nouveaux restaurants ou des sites existants», communiquait le groupe en avril.

Alternative au burger: les automates à produits sains. Dans le canton de Neuchâtel, ThaiBox propose un automate réfrigéré avec des repas thaïlandais cuisinés par le chef de SD Thai Food, 12/20 au GaultMillau. Le passant vient chercher son repas et le réchauffe chez lui. «Si on veut manger après 21 heures, il ne reste que McDo, kebab ou pizza. Avec ThaiBox, nous proposons une alternative qualitative. Le premier automate a été mis en service début août à Marin. En deux semaines, nous avons vendu 60 menus, alors que c’était les vacances. Nous prévoyons d’installer une dizaine d’automates entre Bienne, Yverdon, Estavayer et Neuchâtel, afin de réaliser des tournées intelligentes», explique le cofondateur de ThaiBox Christophe Imbaud.

7. Sauver l’eau

La gestion de l’eau devient peu à peu une préoccupation. Terraviva, à Chiètres, la plus grande coopérative bio de Suisse avec un chiffre d’affaires de 90 millions de francs, vient de faire peau neuve. Elle regroupe 80 producteurs bios. L’une des particularités de ce nouveau bâtiment à 52 millions est son circuit d’eau fermé. «Près de 90% de l’eau est recyclée, purifiée et réutilisée dans le processus de nettoyage des légumes. Cette pratique permet de récupérer également la terre qui, jusqu’à présent, partait dans les canalisations. Aujourd’hui, elle est ramenée dans les champs», explique l’un des ingénieurs de la construction lors des portes ouvertes du site.

Autres modèles d’avenir: l’hydroponie (racines dans l’eau) et l’aéroponie (brumisation d’eau et de sels minéraux). La scale-up vaudoise CleanGreens équipe au Koweït la plus grande ferme aéroponique du monde. Sa technologie permet une économie d’eau de 90% par rapport à la culture classique et de 60% par rapport à l’hydroponie.

D’autres projets de fermes verticales existent, mais peinent à décoller. C’est le cas de Willka à Yverdon, lancée en 2020 par l’entrepreneur Serhat Açig. «Willka n’est pas enterrée, mais en stand-by dans des remorques frigorifiques, observe le serial entrepreneur. Nous sommes arrivés trop tôt avec notre idée et avons rencontré beaucoup de scepticisme, notamment sur la diversité des fruits et légumes que nous pouvions produire. La société peut renaître, car l’équipe et la technologie fonctionnent», estime-t-il.

8. IA et traçabilité

«Ce n’est plus l’humain qui décide ce qu’il y a dans les rayons, mais un algorithme avec de l’intelligence artificielle, cela en fonction de la météo, des achats et des ventes», glisse un ingénieur agronome de Terraviva. Il arrive que cela provoque des commandes saugrenues et laisse de côté des fruits ou légumes par milliers. Même gestion par l’IA dans les cultures, notamment pour les cycles d’arrosage, comme dans la région de Morat où l’eau est pompée dans le lac et les rivières. «Pour couvrir les besoins en eau de chaque parcelle, le pompage est automatisé et réparti entre les agriculteurs. C’est pourquoi nous sommes parfois contraints d’arroser à midi alors que ce n’est pas idéal», signale un maraîcher de la région des Trois-Lacs.

L’IA intervient également dans la traçabilité des produits. Des entreprises comme Beelong ont développé un modèle d’affaires autour du calcul d’un «écoscore» des aliments. Qualité nutritionnelle et indicateurs environnementaux sont traqués. Certains professionnels restent dubitatifs. «Nous avons clairement des demandes de clients souhaitant s’assurer que nos mets sont composés de produits de la région. C’est louable, mentionne Sébastien Potet, de Bien Bon. Nous avons contacté pour cela des plateformes telles que Beelong. Notre expérience est que ce sont des boîtes noires peu transparentes sur leur modèle de calcul. Autre problématique, les grands acteurs tels que Nestlé ne veulent plus du nutriscore. Enfin, le consommateur dit vouloir manger bio et local, mais, c’est le prix qui le fera trancher.» Des propos relayés par plusieurs acteurs de la branche.

