Sébastien Potet, associé chez Bien Bon avec l’ancien CEO de McDonald’s Harold Hunziker et le chef étoilé Julian Knipper, souligne le danger de partir vers «une nourriture trop technologique». Leur société de livraison de plats à domicile milite pour l’éducation du consommateur, contre la malnutrition et tente de faire changer les lignes, non sans difficultés. «Nous avons commencé par une carte proposant deux tiers des menus avec des protéines végétales et le reste en protéines animales. Nous avons rapidement basculé à 50-50 pour rester viables, ce qui est déjà au-dessus de la moyenne. Mais surtout, cela nous permet d’amener pas à pas des alternatives végétales telles que le tofu, le tempeh (soja fermenté) ou le seitan (viande de blé). Eduquer et promouvoir par la confiance», observe-t-il. Leur démarche commence à porter ses fruits puisque les demandes végétariennes sont en hausse.
Expérience intéressante de leur part, ils ont demandé à leur communauté de nouvelles recettes, la gagnante étant mise à la carte. Plus de 90% des propositions étaient des pâtes ou des burgers revisités. «Ce n’est pas notre vision. Si vous mettez le burger au menu, vous savez qu’il concentrera 50% des commandes. Il est donc plus difficile de faire découvrir d’autres mets», remarque-t-il.
Amener des alternatives, s’éloigner de l’aliment réconfort (comfort food) qui veut qu’on commande ce qu’on connaît, tel est le défi de l’ensemble du secteur. Une initiative pour tester l’acceptabilité des nouveaux goûts a été lancée par Eliana Zamprogna, CEO de Yumame Foods, aliments à base de champignons fermentés, et Adrien Demongeot, physico-chimiste et chercheur à l’Institut de nutrition de l’EHL. «La nourriture ultra-transformée est une très belle technologie, mais cela reste de la nourriture d’ingénieur, avertit Adrien Demongeot. Il faut penser à la recette finale très tôt, en même temps qu’au bonus pour la santé et l’environnement. A l’EHL, nous avons fait collaborer les chefs cuisiniers et les ingénieurs, pour ne pas délaisser le goût. C’est beaucoup plus efficace qu’une approche où on crée le produit et ensuite on masque les saveurs dérangeantes.» Cette approche a ensuite été testée dans des points de vente de l’EHL et les retours sont prometteurs, avec un taux de nouvelles commandes de 47%.
Enfin, tous le disent, pour relever le défi de la transition alimentaire, il faut s’appuyer sur la jeune génération. Elle est le levier le plus fort pour faire changer le panier type et le contenu de nos assiettes; cela en mieux ou en pire.
Le sorgho se nourrit de la canicule.
Ferme du Château
Cette exploitation de la Broye vaudoise cultive du sorgho sucrier, un projet suivi par Innosuisse.
A la Ferme du Château, Bruno et Cathy Graf cultivent du sorgho, une céréale d’Afrique subsaharienne. Depuis quatre ans, ils testent la transformation de la tige du sorgho en sirop de sucre et les grains en farine sans gluten. Avec ce projet, le couple a remporté, en collaboration avec l’Institut de recherche de l’agriculture biologique de Lausanne (FiBL), un financement Innosuisse de 39 000 francs. Des recherches se poursuivent à la Haute Ecole des sciences agronomiques, forestières et alimentaires (HAFL) de Berne, afin de valoriser la filtration du sirop de sorgho et de standardiser les processus.
«Nous sommes à 600 mètres d’altitude, mais depuis que j’ai repris l’exploitation de mon père en 2014, j’observe les résultantes de la crise climatique. Le sorgho se nourrit de la canicule. C’est un complément au sucre de betterave, une culture qui, avec la chaleur, rencontre plus de difficultés avec les rongeurs et les insectes. Cela oblige à utiliser davantage de pesticides. Ce n’est pas mon approche», explique celui qui a également été pionnier en plantant des patates douces en Suisse dès 2007.
