Du fondateur de start-up au manager scientifique: Alexander Ilic, cofondateur et directeur de l’ETH AI Center, parle du rôle des start-up dans la révolution de l’IA.

Tout le monde parle aujourd’hui de ChatGPT. Pourquoi cela arrive-t-il maintenant?

Le modèle de langage Generative Pretrained Transformer (GPT) existe déjà depuis des années. Ce qui est nouveau, c’est que son développeur, l’entreprise américaine de logiciels Open AI, a placé un chat en amont. ChatGPT a été lancé en novembre dernier et, depuis, 8 milliards de personnes, soit même les Terriens qui n’ont pas de connaissances en programmation, peuvent en principe trouver des réponses à leurs questions grâce à des algorithmes d’IA.

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L’IA a longtemps été assimilée à l’apprentissage automatique. Les algorithmes reconnaissent des modèles et sont par exemple en mesure de détecter des pièces défectueuses dans une chaîne de production industrielle. En quoi ChatGPT est-il différent?

Nous faisons effectivement la différence entre l’IA classificatrice et l’IA générative. La reconnaissance de formes par classification est plus ancienne. Personnellement, j’ai travaillé avec cette technologie en tant que fondateur et CTO de Dacuda (TOP 100 2011- 2014, ndlr). Nous avons développé une souris d’ordinateur qui permettait de scanner des textes. L’IA générative fonctionne différemment. Elle fait naître du nouveau à partir de données existantes selon des critères statistiques. Ce procédé a fait les gros titres pour la première fois en 2019, lorsque l’application This Person Does Not Exist est apparue. Le logiciel créait des personnes d’apparence réelle, qui n’avaient jamais existé, à partir d’images qu’il avait emmagasinées.

Quel sera selon vous l’impact de l’IA générative?

Ces modèles linguistiques de plus en plus puissants sont en principe accessibles à chaque citoyen de la planète. Leur influence sur l’économie, la société et la vie quotidienne sera énorme. 

Pouvez-vous donner un exemple?

Permettez-moi d’être très pratique et concret. Pour mon dernier TED Talk sur le thème de l’IA personnalisée, j’ai créé toutes les diapositives PowerPoint avec ChatGPT. Cette tâche m’aurait pris une à deux heures auparavant. Le logiciel l’a fait en quelques secondes. Les modèles linguistiques permettent de répondre à n’importe quelle question avec l’ensemble des connaissances mondiales. Utilisée à bon escient, l’IA nous décharge des tâches fastidieuses et laisse la place à ce que seul l’homme peut faire: peser le pour et le contre et prendre des décisions.

Vous estimez qu’une grande entreprise sur deux aura disparu d’ici à dix ans. Pourquoi cela?

Comparées à la révolution de l’IA, même les technologies que nous considérions comme l’incarnation du disruptif font pâle figure. Par exemple le World Wide Web ou le smartphone. La productivité des collaborateurs va augmenter de plusieurs facteurs dans les années à venir. Les grandes entreprises ne réussiront pas toutes à gérer ce bouleversement.

Un coup d’oeil sur les statistiques des brevets montre que l’économie suisse est consciente de l’ampleur du défi. Quel est le rôle des institutions académiques dans ce contexte?

La recherche en IA a heureusement une longue tradition en Suisse. L’IDIAP de Martigny – qui emploie actuellement 160 chercheurs – se consacre aux applications de l’IA depuis 1991 déjà. Et l’IDSIA de Lugano depuis trois ans. A l’ETH AI Center, nous travaillons en étroite collaboration avec l’EPFL, le Swiss National Supercomputing Center, le Swiss Data Science Center ainsi qu’avec diverses hautes écoles spécialisées. On a raison de dire que la Suisse est l’un des plus grands hubs d’IA du monde. En ce qui concerne l’industrie, nous ne sommes certes pas disponibles pour la recherche sur mandat, mais nous entretenons des partenariats avec différentes entreprises, notamment dans les secteurs du conseil et de la finance. Les firmes bénéficient des compétences académiques en intelligence artificielle que nous regroupons ici. 

«L'IDIAP de Martigny se consacre à l'IA depuis 1991 déjà. A l'ETH AI Center, nous travaillons en étroite collaboration avec l'EPFL»

 

L’IA est une technologie transversale classique. Comment gardez-vous le contact avec les utilisateurs dans d’autres domaines?

Nous employons actuellement environ 70 chercheurs regroupés autour d’une centaine de chaires de professeurs. Ces jeunes gens sont des passeurs et sondent les avantages que l’IA peut apporter dans leurs domaines d’origine, les mathématiques, la chimie, la biologie, la médecine ou même les sciences sociales.

Le Centre IA de l’EPFZ a été lancé il y a trois ans. Quels sont vos objectifs à moyen terme?

Nous posons ici les bases d’une future Swiss AI en open source. Nous essayons d’éviter que les entrepreneurs, les chercheurs et les ingénieurs suisses ne deviennent dépendants des fournisseurs américains comme Open AI ou Google en matière d’IA.

Pourquoi l’IA en open source est-elle préférable à une plateforme propriétaire?

Les fournisseurs comme Open AI sont intéressés par la facturation des frais d’utilisation et non par le développement des modèles. Pour l’utilisateur, cela signifie qu’il peut certes utiliser l’intelligence artificielle, mais il n’a aucun aperçu des processus clés sous-jacents et des données avec lesquelles le système a été entraîné. Cela ne pose pas de problème lors de la création d’une présentation. En revanche, les modèles d’IA dans les domaines de la science, de la médecine, de la mobilité et de l’industrie doivent impérativement être fiables, efficaces et dignes de confiance. C’est pour cela que nous avons besoin d’un modèle Swiss AI.

En tant qu’ancien entrepreneur, vous avez une affinité particulière avec la scène des start-up. Comment la communauté vit-elle l’effervescence qui règne dans le monde de l’IA?

Il faut faire une distinction. Il y a les projets qui utilisent un modèle d’IA. Le défi est moins technique qu’entrepreneurial. Parallèlement, il y a les fondateurs qui affinent les modèles d’IA avec leurs propres données. Enfin, d’autres plongent profondément dans les modèles d’IA.

Parlons d’argent. Combien coûte un fine-tuning, soit le processus d’ajustement d’un modèle pré-entraîné sur une tâche spécifique?

Entre 10000 et 100000 francs. Pour un entraînement complet, on parle de millions. Face à de tels investissements initiaux, l’écosystème suisse des start-up peut-il tenir le coup? Le hub IA suisse dispose d’une infrastructure technique bien développée et d’une grande expertise. Cela permet au moins d’amortir les coûts dans la phase de démarrage d’un projet. Mais vous avez raison. Aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, les moyens financiers à disposition sont incomparablement plus importants. Combien de vos chercheurs ont-ils créé une start-up jusqu’à présent? Environ deux douzaines de spin-off sont créées chaque année à l’AI Center. Il y a des projets passionnants avec un énorme potentiel international. Ce qui compte, c’est la créativité, comme le montre l’exemple d’Open AI. Avec ChatGTP, l’équipe de Greg Brockman a supplanté des géants comme Microsoft, Amazon et Google.

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