Alen Arslanagic, 29 ans
CEO et cofondateur de Visium, Zurich

Alen Arslanagic veut rendre l’IA moins effrayante et abstraite.

Alen Arslanagic rêve d’un monde dans lequel les humains ne se sentiraient pas menacés par l’intelligence artificielle: au contraire, l’IA serait vue comme un outil de développement durable, utilisé de manière éthique. Pour réaliser ce projet, il a créé Visium, avec Timon Zimmermann. La firme offre un service d’aide au démarrage pour des activités dans l’IA. «Le plus grand défi consiste à rendre le sujet moins abstrait», explique l’entrepreneur. Dès que l’obstacle de la compréhension est surmonté, l’IA révèle son énorme potentiel. Celui-ci réside dans des solutions axées sur les données qui permettent aux entreprises d’exécuter leurs processus de manière plus efficace et d’obtenir de meilleures performances. Comment cette démarche se traduit-elle dans la pratique? La collaboration avec Nestlé montre à quoi ce procédé peut ressembler. Visium a développé pour la multinationale un système de surveillance de la chaîne de fabrication basé sur l’IA, qui permet un contrôle simple et complet des processus de production. 

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Alen Arslanagic a toujours eu comme but de diriger un jour sa propre entreprise. Avec Visium, il n’en est pas à son coup d’essai. «J’ai fait plusieurs tentatives, dont certaines se sont soldées par des échecs cuisants», résume-t-il. Toujours est-il que Visium semble bénéficier aujourd’hui de ses expériences passées. Entièrement autofinancée, l’entreprise emploie déjà un effectif de 50 personnes.


Nadja Braun Binder, 47 ans
Professeure de droit public, Université de Bâle

Nadja Braun Binder adapte les bases juridiques à l’innovation technologique.

© Fereshth

L’intelligence artificielle suscite à la fois des espoirs et des craintes. Nombre d’enjeux sont liés aux règles juridiques définissant son utilisation. C’est là qu’intervient Nadja Braun Binder. Cette professeure de l’Université de Bâle compte parmi les personnalités les mieux informées et les plus créatives à l’intersection des domaines de la technique et du droit. «Prenons par exemple les procédés d’apprentissage automatique. Ceux-ci ne sont ni bons ni mauvais en soi. Certains procédés ont un énorme potentiel pour faciliter la vie quotidienne ou l’activité administrative», observe la quadragénaire.

Elle ajoute: «D’autres procédures comportent aussi des défis, en particulier lorsqu’elles ne sont pas compréhensibles et donc difficilement contrôlables. Il y a des enjeux lorsque les données utilisées sont insuffisantes ou contiennent ce que l’on appelle un biais.» Selon cette experte, la tâche du droit n’est pas de freiner l’innovation technique. Mais plutôt de développer des systèmes conformes à la réglementation ou sonder le terrain si des bases juridiques doivent être adaptées. Par ses contributions, Nadja Braun Binder anime ce débat à un niveau européen. Elle se dit engagée pour que la numérisation et l’intelligence artificielle puissent améliorer le bien-être général.


Herbert Bay, 48 ans
Cofondateur d’Earkick, Zurich

Grâce à son application, Herbert Bay détecte les crises d’angoisse imminentes.

Le monde de Hollywood a inspiré bien des entrepreneurs. Herbert Bay en fait partie. Cet expert en machine learning et en réalité augmentée s’est inspiré de Her pour sa start-up Earkick. Ce film met en scène Theodore, un auteur à la chaîne de romans d’amour, qui tombe amoureux d’un système d’exploitation appelé Samantha, dont la voix est celle de Scarlett Johansson. «Notre ambition est de créer un compagnon ou une compagne qui serait capable de la même attention pour chacun de nous», informe Herbert Bay. Pour réaliser ce projet, le diplômé de l’EPFZ a fondé la firme Earkick, avec Karin Andrea Stephan. L’objectif est de développer une technologie qui permet à l’ordinateur de déceler les émotions dans la voix. Earkick est ce que l’on appelle un «mood and anxiety tracker».

Le logiciel s’adresse à tous ceux qui souffrent de problèmes de santé mentale ou qui souhaitent les éviter. Earkick rencontre un énorme succès, notamment aux Etats-Unis, où les problèmes psychiques ont pris des proportions épidémiques, en particulier chez les jeunes. Earkick réunit déjà 10 000 utilisateurs qui confient leur intimité au journal électronique et font mesurer leurs fonctions vitales, telles que le pouls et la fréquence respiratoire, par l’application.

