Philippe Echenard est le directeur général de Migros Genève depuis 2014. Il dirige de ce fait l’une des dix coopératives du géant orange. Mais son expérience et ses vues d’avenir sont uniques en raison de la spécificité du positionnement de Migros à Genève. Le canton est entouré par la France et ses grands commerces, forcément moins chers. Philippe Echenard nous détaille les stratégies que le distributeur met en place afin d’assurer une croissance continue en Suisse romande. Entre projets futuristes et adaptations aux évolutions sociétales et de la clientèle, Migros vit sa révolution à l’image de l’ensemble du commerce de détail en Suisse.

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PME Quelle est la spécificité de Migros Genève versus Migros en Suisse?

Philippe Echenard Migros Genève a la particularité d’être présente aussi sur France. L’aspect frontalier est très important. En effet, 130 kilomètres de frontière relient notre canton à la France alors que moins de 10 kilomètres le rattachent à la Suisse. C’est unique par rapport aux autres coopératives. Nous vivons donc quotidiennement le tourisme d’achat. Ajoutons qu’environ 30% des 3338 collaborateurs de Migros Genève sont des frontaliers, ce qui est dans la moyenne cantonale. Je rappelle que Genève sans les frontaliers ne tournerait pas, c’est simplement statistique.

Il faut préciser aussi que nous avons des activités propres à Migros Genève avec des M-Print-Shop qui fonctionnent comme des petites papeteries, avec divers services d’impression, et surtout des bureaux de change qui n’existaient qu’à Genève jusqu’à fin 2016, date à laquelle un bureau de change a été ouvert à Lausanne. Ce sont deux initiatives locales qui pourraient être reprises par Migros ailleurs en Suisse. Tout comme Migros Zurich qui détient les droits de la marque Activ Fitness et qui, avec notre accord, exploite des fitness sous cette marque sur le territoire de notre coopérative.

La stratégie actuelle d’implantation des magasins de Migros semble suivre les grands chantiers, notamment les gares…

En effet. Nous aurons des magasins dans les gares du train CEVA de Lancy-Pont-Rouge et aux Eaux-Vives ainsi qu’à Chêne-Bourg. Nous évoluons avec la société. Les gares sont devenues des centres commerciaux où il y a beaucoup de trafic. Nous devons être présents dans les gares, que ce soit par le biais de supermarchés ou de plus petits emplacements. A noter que le meilleur chiffre d’affaires au m2 est enregistré par notre magasin de Cornavin. Nous sommes également directement touchés par le futur quartier du PAV. Le projet du Grand Parc est prévu sur notre site historique. Notre centre névralgique et administratif devrait être déplacé. Nous sommes en discussion avec l’Etat pour trouver une solution qui fonctionne. Nous sommes en partie propriétaires et disposons également de droits de superficie. Le plus important est d’avoir l’accès au rail, soit en nous relocalisant sur notre parcelle pour libérer de la place, soit en suivant une autre variante dans le canton, avec accès au rail. Un tiers des volumes vendus dans nos magasins arrive à Carouge par le train.

Certains redoutent la disparition d’enseignes de quartier au profit de centres plus rentables. Les petits magasins ne sont-ils pas à l’agonie?

Non, les petits magasins ne sont pas en train de mourir et le commerce de proximité reprend ses droits. Il y a de nouveaux quartiers qui sont en train de voir le jour, qui auront besoin de petits magasins. A Genève, dans les dix prochaines années, nous ne construirons plus d’hypermarchés comme celui de Balexert. Les gens iront toujours dans de grands magasins avec un éventail important de produits. En revanche, ils demandent à nouveau des magasins de proximité, notamment parce que les logements sont plus petits et l’on a moins de possibilités de stockage chez soi. La fréquence d’achat a changé le comportement des gens. Migros doit s’adapter aux modifications dans les comportements des clients, en réajustant les assortiments de certains magasins ou en les redimensionnant. Toutes nos entités ont des logiques différentes. Nous avons de bons emplacements; il faut maintenant réfléchir sur leurs modèles. C’est une évolution de société.

Les services à la clientèle explosent chez Migros. Vous sortez de votre zone de confort par besoin de nouveaux revenus?

Nos statuts sont clairs, dans l’article 3 notamment qui stipule que Migros doit contribuer à la santé de la population. C’est un concept ancien, mais les déclinaisons liées à la santé à notre époque sont le sport et la médecine. Nous avons entre autres démocratisé le golf, Migros étant ainsi propriétaire de six parcours de golf en Suisse, dont celui du Signal de Bougy. Le pas suivant a été de reprendre des cabinets médicaux avec le concept de Medbase, comme à Cornavin. C’est dans l’esprit du fondateur.

La concurrence est rude dans la branche. Quel fut le coup le plus dur ces dernières années?

Les grands centres en Suisse enregistrent une diminution du chiffre d’affaires à cause d’internet et de la déflation des prix. Le coup qui nous a fait le plus mal n’est pas la concurrence suisse, mais l’évolution défavorable du cours de l’euro, à 1,60 il y a dix ans et aujourd’hui à 1,15. Au niveau de la concurrence transfrontalière, cela a eu un impact direct très important. Il y a aussi le développement des offres sur internet. Nous sommes au début d’une révolution, avec une croissance importante du chiffre d’affaires par ce biais. Migros le constate sur sa plateforme Digitec Galaxus qui rencontre un grand succès. Ce sont des opportunités de développer du business en suivant les nouvelles habitudes. Migros doit jouer le jeu et ne pas subir ce phénomène.