9. Réduire le CO2

Produire tout en faisant du bien à la planète, c’est la vision de la start-up MaSpiruline à AgriCo. En plus d’être un aliment très riche en fer, la spiruline artisanale dépollue l’air plus que n’importe quel végétal. «Cette cyanobactérie, consommée tant par les sportifs que dans les restaurants gastronomiques, nécessite dix fois moins d’eau et douze fois moins de surface que la viande, pour la même quantité de protéines. Autre intérêt, elle agit comme un puits de carbone en absorbant du CO2. Un hectare de spiruline peut capter 60 tonnes de CO2 par an, soit bien plus que la forêt tropicale. Cela contribue ainsi à la lutte contre le changement climatique», résume Slim Prince, directeur de MaSpiruline.

Autre manière de réduire le CO2, la valorisation des déchets alimentaires. En effet, l’agroalimentaire génère 2,5 mégatonnes de rebuts par an en Suisse, dont deux tiers seraient évitables. Pour ne pas simplement finir en biomasse, on cherche à transformer les sous-produits, facteurs de coûts lors de leur évacuation, en matières nobles réutilisables. On produit désormais des films biodégradables en amidon de maïs, en protéine de lait ou avec la kératine des plumes de poulets. On a beaucoup parlé de la drêche de malt transformée en poudre protéinée pour le pain (ProSeed) ou des résidus des pommes et autres fruits en vinaigre (Fruival) ou compotes (Frutonic).

Filière en pleine effervescence: le petit-lait, sous-produit de la fabrication du fromage. «Chaque kilo de fromage génère 9 kilos de petit-lait, riche en lactose et autres matières, devenant un défi pour les stations d’épuration», mentionne la HES de Fribourg. Ce liquide verdâtre auparavant jeté peut être inclus dans les denrées alimentaires – notamment pour les sportifs ou les nourrissons – ou employé comme aliment pour animaux, réduisant ainsi leur importation. Plus innovant encore: le projet Wheydrogen, qui transforme le petit-lait en ressources telles que les piles microbiennes d’électrohydrogenèse. Cette technologie produit de l’hydrogène et extrait des composés azotés et phosphorés valorisés en engrais durables.

Nouveau graal en marge de la circularité: les pratiques pour métamorphoser un déchet en énergie. Plusieurs financements favorisent ces recherches. Be8, qui transforme l’huile de friture en biocarburant, fait partie des cas d’école.

10. Nouvelles machines

L’industrie des machines suit de près l’évolution de l’agriculture, la recherche de nouvelles molécules et de modèles circulaires de production. A Guin, la PME Visval s’est spécialisée dans les machines de dosage par vanne conique avec effet de confinement. Le développement de poudres alimentaires et la mise en lumière des aliments allergènes ont boosté son système qui permet de remplir n’importe quel contenant sans risque de contamination. «C’est un marché de niche, mais qui se porte bien. Nous travaillons beaucoup à l’international pour l’agroalimentaire et la pharma», souligne Sylvain Le Mézec, le directeur opérationnel.

Du côté de Cully, Stéphane Doutriaux, fondateur de MycoSense AI en 2021, développe avec son équipe des boîtiers optimisant la culture et surtout la cueillette des champignons de Paris. Une caméra enregistre des données qui sont analysées par l’IA et déclenche un faisceau de lumière pointant les champignons à cueillir. «Nous sommes leader mondial dans ce domaine et commercialisons notre boîtier dans une dizaine de pays, jusqu’en Australie, auprès des plus grands producteurs, remarque l’entrepreneur vaudois. Cueillir un champignon de culture n’est pas si simple. Si vous le récoltez à un mauvais moment, vous endommagez le lit et perdez en rendement. Or le métier de cueilleur, exercé surtout par des femmes, est sur le point de disparaître dans le monde. Les entreprises productrices doivent engager des temporaires qui n’ont plus les compétences. Notre solution permet d’assurer une cueillette saine et durable.»