Dans le meilleur des cas, le système permet de détecter les crises d’angoisse en temps réel. Reste à résoudre le problème de la communication avec les personnes concernées. «On ne peut pas dire directement aux utilisateurs qu’une attaque est sur le point de se produire. Cette annonce pourrait être contre-productive», note l’ingénieur. Jusqu’à présent, Earkick a levé 1,1 million de francs. La prochaine étape pour Herbert Bay consiste à convaincre une grande entreprise américaine de mettre l’application à la disposition de ses collaborateurs. «Pour l’instant, nous en sommes encore à la phase de collecte des données», dévoile-t-il. L’objectif est d’obtenir une autorisation de l’Agence américaine des médicaments pour Earkick, en tant que thérapie numérique. Aux Etats-Unis, un jeune sur trois présente des problèmes psychiques, souligne Herbert Bay. Selon lui, cette population ne sait plus vers qui se tourner. «Nous voulons proposer une offre pouvant être modulable à volonté.» 

Herbert Bay est loin d’être un inconnu sur la scène suisse des start-up tech. Fondateur de Kooaba en 2007, l’entrepreneur a développé un algorithme de reconnaissance d’images, une sorte de Google pour images. Le fonctionnement de ce système est aujourd’hui enseigné dans les écoles et les universités. En 2014, l’entreprise Kooaba a été vendue à Qualcomm pour une somme non divulguée. Cette technologie est aujourd’hui utilisée par exemple par la marque Betty Bossi et Vivino, l’application de vin leader dans le monde.


Andy Fitze, 54 ans
Cofondateur de SwissCognitive, Zurich

Andy Fitze exploite avec sa communauté IA une application de rencontre pour les entreprises et les investisseurs.

Que faut-il faire pour compter parmi les principaux leaders d’opinion dans le domaine de l’intelligence artificielle? Andy Fitze fait partie de ce cercle exclusif. Selon lui, la maîtrise de la recherche est une condition sine qua non. «Je passe au moins deux heures par jour à lire des rapports sur l’IA», expose le cofondateur de SwissCognitive. Cette structure est un réseau d’affaires pour les cadres qui fait office de plateforme internationale pour toutes les questions, expertises et projets concernant l’IA. Il s’agit de la première communauté IA au monde. «Nous sommes comme une application de rencontre pour les entreprises et les investisseurs. Nous créons des matchs, comme sur Tinder», sourit Andy Fitze.

Egalement promoteur de start-up, analyste, investisseur et auteur dans le domaine de l’IA, Andy Fitze se concentre actuellement sur la fondation CognitiveValley, lancée avec Dalith Steiger. «Il s’agit pour nous de positionner la Suisse comme un leader mondial de l’IA», énonce ce passionné de voile. Le potentiel de développement pour la branche est énorme. Le domaine de l’IA a besoin de davantage de spécialistes qui doivent disposer des meilleures informations. «Il ne s’agit plus seulement pour les entreprises d’augmenter leur efficacité grâce à l’IA. L’heure est à l’ouverture à de nouveaux modèles commerciaux globaux.» Pour atteindre cet objectif, les firmes doivent penser plus loin que leur propre secteur. C’est précisément là qu’Andy Fitze peut les soutenir en tant que bâtisseur de ponts vers les spécialistes les plus pointus.


Paulina Grnarova, 31 ans
Cofondatrice et CEO de DeepJudge AI, Zurich

Paulina Grnarova: «Nous travaillons au développement de logiciels basés sur l’IA qui possèdent une compréhension sémantique.»

Contre-interrogatoires tendus, témoins surprises et rebondissements dramatiques. Voilà comment les métiers du droit sont montrés au cinéma. La vérité semble nettement moins spectaculaire. Cofondatrice et CEO du spin-off de l’EPFZ DeepJudge AI, Paulina Grnarova dévoile: «Une grande partie du travail juridique consiste à passer au peigne fin les dossiers. Pour faciliter ce travail, nous développons des logiciels basés sur l’IA qui possèdent une compréhension sémantique.» Les programmes sont en mesure d’effectuer une simple recherche par mots-clés. Mieux, ils sont aussi capables de comprendre des questions complexes ou de saisir le contexte d’un texte. Ces outils facilitent énormément la recherche de faits juridiques pertinents. Une tâche qui nécessite souvent la consultation de milliers de pages. 

L’année dernière a été dense pour DeepJudge AI. Le premier tour de financement a été bouclé et l’équipe est passée à 11 personnes. Parallèlement, les premiers essais pilotes rémunérés ont été lancés avec des entreprises de droit suisse. Après les six mois d’essai, le produit sera finalisé afin de pouvoir faire son entrée sur le marché l’année prochaine. Citée dans le palmarès «30 under 30» du magazine Forbes, Paulina Grnarova souhaite lancer prochainement sa solution sur le marché en Allemagne et en Autriche. Une version multilingue pour la Suisse est également en cours de planification.


