Peter Gilliéron est le président de l’ASF, l’Association suisse de football, depuis 2009. Il a accepté, à quelques jours de la Coupe du monde en Russie, de détailler les rouages, les finances et le fonctionnement de «son» institution et de l’équipe nationale. Car l’ASF est, notamment, responsable de l’équipe nationale suisse, dite la Nati. Celle-ci se déplacera au mois de juin en Russie pour affronter lors de son premier match (le 17 juin) le géant du football mondial, la sélection brésilienne. Avec un classement au sixième rang mondial, l’équipe de Suisse et ses joueurs n’ont jamais été aussi «bankable».

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Les ambitions sportives sont là et la bonne gestion du groupe dépend donc en grande partie du travail de l’ASF, qui fêtera ses 125 ans en 2020. Quels sont ses moyens, son organisation, ses limites ou encore ses stratégies? Peter Gilliéron nous a reçus dans son antre, à la Maison du football suisse de Muri, près de Berne.

PME : L’équipe de Suisse brille, mais c’est l’ASF qui assure son «quotidien». Quelles sont, formellement, les relations entre la Nati et l’ASF?

Peter Gilliéron : La Nati est un élément primordial pour toute l’ASF. Elle est un élément clé pour nous, car c’est elle qui rapporte le plus d’argent. Mais l’ASF représente beaucoup plus que la Nati, car c’est aussi tous les clubs suisses, les sélections des juniors, des femmes et le futsal. Tout cela représente 285 000 joueurs licenciés, 24 000 joueuses et plus de 1400 clubs. C’est donc énorme. Nous sommes une organisation de «politique sportive» avec trois sections, la ligue amateur, la première ligue et la ligue des professionnels (SFL).

Ces trois sections sont représentées dans nos organes, il faut sans cesse trouver l’équilibre entre le football professionnel et amateur. Pour résumer, je dirai que l’ASF appartient aux clubs et que la Nati appartient à l’ASF.

Vous décidez donc de tout pour l’équipe nationale…

Nous fonctionnons comme une entreprise, avec un comité central qui décide en effet de ce qui se passe dans la Nati. Nous engageons, par exemple, le sélectionneur et le staff. Les rôles sont définis comme dans une PME, la stratégie appartient au président et l’exécutif est assuré par le secrétaire général. Le président est élu tous les deux ans. Comme dans beaucoup de PME, j’ai été secrétaire général avant d’être président. Mais je ne me mêle pas de l’exécutif, c’est l’écueil à éviter.

L’ASF a réalisé un bénéfice, en 2016, de 122 000 francs [derniers chiffres avalisés selon un rapport annuel sortant tous les deux ans, ndlr]. Cela peut surprendre…

Le budget dépend énormément des résultats de l’année sportive, respectivement si nous sommes qualifiés ou non pour le Championnat d’Europe ou du monde. L’année 2016, avec la participation à l’Euro 2016, a été économiquement très bonne en effet avec un bénéfice. Les produits nets ont avoisiné les 64,5 millions, contre 49,8 millions en 2015. Notre stratégie est claire, nous faisons des réserves conséquentes lors des bonnes années, car dans le domaine du football, on ne sait jamais! Il n’existe pas de garantie de se qualifier tout le temps. Et lors des années difficiles sans qualification, nous devons absolument continuer à investir dans la formation, il faut même en faire plus que d’habitude. Nous faisons des réserves depuis des années [10,7 millions au total en 2016, ndlr] et beaucoup de projets pour la formation sont lancés. Heureusement, nous ne devons pas faire de bénéfices pour les actionnaires, nous réinvestissons nos gains. Nous sommes responsables envers nos 1400 clubs et leurs licenciés.

Pouvez-vous nous détailler la provenance de ces énormes recettes en 2016?

Hormis la participation à l’Euro (23,5% des recettes), les ventes de droits commerciaux et de droits de télévision (26,2% et 15,7% respectivement) représentent les plus grosses rentrées. Les cotisations des membres (10,1%) sont aussi importantes. A ce sujet, je considère que nous avons de la chance, car c’est une base financière très sûre.

