Xavier Comtesse, 73 ans
Cofondateur de Manufacture Thinking, Neuchâtel

Xavier Comtesse a fondé un think tank pour repenser les produits et les services pour l’industrie 4.0.

A 73 ans, Xavier Comtesse est l’une des personnes les plus mûres dont nous dressons le portrait dans ce numéro. Mais on aurait tort d’imaginer que ses points de vue sur l’avenir numérique en sont, pour autant, moins disruptifs. «Lorsqu’il s’agit de numériser l’industrie, on accorde beaucoup trop d’attention à l’obtention de données», dit-il. Une erreur que commettent de nombreux acteurs dans ce domaine. «Cette priorité constitue un aspect typique de l’industrie 3.0. Pour l’industrie 4.0, il s’agit plutôt de doter les machines d’un spectre sensoriel complet grâce à des capteurs. Ensuite, il faut utiliser le machine learning pour repenser entièrement les produits et les services.» Afin d’ouvrir la voie à de telles approches et de réunir les leaders de l’innovation, Xavier Comtesse a fondé, avec le créateur de Swatch Elmar Mock, le think tank Manufacture Thinking. Créé en 2014, il s’agit du premier think tank de l’industrie 4.0.

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Remettre en question le statu quo a toujours été la devise de Xavier Comtesse. Depuis les années 1970, l’informatique fait partie de ses passions. Il a notamment travaillé chez IBM. Il a aussi créé trois start-up à Genève et publié plusieurs livres spécialisés dans les technologies numériques.


Richard Ettl, 37 ans
Cofondateur et CEO de SkyCell, Zurich

Richard Ettl loue des conteneurs de fret intelligents et a ainsi approvisionné le monde en vaccins durant la pandémie.

© André Herger

D’origine autrichienne, Richard Ettl est le cofondateur de SkyCell, l’une des start-up suisses les plus en vue dans le domaine de l’IoT (Internet of Things). Créée il y a dix ans, l’entreprise produit et loue des conteneurs de fret pour des marchandises sensibles. Grâce à des capteurs reliés à internet, elle s’assure en temps réel que les marchandises sont sur la bonne voie et que les conditions-cadres sont respectées. Le procédé vérifie en continu la température, l’humidité ou les secousses. SkyCell a percé lors de la pandémie de covid. Quelque 1,8 million de doses de vaccin ont été distribuées en Afrique du Nord et dans les pays du Golfe par le biais de ses conteneurs intelligents. Le chiffre d’affaires a fait un bond de 60%. «Pour nous, la crise du covid a été une réelle opportunité», commente Richard Ettl. 

En même temps, SkyCell a livré des centaines de millions de doses d’autres vaccins, allant des vaccins pédiatriques aux vaccins contre le cancer du col de l’utérus. Des succès qui ont permis à la firme de lever un total de 96 millions de francs de capital, dont 32 à l’automne dernier. Une collecte de fonds qui porte la valorisation de la société à près de 400 millions de francs.


Martin Eichenhofer, 34 ans
CEO et cofondateur de 9T Labs, Zurich

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Martin Eichenhofer (au centre) fabrique des pièces en plastique renforcé de fibres avec un logiciel et une impression 3D pour l’industrie spatiale ou celle des motos.

© Gabi Vogt

Pourquoi baptiser une start-up d’un nom qui commence par un chiffre? Dans le cas de la start-up 9T Labs, fondée en 2018, l’explication se décline en deux temps. «Avec un chiffre au début du nom, l’entreprise est facile à trouver sur Google. Nous sommes toujours en tête de liste lors des événements», sourit le CEO et cofondateur Martin Eichenhofer. La deuxième raison relève de l’essence du monde «deep» et «hard tech» dans lequel 9T Labs évolue. Celui-ci repose sur six degrés de liberté et trois paramètres de processus. Des données qui restent certes obscures pour nombre d’entre nous, mais dont la somme fait sans aucun doute neuf, comme le 9 de 9T Labs.

Ce spin-off de l’EPF de Zurich développe une solution globale pour la fabrication de composants en carbone révolutionnaire par rapport aux technologies conventionnelles. L’équipe de 55 professionnels est basée sur le site Micafil à Zurich Altstetten. La firme fabrique des pièces en plastique renforcé par des fibres cinq fois plus légères que les composants habituels en acier. Le procédé combine un logiciel et une impression 3D, avec un procédé de pressage en aval. Avec ces pièces, 9T Labs fournit des clients finaux dans le domaine de l’aérospatiale, dans l’industrie de la moto et du VTT. Le fait que les pièces de 9T Labs soient aussi légères que performantes joue un rôle important sur le marché. D’autres clients se trouvent dans le monde de la technologie médicale. Les matières plastiques renforcées par les fibres de 9T Labs présentent l’avantage d’être transparentes aux rayons X. L’un des grands défis de l’équipe de Martin Eichenhofer est de parvenir à élaborer des prototypes en petites séries, qui fonctionnent ensuite sans problème dans la production de masse. Une exigence coûteuse en temps et en argent.