L’ingénieur agronome de Valbroye promeut une agriculture véganique, à savoir labellisée biologique et sans l’utilisation d’engrais d’origine animale. Par ailleurs, leurs récoltes (principalement épeautre, tournesol, soja, avoine, maïs, lupin et cultures maraîchères) sont destinées à l’alimentation humaine. «L’avoine sert à produire du lait en poudre et le soja du tofu. Je donne à torréfier les graines de lupin. Elles rejoignent aussi la filière du fromage végane. Par exemple, New Roots a sorti cette année une raclette au lait de lupin», explique Bruno Graf. Quant aux aides financières, elles s’étoffent depuis trois ans, mais exigent beaucoup d’administratif.
Un biocarburant à base d’huile usagée
Be8 est une société implantée à Genève et à Domdidier (FR) qui produit du biodiesel avec l’huile de friture.
Utiliser l’huile de cuisson usagée pour faire rouler des camions. Telle est la mission de l’entreprise Be8 (anciennement BSBIOS). La société brésilo-suisse, leader de la production de biodiesel, un carburant pour les véhicules, emploie une dizaine de personnes entre Domdidier et Genève et 1200 collaborateurs dans le monde, principalement au Brésil. Elle a racheté en 2022 la structure fribourgeoise MP Biodiesel, qui produisait principalement du diesel à base de colza.
«A l’unité de Domdidier, la matière première utilisée aujourd’hui est l’huile de cuisson usagée, ce qui constitue un exemple important d’économie circulaire en transformant des déchets en énergie renouvelable», relève Erasmo Carlos Battistella, CEO de Be8. La proximité avec la raffinerie de Cressier est un atout pour le développement de la structure.
«Notre biocarburant breveté permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre de plus de 90% par rapport au diesel classique, qui est un combustible fossile, poursuit-il. La réutilisation des huiles de cuisson permet d’éviter l’élimination inappropriée des déchets. Un litre d’huile peut polluer jusqu’à 25 000 litres d’eau.»
Selon les relevés fédéraux, la population suisse consomme plus de 110 millions de litres d’huile de cuisson par an. Le marché est donc là. Be8 n’est pas seule en Suisse, le dirigeant estime toutefois que le potentiel du biodiesel y est sous-exploité. A noter que le biodiesel utilise les mêmes installations que le carburant fossile, ce qui en fait une solution immédiate et sûre pour décarboner la mobilité.
Outre les anciennes huiles de cuisson, les graisses animales ou huiles végétales sont transformées par Be8, servant à produire d’autres types de biocarburants, dont certains pour l’aviation.
Légumes lactofermentés en Gruyère
So! Kimchi est une production fribourgeoise de kimchi, un mélange de végétaux lactofermentés riche en probiotiques.
Proposer du kimchi au pays du gruyère, il fallait le faire. Cette spécialité coréenne de chou chinois, pomme et poire fermentés a su séduire. C’est dans une petite épicerie de Posieux que les cofondatrices, Soyoung Park-Favre et Dorit Horst, ont vendu les premiers bocaux de la recette ancestrale. Après un an seulement, So! Kimchi compte une dizaine de points de vente en Suisse, de Zurich à Genève. «Nous sommes en discussion avec Manor, glisse Dorit Horst. Nous produisons chaque semaine de manière traditionnelle, cela représente actuellement entre 800 et 1200 pots par mois. Ce n’est pas suffisant pour en vivre, mais nous allons augmenter la production.»
La traction du marché est forte. «Nous avons très rapidement fait goûter le produit autour de nous et au marché de Vevey. Nous n’étions pas là principalement pour vendre, mais pour avoir des retours des consommateurs. En parallèle, nous avons développé une communauté sur les réseaux, où les gourmets partagent leur manière de manger le kimchi, avec de la raclette, des röstis, du gruyère ou des burgers.»
La concurrence arrive d’ailleurs déjà. «La Corée implante des usines en Europe, notamment en Pologne, pour inonder le marché. Migros et Coop font aussi des tests avec leur producteur de choucroute. L’échelle et le produit sont différents du nôtre, mais il y a de la place pour tout le monde.» Elle mentionne également la mode de la nourriture coréenne auprès des jeunes via les séries et vidéos. La recherche d’une alimentation saine et bonne pour la planète est une autre tendance qui favorise leur business. Non seulement le kimchi contient énormément de probiotiques, mais il se conserve facilement plusieurs mois et se décline de mille manières.