Dans les ateliers de Leclanché, à Yverdon, des dizaines de modules de batterie sont prêts à être expédiés au Danemark pour donner vie au plus gros ferry 100% électrique du monde, une embarcation pouvant contenir près de 200 passagers et 40 voitures, reliant Copenhague à Ærø, une île de la mer Baltique, plus de 30 fois par jour. «Nous sommes sur le point d’achever ce projet pilote financé par l’Union européenne et signé il y a trois ans. Nous avons énormément appris lors des certifications, que nous sommes du reste les premiers à avoir obtenues, glisse Anil Srivastava, le CEO de Leclanché. Désormais, c’est tout le marché du transport maritime qui s’ouvre à nous!»

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L’homme est un passionné de technologie. Ingénieur système indien façonné à la Silicon Valley, il a travaillé dans le secteur de l’énergie, chez Areva Renouvelable en tant que CEO, avant de s’installer en Suisse en 2014. «Nous avons fait des erreurs aussi», poursuit-il, habitué depuis qu’il est en place à Yverdon à répondre des pertes financières de l’entreprise. En 2017, un retard de financement a réduit le chiffre d’affaires à 18 millions de francs (contre 28,5 millions en 2016) et des projets ont pris du retard. «J’aurais dû dire plus tôt que je reprenais une start-up. De l’extérieur, on voit une entreprise de 100 ans, mais la réalité était bien différente», observe le directeur général.

Equilibre financier en 2020

De la société qui employa dans le passé jusqu’à 700 collaborateurs, distribuant une batterie sur deux dans le monde, il ne reste que le nom: Leclanché. En 2000, l’entreprise presque séculaire se trouvait en faillite virtuelle. Le virage technologique était encore à prendre. Des débuts compliqués pour Anil Srivastava et son équipe: «Un chasseur de têtes m’avait fait miroiter l’accélération commerciale de Leclanché, mais lorsque je suis arrivé, la phase développement produit était à peine amorcée. Il fallait trouver des investisseurs, faire des acquisitions et il y avait zéro projet dans le transport électrique, un secteur aujourd’hui en croissance annuelle de 37%. Je ne suis de loin pas le seul à avoir opéré ces changements. Mais je le répète: nous sommes partis à l’état de start-up, en repensant tout notre modèle, cela avec des charges directes lourdes. Aujourd’hui seulement, notre activité commerciale est en plein essor et nous prévoyons un retour à l’équilibre financier en 2020.»

Il ne s’agit en aucun cas de délocaliser la production de Leclanché en Inde.

Hubert Angleys, CFO, Leclanché

La direction évoque un carnet de commandes de 40 à 50 millions de francs pour 2018. En quatre ans seulement, la direction de Leclanché a profondément revu le modèle d’affaires de la société. Près de 275 millions de francs ont été injectés pour transformer l’usine de batteries et de piles, orientée à 80% vers le marché suisse, en un fournisseur de stockage d’énergie s’appuyant sur la technologie lithium-ion et actif majoritairement à l’international. La verticalisation de la structure a fait partie du processus, ce qui a généré des coûts de développement importants, mais également l’obtention de plusieurs contrats, notamment celui d’hybridation de la fourniture d’électricité sur une île des Açores, en 2015, un jalon technologique auquel l’EPFL a participé.

Arrivé début 2016, le directeur financier Hubert Angleys, ancien CEO de Metalor, pointe l’ampleur de l’ouvrage accompli pour la société cotée à la bourse suisse. «Notre structure est relativement traditionnelle, avec 95% du capital détenu par 50 actionnaires et 5% par 2500 petits porteurs locaux. Nous avons reçu un soutien très important de quatre actionnaires extrêmement impliqués, qui détiennent 70% du capital, détaille le CFO. Tous vont percevoir les retours de leur investissement dès que la société aura atteint ses objectifs de croissance. Cependant, ce modèle a parfois été un obstacle pour attirer de nouveaux investisseurs. Nous avons rencontré plus de 100 investisseurs potentiels en deux ans avec un succès mitigé. Je suis certain que dès que la société aura livré les projets en cours de fabrication en 2018, la perspective de retour à l’équilibre deviendra perceptible par le marché.»

Une cinquantaine d’emplois créés

Lors de sa dernière assemblée générale en juin, Leclanché a annoncé que l’entreprise avait assuré son financement jusqu’en 2020 grâce à l’apport de 75 millions de francs en provenance du fonds FEFAM, complété par une facilité de 50 millions pour financer acquisitions ou joint-ventures. «Les investisseurs sont toujours bienvenus pour accélérer notre développement. La grosse différence par rapport à il y a deux ans, c’est que nous tenons de nouveau les manettes bien en main et que notre carnet de commandes est très bien rempli», relève Hubert Angleys, avant d’évoquer l’ampleur des projets à venir.