En février 2022, la start-up a levé 17 millions de dollars lors d’un tour de financement. De grands noms figurent parmi les investisseurs, comme notamment le spécialiste américain de l’impression 3D Stratasy et la division de capital-risque de l’entreprise chimique belge Solvay. Du côté suisse, Wingman Ventures, ACE & Company et la Banque cantonale de Zurich (ZKB) ont également investi. Martin Eichenhofer veut utiliser ces nouveaux fonds pour poursuivre la recherche et le développement et accélérer l’expansion commerciale. Même si les clients finaux produisent souvent en Extrême-Orient, les designers et ingénieurs de 9T Labs concernés sont généralement basés en Europe ou aux Etats-Unis. Martin Eichenhofer vient d’ouvrir un premier bureau à l’étranger à Boston, sur la côte est américaine. D’ici à la fin de l’année, l’effectif devrait grimper à 65 ou 70 collaborateurs.


Ken Forster, 59 ans
Fondateur et CEO de Momenta, Engelberg (OW)

Ken Forster investit dans des start-up deep tech.

Né dans la Silicon Valley, Ken Forster baigne depuis toujours dans l’entrepreneuriat high-tech. Il a grandi entouré d’innovations technologiques et de grands noms de l’industrie informatique. L’entrepreneur travaille maintenant depuis trente ans dans l’industrie numérique. Il a occupé des postes de direction dans des start-up comme Wonderware et Object Automation. Il a aussi été employé par de grandes entreprises comme Coca-Cola, le géant de l’armement Lockheed Martin et le groupe d’agrochimie Syngenta. C’est d’ailleurs cette dernière multinationale basée à Bâle qui l’a fait venir en Suisse, où il a poursuivi sa carrière dans le domaine du capital-risque. En 2012, à Engelberg, il a fondé Momenta, une société qui investit dans des start-up deep tech. L’accent est mis sur les entreprises tech orientées vers la numérisation de secteurs tels que l’énergie, la production et les chaînes d’approvisionnement. 

Aujourd’hui, Momenta s’est hissée au rang des principales sociétés de capital--risque et de croissance de l’industrie numérique dans le monde. Momenta a investi dans plus de 50 start-up. Leurs activités vont de la gestion des déchets (WasteHero) à la fabrication industrielle (Pulse Industrial), en passant par l’industrie textile (Smartex) et le commerce de détail (Axino). Huit firmes du portefeuille ont déjà été vendues à de grands noms comme Siemens, SAP et Husqvarna. Ken Forster explique cette réussite par la réunion de trois compétences clés sous un même toit: «Nous investissons et soutenons les entreprises, nous les conseillons lors de fusions et d’acquisitions et nous replaçons les cadres.»


Patrick Galliker, 40 ans
Cofondateur et CEO de Scrona, Zurich

Patrick Galliker repousse les limites de l’impression 3D grâce à sa technologie.

Conférer aux données numériques une forme physique: voilà la magie de l’impression 3D. Le volet de cette discipline consistant à imprimer directement des composants électroniques à partir d’un logiciel recèle un énorme potentiel. «Cependant, nous étions jusqu’à présent limités par les inconvénients du procédé à jet d’encre», explique Patrick Galliker. Sa firme Scrona s’efforce justement de repousser ces limites.

L’entreprise a développé un procédé d’impression électrostatique qui, grâce à la technologie d’impression multibuse, porte la microfabrication industrielle additive à un nouveau niveau. L’élément clé est la nouvelle tête d’impression. La pièce est capable de créer des points d’impression cent fois plus petits que ceux des procédés actuels. Cette technologie est donc idéale pour la production d’écrans à très haute résolution. Ceux-ci sont particulièrement demandés dans les applications où l’écran est proche de l’œil, comme dans la réalité augmentée ou la réalité virtuelle. «Nous pensons que dans les deux prochaines années, nous disposerons de têtes d’impression qui pourront être utilisées à l’échelle industrielle», poursuit Patrick Galliker. Ces promesses attirent les investisseurs. Scrona a dernièrement obtenu 9,6 millions de dollars grâce à un financement de série A et à une subvention du Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation.


Dominic Gorecky, 38 ans
Head of Swiss Smart Factory/Partner Switzerland Innovation Park Biel/Bienne

Dominic Gorecky fait vivre l’industrie 4.0 dans sa smart factory.

