D’aide à l’emballage des cadeaux de Noël chez Globus, il est devenu directeur de Globus Berne des années plus tard. Il en retient que seul, on ne fait pas grand-chose et que le service est au cœur de tout, malgré les technologies qui changent. Signe particulier: il fait son pain lui-même.

Stephan Buchser, vous avez passé trente ans dans l’agroalimentaire et avez notamment supervisé la conduite de 300 restaurants d’entreprise pour Compass Group, puis été à la tête de Villars Holding et de Villars Maître Chocolatier. Depuis 2020, vous présidez le Cluster Food & Nutrition. Quelles évolutions vous frappent?

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Avec Compass, nous avions une approche de mass market. Notre but était de nourrir un maximum de personnes en offrant le même plat du jour dans un maximum d’endroits, pour faire des économies d’échelle et écouler un maximum de marchandises, les moins chères possible. Autre différence: l’argent avait encore de la valeur. Notre chiffre d’affaires venait de ce qu’on vendait, mais également du profit engendré par la masse d’argent momentanément à disposition qu’un responsable financier faisait fructifier. Ce modèle n’existe plus.

Et chez Villars Maître Chocolatier?

C’était un autre monde. Nous étions un énorme artisan et un minuscule industriel à la fois; un positionnement sur le fil. Nous n’avions pas la productivité et les accès d’un grand industriel. La facilité aurait été de massifier et de faire du pas cher, mais on a choisi de se positionner dans le haut de gamme, proposant une expérience et de la qualité. On a renforcé notre image d’appartenance à un terroir et développé une marque de chocolat locale qui encourage les circuits courts. Avant cela, avec Villars Holding (qui n’a rien à voir avec le chocolat), nous avons lancé des bars à café avec un ancrage local fort. C’était il y a dix ou quinze ans, lorsqu’il y a eu un ras-le-bol des multinationales peu scrupuleuses et plusieurs scandales alimentaires. A cette époque, l’idée des circuits courts n’avait alors rien à voir avec l’écologie.

Vous évoquez la durabilité. Elle fait désormais partie du cahier des charges de toute entreprise, en particulier dans l’agroalimentaire, secteur très impactant pour l’environnement. Va-t-on dans le bon sens?

Il y a quinze ans, les discours étaient plus polarisés, avec une sorte d’hygiénisme à tout prix. On préférait par exemple faire de l’élevage de saumons, car on considérait ça plus propre que le saumon sauvage. Aujourd’hui, on est dans un meilleur équilibre. On conjugue l’impact carbone, sociétal et économique. Ces trois valeurs doivent être à l’équilibre si on souhaite être durable. Si une entreprise fonce tête baissée vers un modèle écologique sans considérer l’aspect économique, ça ne sera pas durable; pareil si on traite mal ses collaborateurs ou fournisseurs.

Vous êtes désormais administrateur délégué de Chef Gourmet, distributeur de produits de boulangerie haut de gamme et entreprise de la holding Food For Good basée à Founex. Comment se traduit votre engagement?

Chef Gourmet est certifié B Corp. Nous encourageons les circuits courts. Notre entité est rattachée à Food For Good, qui investit avec Bridor (filiale du groupe francais homonyme, ndlr) sur le site de production de Cousset, dans l’ancien moulin Bossy. Bridor Suisse va inaugurer le site cette année. Les matières premières seront suisses et locales. Une ligne végane est également prévue. A côté de cela, Food For Good investit dans des PME locales qui ont un impact. C’est le cas par exemple avec Chef Gourmet Distribution et Amarella, une société fribourgeoise de macarons limitant l’apport en sucre.

Et comment parvenez-vous à conjuguer durabilité et coûts suisses?

L’écart se réduit de plus en plus. Par exemple, 1 kilo de beurre européen de qualité est à 7,38 euros sans les taxes de douane, alors qu’il était à 3 euros en 2022. En Suisse, on est à 13 francs, il y a moins de transport et le beurre est tracé. Autre levier, nous proposons des pains et viennoiseries de plus petite taille: moins, mais mieux. Pour la main-d’œuvre, nous misons sur l’automatisation de la production. Nous n’aurons, dans un premier temps, que 20 personnes à Cousset.