Le groupe français Frey va s’implanter avec un centre commercial géant aux portes de Genève. Avez-vous d’autres projets en France voisine?

C’est en effet une forte concurrence qui arrive. On doit se battre et cela fait partie du jeu. Il y a des possibilités de l’autre côté de la frontière; elles sont logiquement utilisées par les concurrents. A nous d’être bons en Suisse! A Balexert par exemple, nous allons entreprendre de gros travaux de rénovation. En France voisine, il y a eu les ouvertures de Migros à Thoiry en 1993, Etrembières en 1994, puis l’inauguration de Vitam en 2009, à Neydens. Le prochain projet sur lequel nous travaillons est Divonne, proche des Vaudois. Nous avions un projet à Douvaine qui ne s’est pas concrétisé (la reprise avortée d’un Intermarché, ndlr). Nous sommes intéressés par la région, mais pour l’instant il n’y a rien de prévu.

Quelles sont les idées d’avenir que vous discutez avec les autres coopératives de Migros? Le Quick & Drive en fait-il partie?

Quick & Drive n’est pas une priorité en Suisse. C’est un phénomène très français; ici, c’est relativement compliqué avec les besoins de place à disposition et les autorisations de circulation. Je crois fortement que les grands centres commerciaux, s’ils ont la bonne taille et la bonne combinaison d’activités (commerces, restaurants, cinémas, fitness et autres loisirs ou encore services, tels que cabinets dentaires et médicaux), ont un avenir. Mais il va y avoir un frein sur les centres de taille moyenne. Le marché est déjà écrit. On va revenir avec des formats plus petits et, à Migros, nous en discutons. Les évolutions technologiques sont suivies à la loupe chez nous. Le prochain scanner pour les achats en magasin sera le smartphone. Amazon teste en ce moment Amazon Go. Avec ce système, vous entrez dans un magasin et vous êtes automatiquement enregistré à chaque produit tombant dans votre panier. Les achats s’inscrivent dans votre appareil et, lorsque vous sortez, le paiement est fait automatiquement sur votre téléphone. C’est une question de temps, mais cela va arriver un jour chez nous.

Comment résistez-vous à la concurrence des hard discounters Lidl et Aldi, dont l’un des arguments massue est aussi le salaire de leurs employés, plus élevé que chez vous?

Lidl, Aldi ou Denner (qui appartient à Migros, ndlr) continuent certes à se développer et nous prennent une partie du chiffre d’affaires, mais la population augmente, il y a donc compensation. Et Migros avait réagi, en lançant la gamme M Budget. Genève est moins touchée que Vaud par les Lidl et Aldi, qui sont présents dans les arrière-pays; il est plus cher pour ces chaînes de venir s’installer dans les villes. En ce qui concerne les salaires minima comparés, ils sont peut-être un peu plus élevés à la concurrence. Mais il ne faut pas regarder uniquement les salaires minima, c’est avant tout une question de moyenne. Il faut comparer aussi tout ce qui touche aux revenus liés à la caisse de pension à long terme.

Votre modèle d’affaires n’est-il pas en retard sur le commerce digital face à des concurrents bien plus réactifs?

Non, car dans le cas de Digitec Galaxus, nous sommes leader en Suisse! Nous possédons aussi LeShop dont le chiffre d’affaires est en croissance, pour se situer à 182 millions de francs. Mais il est vrai que ces revenus évoluent en Suisse moins vite que dans d’autres pays en raison du réseau de magasins de proximité extrêmement dense. 80% de la population peut atteindre un magasin Migros à partir de chez lui en moins d’un quart d’heure.

Les ventes par internet grandissent, mais le problème de la livraison reste entier…

C’est pourquoi nous avons mis au point PickMup. C’est un service de retrait pratique et gratuit de Migros. Le client effectue ses achats en ligne puis va les chercher au site PickMup le plus proche de chez lui. Il peut alors commander en ligne chez Digitec, Micasa ou LeShop et il a ensuite 14 jours pour retirer ses achats dans une sélection de magasins Migros, migrolino et Ex Libris.

L’attachement des consommateurs envers Migros est-il en train de s’étioler avec les nouveaux concurrents et les évolutions de société?

Non, ce n’est pas le cas. Aux yeux des Suisses, Migros occupe le premier rang et jouit de la meilleure réputation. Ce sont les conclusions d’une enquête de l’Institut GfK qui place Migros en tête du palmarès des entreprises phares du pays et ce, pour la quatrième année consécutive. Les raisons évoquées sont essentiellement liées à notre engagement social et écologique. ■

 


BIO EXPRESS Philippe Echenard

  • 1963 Naissance à Ormont-Dessous (Vaud).
  • 1990 Il entame sa carrière chez Mc Donald's et y gravit les échelons.
  • 2001 Il entre chez SV Group à Zurich puis obtient le poste de CEO. 
  • 2014 Directeur général de la Société coopérative Migros Genève.
  • 2016 Président du Centre Balexert.
EdouardBolleter
Edouard Bolleter