Faire expérimenter une nouvelle technologie produit un impact bien plus fort qu’une simple explication. «Faire l’expérience d’une nouveauté de première main procure un effet «waouh» qui reste durablement gravé dans la mémoire», souligne Dominic Gorecky. Dans le Switzerland Innovation Park Biel/Bienne, il voit les visages des entrepreneurs et des décideurs s’illuminer lorsqu’ils font des tests grandeur nature. «Nous revendiquons une approche ludique», explique Dominic Gorecky. Dans le laboratoire, il est ainsi possible de passer de l’industrie 3.0 à l’environnement numérique de l’industrie 4.0 rien qu’en actionnant un levier. 

L’approche est néanmoins très pragmatique. «L’une de nos tâches consiste à sensibiliser les parties prenantes à la force d’innovation locale et à leur montrer le potentiel de la numérisation pour l’industrie.» Outre l’éducation et l’information, Swiss Smart Factory offre aussi aux partenaires technologiques une plateforme ouverte pour développer leurs produits et services. Grâce à cette approche, les fournisseurs et les clients de l’industrie se rencontrent dans un cadre réel, ce qui optimise les échanges. Selon Dominic Gorecky, il est primordial que la Suisse se montre compétitive dans ce domaine. «C’est pourquoi nous fournissons ici une aide au lancement d’activités de pointe.»


Agnès Petit, 44 ans
Cofondatrice et CEO de Mobbot, Fribourg

Agnès Petit, MOBBOT

Grâce à son procédé d’impression, Agnès Petit permet désormais la fabrication d’éléments en béton sur mesure pour la construction de tunnels.

© Pierre-Yves Massot / realeyes.ch

Lorsque l’on parle d’impression 3D industrielle, il s’agit souvent de la fabrication additive de petits composants. L’approche adoptée par Agnès Petit est complètement différente. En 2018, elle a fondé Mobbot afin de produire des éléments en béton sur mesure pour le secteur de la construction, grâce à un procédé d’impression 3D breveté. Cette approche révolutionne en profondeur le secteur de la construction. Agnès Petit rapporte: «Parmi les points forts de l’année écoulée, il y a le fait que nous pouvons désormais utiliser notre technologie pour les tunnels.» Le spectre d’utilisation dans ce domaine est énorme. En effet, l’élaboration de tunnels n’est pas seulement essentielle pour la construction de routes ou pour les transports en commun, mais aussi dans le secteur de l’énergie. C’est pour ce développement que Mobbot a récemment reçu le Swisscom IoT Climate Award. 

Au chapitre de l’IoT, Agnès Petit et son équipe se sont concentrées sur la collecte et l’utilisation de données en temps réel pour l’utilisation de béton dans la construction de tunnels. «A l’aide d’un tableau de bord piloté par les données, nous donnons aux utilisateurs des informations précises sur la manière dont le béton est appliqué», explique-t-elle. Ce procédé permet de réduire le gaspillage et de prendre des mesures correctives pour optimiser les processus de construction.


Adrian Helbling, 54 ans
Cofondateur d’Ecoparts, Hinwil (ZH)

Adrian Helbling produit chaque année grâce à ses imprimantes 3D plus de 10 000 objets à géométrie complexe.

L’engouement suscité par les techniques d’impression 3D remonte déjà à plusieurs années. Tout chercheur rêverait aujourd’hui d’avoir chez lui un système intelligent permettant d’imprimer toutes sortes d’objets, comme des tasses à thé, des cintres ou des montures de lunettes personnalisées. Mais nous n’en sommes pas encore là. L’obstacle, indique Adrian Helbling, «c’est le modèle d’impression, qui doit intégrer une dimension supplémentaire. Ce n’est pas la même chose d’imprimer une invitation d’anniversaire à partir d’un document Word que de créer un modèle en 3D.»

Avec sa firme Ecoparts, ce professionnel du business 3D se situe dans le domaine B2B. Basée à Hinwil, dans le canton de Zurich, l’entreprise fabrique par impression 3D des pièces à géométrie complexe, comme des pignons, des buses ou des blocs de soupapes. Les matériaux vont du titane à l’acier inoxydable, en passant par l’aluminium. Ce procédé de haut niveau répond à l’appellation «fusion sélective au laser». Occupant 14 personnes, Ecoparts réalise la finition des pièces produites à Hinwil également sur le site. Tournage, fraisage, rectification, tout est effectué à la demande d’une clientèle très diversifiée. Celle-ci provient de la construction de machines, des entreprises de technologie médicale, du secteur textile ou encore de la construction d’outils. Ecoparts produit au total plus de 10 000 pièces par an sur huit machines. Une quantité qui fait de la firme le plus important prestataire de services dans ce domaine en Suisse.