La nourriture est-elle devenue un enjeu technologique?

Nous serons de plus en plus nombreux sur la planète. L’innovation est la solution pour continuer à nourrir tout le monde. On doit faire plus avec moins de place au sol et cela le moins cher possible. Ça passera dans l’agriculture par l’aide de drones pour la plantation et le suivi des récoltes, les cultures verticales et les protéines végétales. Le packaging doit aussi être adapté et revenir à des contenants réutilisables si nécessaire. Prenez les biscuits Agathe à Villeneuve: la société reçoit le beurre livré dans des caisses en plastique qu’elle redonne lors de la livraison suivante. Parfois cette solution est la bonne, mais pas toujours. Tout se calcule. Pour les têtes au choco distribuées dans un emballage plastique, on a testé le carton. C’était en définitive moins écologique, car le surpoids entraînait une empreinte carbone importante.

Les petites PME n’ont souvent pas de R&D pour ces tests. Comment ont-elles accès à ces analyses?

C’est justement l’ambition du Cluster Food & Nutrition. Il donne accès à ces compétences et met en lien les acteurs qui ont les mêmes défis. Nous avons 200 membres, plutôt des petites structures. La Swiss Food & Nutrition Valley dans le canton de Vaud regroupe de grands acteurs. Nous collaborons, mais cela pourrait être plus intensif.

Actuellement, les aliments les moins chers sont ceux qui sont mauvais pour la santé et l’environnement. Qu’est-ce que cela vous inspire?

Nous devons faire mieux avec moins, cela grâce à l’innovation. L’éducation du consommateur sur les risques pour sa santé est aussi essentielle. Il existe beaucoup d’outils pour amener de la transparence, mais ils ne sont pas toujours clairs. Lorsqu’on voit que dans les écoles on a des cours d’éducation sexuelle mais pas de cours d’éducation nutritionnelle, cela me laisse perplexe. L’alimentation est quelque chose d’intime et de vital pour la santé. Ce travail de sensibilisation a été fait pour la cigarette. A l’époque, les parents qui fumaient dans la voiture avec leurs enfants à l’arrière ne savaient rien sur la fumée passive. Aujourd’hui, les résultats sont là et la régulation suit. C’est la même chose avec l’alimentation. Je vois des signes positifs, de plus en plus de jeunes s’interrogent et sont curieux de ce qu’ils mangent.

Dans les écoles, on a des cours d’éducation sexuelle mais pas de cours d’éducation nutritionnelle, cela me laisse perplexe.

Il n’empêche que le prix reste un facteur déterminant. Certains proposent de taxer les produits ultra-transformés ou trop sucrés, d’autres évoquent la responsabilité légale des industries de l’alimentation sur la santé mondiale. C’est le cas notamment de Félix Delerm, 3e de la finale suisse de MT180 en 2024 avec sa thèse. Qu’en pensez-vous?

C’est une partie de la solution seulement, car on est confronté à un marché de l’offre et de la demande. Prenez le chocolat, son prix a augmenté de 20% et pourtant la consommation mondiale n’a baissé que de 2%. Taxer le sucre ne fera donc pas tout, mais ce sera incitatif. On sait que les populations les moins aisées, par exemple les jeunes ou certains groupes moins instruits, ont plus de problèmes de santé et d’obésité. Il faut de la pédagogie et renseigner les consommateurs. C’est un des rôles du cluster et j’interviens aussi dans les hautes écoles pour expliquer comment est fait le chocolat, par exemple.

Si vous deviez investir dans l’agroalimentaire, vers quoi vous tourneriez-vous?

J’investis déjà. Les opportunités de business sont dans l’agriculture et les technologies hors sol et sans pesticides. Un autre axe, ce sont les protéines alternatives et, enfin, le retour à une nourriture plaisir, moins mais mieux.