Alexander Ilic, 41 ans
Cofondateur et directeur du centre ETH AI, Zurich

Alexander Ilic est le chef de l’un des plus grands centres au monde de recherche universitaire en matière d’IA.

En l’espace d’un an et demi, Alexander Ilic a fait de l’ETH AI Center, à l’EPFZ, l’un des plus grands centres de recherche universitaires au monde en matière d’IA. L’institut compte déjà plus de 110 professeurs. Son directeur déclare: «Notre objectif est de faire de la Suisse l’un des meilleurs sites mondiaux pour cette technologie clé.» Il a étudié l’informatique à l’Université technique de Munich et a été chercheur au célèbre MIT de Boston avant de décrocher un dernier diplôme à l’Université de Saint-Gall. Cofondateur de plusieurs start-up, il affiche à son palmarès la création de Dacuda, société spécialisée dans la vision pour la réalité virtuelle, qui a été vendue à Magic Leap en 2017. Au registre des distinctions, Alexander Ilic a été désigné entrepreneur de l’année en Suisse à deux reprises. Il a aussi remporté le Swiss Economic Award 2010.

Alexander Ilic affirme: «A l’instar d’internet ou du smartphone, l’intelligence artificielle marquera profondément la société de son empreinte. La recherche de pointe effectuée à l’EPFZ, de même que dans d’autres centres en Suisse, doit passer dans le grand public. De cette manière, nous pourrons façonner l’intelligence artificielle selon nos valeurs et rendre accessible cette technologie clé aux petites entreprises.»

Dans les années à venir, l’expert s’attend à voir émerger de nouveaux géants de l’IA. Selon lui, la Suisse a de bonnes cartes en main pour produire des champions dans cette discipline. Le site helvétique bénéficie en effet d’un écosystème unique au monde – alliant recherche de pointe, start-up et entreprises innovantes – auquel l’ETH AI Center contribue.


Jan Kerschgens, 42 ans
Directeur de l’EPFL Cis, Lausanne

Jan Kerschgens réunit la robotique et l’IA au profit des êtres humains.

Pour Jan Kerschgens, directeur du Centre des systèmes intelligents (CIS) de l’EPFL, le bien commun est une priorité absolue. «Notre tâche est de réunir la robotique et l’IA, dans le but de créer un véritable bénéfice pour la société.» En charge du développement du centre de recherche depuis 2019, Jan Kerschgens considère l’interdisciplinarité comme une compétence clé. Il détaille: «Nous réunissons des chercheurs de différents domaines et mettons en commun leur expertise. Il en résulte des choses passionnantes.» Un accent thématique émerge par exemple dans l’utilisation de l’intelligence artificielle pour la médecine, notamment en cardiologie. Le CIS s’implique aussi dans le domaine de la robotique intelligente. Ce thème doit faciliter le quotidien des personnes ayant besoin d’aide. 

Jan Kerschgens veut avant tout créer des ponts. «Pour que cela fonctionne, il faut réunir la recherche de pointe en robotique et les leaders du monde de l’IA.» En outre, le CIS soutient l’EPFL dans la formation des ingénieurs et des chercheurs de demain. «Parallèlement, nous devons faire prendre conscience à la population helvétique que des innovations de premier ordre naissent ici, en Suisse. Il n’est pas toujours nécessaire de regarder vers la Californie pour trouver les meilleures idées.»


Anna Mätzener, 43 ans
Directrice d’AlgorithmWatch Suisse, Zurich

Anna Mätzener (c) nik hunger

Anna Mätzener aide les entreprises et les autorités à évaluer les systèmes de prise de décision automatique.

© Nik Hunger

Anna Mätzener dirige l’organisation à but non lucratif AlgorithmWatch Suisse. Il s’agit de la branche d’une association basée à Berlin qui a la même mission: aider les entreprises et les autorités à évaluer les nouveaux systèmes de décision automatique. Les questions qui se posent sont multiples. Les caméras de surveillance avec reconnaissance faciale automatique dans la rue ou dans les supermarchés sont-elles légales? Sont-elles équitables? Sont-elles une atteinte grossière à la vie privée? AgorithmWatch est l’organisation en mesure de répondre. Bruxelles réglemente-t-elle correctement l’utilisation de l’intelligence artificielle dans les appareils? Là aussi, AlgorithmWatch dispose de critères pour formuler la réponse.

Actuellement, l’ONG est financée par le fonds pionnier de Migros. Cela devrait changer au cours des prochaines années. Anna Mätzener pointe: «Nous sommes à la recherche de ressources supplémentaires car le besoin d’expertise en intelligence artificielle est énorme.» Actuellement, près de 25 personnes travaillent à ses côtés à Zurich et à Berlin. S’y ajoutent divers scientifiques externes, ainsi que cinq étudiants qui travaillent bénévolement et voient leur engagement pris en compte dans leur cursus.