Les clubs participent financièrement en fonction du nombre de leurs joueurs. Cela représente une compensation pour la formation des arbitres et la gestion du football en Suisse, des matches et des championnats. Enfin, nous encaissons aussi un montant sur chaque transfert.

Les droits TV font chaque année parler d’eux par le biais de formidables enchères. Quel est votre regard?

Pour moi, l’évolution des droits TV est un phénomène extraordinaire à suivre. Dans les années 90, je trouvais déjà que les prix étaient au sommet et, pourtant, ils grimpent encore et toujours. Je me demande parfois comment font les chaînes TV! En ce qui concerne les droits de l’équipe nationale, nous les vendons désormais par le biais de l’UEFA.

Avec son organisation, l’UEFA peut rapporter beaucoup plus d’argent et surtout vendre les droits des matches de la Nati à l’extérieur, ce qui nous est interdit. De plus, nous avons éliminé les agents intermédiaires.

Vous avez cité des droits commerciaux importants. S’agit-il des sponsors?

Oui, et ces rentrées sont assurées jusqu’en 2020 grâce à la signature des contrats. Mais nous sommes en contact permanent avec ces sponsors très fidèles. Pour donner l’exemple de notre sponsor principal, le Credit Suisse nous suit depuis 1993. Je tiens à souligner que la banque nous a toujours fait savoir que les résultats de l’équipe nationale n’étaient pas le critère principal [les autres sponsors majeurs sont Swiss Life, Bucherer, Puma, VW et Swiss, ndlr].

Le rapport annuel donne des détails sur des rentrées moins importantes, liées à la Coupe de Suisse par exemple.

L’Helvetia Coupe Suisse ne nous ramène presque rien car nous redistribuons presque tout aux clubs. Nous recevons des subventions de l’Etat, mais elles sont légères. En revanche, je relève que le soutien du Sport Toto est important, car ce sont des investissements que nous utilisons dans passablement de nos domaines d’activité. Notamment dans le football féminin et le football de base. Nous recevons également de l’argent de la FIFA et de l’UEFA.

Existe-t-il aussi des mécènes?

Il n’y a pas de mécènes pour la Nati ou l’ASF. Il faut faire attention car nous devons rester indépendant. L’ASF appartient aux clubs et pas à une personne. Les sponsors, par exemple, ne s’immiscent pas dans notre stratégie et ils l’acceptent.

Qu’en est-il des dépenses?

Les dépenses sont très diverses, dont celles liées à l’équipe nationale. Nous faisons face à tous les frais de formation des arbitres, du département technique et des projets pour le football de base comme amateur. Mais le département technique est clairement le plus dépensier: 11 millions de francs en 2016.

L’effectif de l’ASF est également important…

Nous avons 86 postes équivalents plein-temps pour le secrétariat général et 88 arbitres ou arbitres assistants. En outre, environ 1000 fonctionnaires sont rémunérés à temps partiel pour être actifs dans diverses commissions ou activités en Suisse.

Parlons de la Nati, une véritable petite PME!

Oui, on peut dire cela. Nous sommes comme une entreprise avec plusieurs métiers. Pour vous donner un exemple, nous partons en Russie avec une délégation de 55 personnes et ce sera la plus petite de toutes les équipes présentes. Le staff comprend les 23 joueurs, le coach et ses assistants, un entraîneur physique et un entraîneur des gardiens, un analyste vidéo, deux médecins, quatre physios, un masseur, l’équipe média, les responsables matériel, le team manager, l’administration et la logistique voyage. Celle-ci a d’ailleurs beaucoup de travail, car l’administration russe est, disons, très pointilleuse!