La clientèle helvétique représente 80% du chiffre d’affaires. A l’international, les ventes en Allemagne sont majoritaires. Des entreprises renommées se sont impliquées auprès de cette perle technologique zurichoise. Ecoparts compte le groupe Bossard et VonRoll Infratec comme actionnaires. De leur côté, Adrian Helbling et son cofondateur Daniel Kuendig détiennent toujours des parts minoritaires. A l’avenir, Ecoparts doit encore poursuivre sa croissance et élargir sa gamme de produits. Adrian Helbling détaille: «Nous travaillons sur de nouvelles technologies et de nouveaux matériaux. Ici à Hinwil, la devise des habitants est: faire mieux, plus vite et moins cher. Un slogan qui convient parfaitement aux champions du numérique.»


Philipp Schmid, 44 ans
Head Research/Business Development Industry 4.0 & Machine Learning au CSEM, Lucerne

Philipp Schmid rapproche les PME de la numérisation. 

Après des décennies de délocalisation, la production industrielle doit revenir en Suisse. Philipp Schmid en est fermement convaincu. Responsable du domaine Industrie 4.0 & Machine Learning pour le CSEM (Centre suisse d’électronique et de microtechnique), il constate que les délocalisations concernent maintenant aussi la recherche et le développement. Cette émigration représente une perte énorme pour la Suisse. «Nous devons arrêter cette hémorragie, car la Suisse ne peut pas vivre uniquement du secteur de la finance et de l’assurance.»

Dans cet objectif, Philipp Schmid et ses équipes élaborent des solutions numériques qui apportent une valeur ajoutée à l’industrie locale. Sa mission consiste également à rendre les avantages de ces applications accessibles aux PME suisses. «Je fais ici office de traducteur entre le monde des entreprises et celui de la technologie.» Le spécialiste constate que les PME sont de plus en plus ouvertes à la collaboration dans le domaine de la numérisation. «Elles sont conscientes que nous devons saisir chaque opportunité pour rester dans la compétition internationale.» Des applications telles que l’optimisation des processus, le contrôle de qualité en ligne ou la maintenance prédictive basée sur l’IA recèlent ici un énorme potentiel. Passionné de voile et de pilotage durant son temps libre, Philipp Schmid prévoit que la robotique cognitive et la qualité prédictive vont s’imposer dans l’industrie locale. Des améliorations techniques qui plaident pour un retour de la production sur le site helvétique.


Anna Valente, 42 ans
Directrice du laboratoire d’automatisation, de robotique et de machines supsi, Lugano (TI)

Manno: Anna Valente, Head of Automation, Robotics and Machines

Anna Valente développe des robots qui assistent les humains dans des missions dangereuses. 

© Samuel Golay

Passionnée par les robots qui aident les gens à effectuer leur travail dans des situations dangereuses, Anna Valente est professeure de robotique industrielle à la Haute Ecole spécialisée de Suisse méridionale Supsi, près de Lugano. «Prenez les robots d’escalade sur les plateformes éoliennes en mer, ils sont le bras armé de l’homme pour l’installation et les réparations. Ainsi, ils réduisent la fréquence des accidents du travail», explique la professeure. C’est pour ce robot qu’elle a reçu des mains du ministre de la Recherche Guy Parmelin le prix de développement Swiss Dinno Award l’automne dernier. «Cette récompense nous a beaucoup touchées, l’équipe et moi», avoue Anna Valente. L’invention de tels appareils est assurée par le laboratoire Automation, robotique et machines qu’elle dirige. Dans ce rôle, cette femme de 41 ans est plus entrepreneuse que professeure. Le laboratoire emploie 35 personnes, soit un tiers de plus qu’il y a trois ans.

Dans la conversation, cette mère de deux enfants utilise souvent le mot «heureux». Elle veut que ses collaborateurs soient contents et que ses inventions rendent le travail plus sûr et les utilisateurs plus sereins. Selon elle, il est essentiel que les robots aident les hommes dans les tâches difficiles afin de garantir leur sécurité. Lorsqu’elle parle de travail pénible, elle fait référence à des tâches où l’homme se heurte à des limites physiques et mentales. «Cette logique dans la robotique est révolutionnaire», pointe la spécialiste. Depuis 2020, elle aide l’agence Innosuisse de la Confédération en tant qu’experte dans la promotion des fonds de recherche et de développement. Cette tâche lui ouvre une autre perspective qui enrichit beaucoup sa pratique, souligne-t-elle.