Au registre des compétences, l’ONG effectue des mandats pour les autorités suisses et peut aussi influencer, depuis Berlin, le processus décisionnel de l’UE à Bruxelles. La priorité d’Anna Mätzener est d’orienter les domaines non réglementés reposant sur des algorithmes sans freiner l’innovation. Selon elle, AgorithmWatch se distingue sur la scène de l’IA par l’étendue de son travail, la stratégie et le travail journalistique, de même que par la recherche et l’influence politique.


Laura Tocmacov, 47 ans
CEO et cofondatrice de la Fondation ImpactIA, Genève

Laura Tocmacov souhaite attirer davantage de femmes vers l’IA.

Cofondée par Laura Tocmacov, la fondation ImpactIA a pour objectif de mettre en œuvre des applications de l’intelligence artificielle dans le domaine du travail. Laura Tocmacov a étudié au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et s’est spécialisée dans le lien entre l’éthique et l’intelligence artificielle, ainsi que dans son intégration dans une entreprise. Dans ce contexte, elle met l’accent sur l’encouragement d’un plus grand nombre de femmes à travailler avec l’IA. Elle est particulièrement fière du programme «formation à l’intelligence artificielle robotique» qu’elle a lancé en 2018. Cette formule comprend des bootcamps et une académie en ligne pour la génération des 8 à 25 ans. Laura Tocmacov se considère comme une entrepreneuse sociale. Son ambition est d’utiliser les innovations telles que l’intelligence artificielle comme un moyen de s’attaquer aux problèmes de la société. Il s’agit notamment de permettre aux personnes non ou moyennement qualifiées de travailler dignement.


Marcin Pietrzyk, 39 ans
Fondateur & CEO de Unit8, Lausanne

Marcin Pietrzyk accélère la mise en œuvre de la prise de décision basée sur les données dans les entreprises grâce à l’IA.

© Darrin Vanselow

En l’espace de cinq ans, il est passé de chef de service chez Swisscom à cofondateur et CEO de Unit8, l’entreprise à la croissance la plus rapide de Suisse. Spécialisée dans les services de données et d’intelligence, la société lancée par Marcin Pietrzyk multiplie les honneurs. La start-up informatique lausannoise figurait au printemps dernier dans le classement «FT1000» du Times of America, à la 17e place du palmarès européen du Financial Times et à la première place des entreprises à la plus forte croissance de Suisse.

Né en Pologne, Marcin Pietrzyk a vécu en Espagne et en France avant de s’installer en Suisse, il y a onze ans. C’est là qu’il a commencé sa carrière de scientifique. Il a ensuite obtenu un doctorat en exploration de données et en apprentissage automatique dans les Orange Labs de Sophia Antipolis, en France, et enseigné en tant que professeur invité pour le programme EMBA à l’Université de Saint-Gall. Marcin Pietrzyk est en outre un alumni de l’INSEAD. Après avoir occupé différents postes dans le secteur privé, il a gravi les échelons jusqu’au poste de Head of Big Data & Business Intelligence chez Swisscom. A ce titre, il a dirigé les activités de données et d’intelligence artificielle de l’entreprise, qui occupent environ 200 collaborateurs.

C’est à ce poste qu’il a identifié une lacune du marché, avec Michal Rachtan, actuel CTO d’Unit8. «Il n’existe qu’un nombre limité d’entreprises hautement spécialisées qui se concentrent sur les services de collectes de données, d’analyse et d’IA. Nous voulions aider les entreprises existantes traditionnelles à exploiter le pouvoir des données et à accélérer l’introduction de la prise de décision, axée sur les données», a-t-il déclaré dans une interview au portail Startup.info. 

Les deux entrepreneurs ont esquissé leurs premières idées pour la création d’une start-up sur un post-it. Aujourd’hui, Marcin Pietrzyk et son équipe ont concrétisé leur vision dans le cadre d’une cinquantaine de mandats de conseil, dans de multiples secteurs. Si l’on ne peut pas citer le nom des clients, on sait néanmoins que les procédés de la start-up accélèrent la production de parfums ou rationalisent la fabrication de 15% dans le secteur pharmaceutique. Les solutions Unit8 optimisent encore la gestion des risques dans le domaine des assurances, en modélisant les changements climatiques. Dans le secteur bancaire, ces outils ont débouché sur la détection automatique de transactions frauduleuses.

Dans son travail en relation avec l’intelligence artificielle, Marcin Pietrzyk est conscient de sa responsabilité. Il est un fervent partisan du mouvement «AI for good». Il attache une grande importance au développement de solutions d’intelligence artificielle pour le bien commun, en accord avec les valeurs de la société.