Nous avons aussi un cuisinier depuis plusieurs années. Je me suis laissé convaincre pour la stabilité dans le groupe, car je ne veux pas rencontrer de problèmes parce que la cuisine est mauvaise…

Les joueurs suisses sont devenus des stars. Cela doit coûter cher…

Les joueurs sont salariés par leurs clubs. Nous ne versons que des primes, je peux vous dire que, pour certains, ce sont des pourboires! Ces primes ne sont pas individualisées, elles sont les mêmes pour les 23 joueurs. Vous savez, les remplaçants s’entraînent avec la Nati quatre à cinq semaines par an, c’est un sacrifice. 

La «PME Nati» tourne bien alors?

Avec un budget moyen de 15 millions de francs par an, l’équipe tourne bien, sans frais excessifs. Mais contrairement à une entreprise, on peut très bien travailler et ne pas avoir de succès. Si Ricardo Rodriguez ne sauve pas le ballon sur la ligne contre l’Irlande du Nord en match de barrage retour, tout peut s’inverser. Les résultats dépendent de secondes ou de centimètres. Nos budgets doivent donc fonctionner en prenant compte de cela. Nous adoptons toujours la version «worst case», c’est-à-dire que nous budgétons en tenant compte du plus mauvais résultat possible de l’équipe. Ainsi, les surprises ne peuvent être que positives.

Quelle est l’influence du public sur les «comptes» de la Nati?

Ces dernières années, les changements n’ont pas été importants en termes de recettes, grâce au public. L’affluence du public suisse dépend beaucoup de l’adversaire. Mais je reconnais que le public est de moins en moins conservateur et de plus en plus impliqué. En tout cas, il est fair-play.

Et les clubs professionnels suisses, quels sont vos rapports avec eux?

Nous donnons un montant fixe chaque année à la SFL (Swiss Football League) comme dédommagement même si, aujourd’hui, peu de joueurs de la sélection évoluent en Suisse. Elle est ensuite responsable de redistribuer cet argent dans les clubs. En ce qui concerne les clubs étrangers dans lesquels évoluent des Suisses, ils reçoivent des dédommagements de l’UEFA ou de la FIFA, selon les événements.

La Nati joue avec des ballons Puma mais la Coupe du monde est alliée à Adidas…

Nous sommes toujours fidèles à notre sponsor Puma sauf lors de cette exclusivité en Coupe du monde, Adidas étant un sponsor de la FIFA.

La Suisse vient de décrocher le 6e rang mondial. Comment conserver cette excellence à l’avenir?

C’est un défi de rester dans le top ten. Mais la réponse est simple: formation, formation, formation. Il faut que la base des 6-7 ans soit solide pour que la pyramide fonctionne. Avec 8 millions d’habitants, nous devons chercher la qualité et être sûrs qu’aucun talent ne nous échappe à 12-13 ans.

Sans les 135 000 jeunes, il devient impossible d’avoir du succès à l’avenir. Attention, le mental est important, il faut réussir avec les pieds et dans sa tête.

Vous semblez serein avant ce mois de juin crucial…

Depuis 2009, je suis gâté, nous avons toujours été qualifiés, hormis en 2011 où ce fut plus difficile. Nous possédons une belle Nati, de bons collaborateurs, une bonne société. Je ne suis pas visionnaire, je ne rêve pas de titres, mais je rêve de faire encore des progrès.

On vous demandera tout de même votre pronostic pour le premier match, Suisse-Brésil

Je n’en fais jamais. Nous avions battu l’Espagne au premier match en Afrique du Sud, mais nous ne sommes pas passés. Alors, il ne faut pas se focaliser que sur le Brésil…

 


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L’ASF, c’est 1400 clubs, 285 000 joueurs licenciés et 24 000 joueuses en Suisse.
© ©Stéphanie Liphardt

 

Bio express Peter Gilliéron

  • 1953  Naissance à Brescia (Italie)
  • 1978 Fin de ses études de droit à l’Université de Berne
  • 1978 ‌Juriste à l’Office fédéral des assurances sociales
  • 1982 Chef du service juridique de l’Union suisse du commerce de fromage
  • 1994 Il devient secrétaire général de l’ASF, puis président central en 2009
  • 2011 Il est élu dans le comité exécutif de l’UEFA

 

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Edouard Bolleter