Désormais, la stratégie de Leclanché se dessine selon deux directions principales: la création de batteries mobiles pour du transport de masse et l’installation de stations de stockage d’énergie, principalement éolienne et solaire, pour bâtiments et réseaux. Hubert Angleys précise l’intérêt de telles stations de stockage: «Nous venons d’acquérir un logiciel de gestion de l’interface entre les batteries et le réseau électrique. Nos batteries permettent à nos clients d’accéder à des services d’écrêtage, stockant l’électricité achetée à bas prix. Ils bénéficient ensuite d’un gain substantiel sur le prix de l’énergie (10-15% en ce qui concerne la Chine, ndlr), en utilisant des batteries aux heures de pointe. Un impact écologique positif pour un pays en recherche de solutions immédiates.»

Si le stockage stationnaire d’énergie représente 80% des revenus actuels de Leclanché, c’est un projet de transport électrique conclu il y a quelques semaines qui occupe en ce moment Anil Srivastava. Après un accord commercial pour la fourniture de batteries à un fabricant indien de bus et de rickshaws, Leclanché a signé une joint-venture avec Exide Industries, un géant indien du secteur de la batterie. Ce partenariat industriel implique la création d’une unité de production en Inde d’ici à trois ans. En attendant, la fabrique de cellules de lithium-ion de Willstätt en Allemagne et les ateliers d’assemblage des modules d’Yverdon devront augmenter leur capacité de production. Une trentaine de postes seront créés au siège pour une cinquantaine sur tous les sites, faisant passer l’entreprise de 150 à 200 collaborateurs. Un chiffre qui pourrait doubler d’ici à cinq ans, selon la direction.

L’Inde, un tremplin vers l’Asie

Une société alliant les noms d’Exide et de Leclanché va être dévoilée prochainement. «Il ne s’agit en aucun cas de délocaliser la production de Leclanché en Inde, rassure Hubert Angleys. L’usine en Asie sera dédiée exclusivement au marché indien, alors que les sites d’Yverdon et de Willstätt continueront à produire pour les autres marchés.» Les batteries indiennes seront donc à terme produites par la joint-venture avec Exide Industries, générant des revenus récurrents pour Leclanché. Le CFO rappelle au passage que la capacité de l’usine de Willstätt atteint 800 000 cellules lithium-ion par an.

«Ce projet est particulier pour nous parce que l’Inde est le deuxième acteur du monde dans la mobilité de masse. Près de 95% de la population indienne circule avec les transports collectifs, bus ou rickshaws. Et c’est nous, une entreprise d’Yverdon, que le fabricant indien de bus a choisis pour équiper sa flotte, se réjouit le CEO. Avant de nous sélectionner, le constructeur s’est tourné vers la Corée, la Chine et d’autres spécialistes de batteries. Mais il nous a confirmé que notre produit était le meilleur, car il se recharge beaucoup plus rapidement que tous les autres et, surtout, sa durée de vie est bien supérieure. On parle de 4000 recharges complètes possibles, soit 15% de plus que la concurrence.» Un atout capital de la PME vaudoise qui a fait toute la différence.

Et demain, les robots...

«L’Inde et la Chine sont les deux premiers acteurs de la mobilité collective. Parallèlement, ils ont besoin rapidement d’un système qui ne pollue pas et cela à un coût abordable, poursuit Anil Srivastava. L’Inde va être une plateforme pour Leclanché, nous permettant de gagner des marchés en Asie ainsi qu’en Europe. Nous serons les seuls à avoir l’expérience de fournir à large échelle cette technologie propre, à des coûts concurrençant le diesel. Qui plus est, nous avons toutes les certifications. Actuellement, l’Europe ne ressent pas l’urgence de passer à la mobilité électrique, pourtant plusieurs villes s’y mettent. Paris a déjà annoncé qu’elle voulait des bus 100% propres pour les Jeux olympiques 2024. Les pays scandinaves, la Belgique, l’Allemagne et Londres sont déjà très avancés.» Certains travaillent avec Leclanché. La Suisse, elle, reste encore en retrait.

La concurrence de Leclanché est multiple et elle provient aussi bien des conglomérats coréens Samsung et LG que des acteurs comme le constructeur californien de voitures électriques Tesla. «Pour nous, Tesla est une source de visibilité supplémentaire sur le marché de la mobilité électrique, note le CEO. Maintenant, ce qui intéresse Leclanché, ce sont les transports collectifs, comme les bus, les bateaux, les appareils de chantier. Ils ont besoin de batteries durables qui se rechargent rapidement.» Visionnaire, le patron de la PME d’Yverdon, qui a réservé sa Mercedes Classe S électrique pour 2020, va même plus loin. Il nous parle de l’intelligence artificielle, des robots qui auront besoin de batteries, rapides et propres. Mais pas d’emballement pour l’heure, juste des projections sur l’avenir d’une entreprise plus que centenaire, plusieurs fois annoncée en quasi-mort clinique.
 


«Ce qui nous a sauvés, c’est d’avoir toujours continué à bâtir la société»

Trois questions à Anil Srivastava, CEO de Leclanché

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D’usine de batteries et piles, Leclanché s’est mué en expert de la technologie lithium-ion.
© A.Herzog

Lorsque vous êtes arrivé comme CEO en 2014, Leclanché était en pleine mutation. Qu’est-ce qui vous a fait accepter ce mandat?

Je n’aurais pas signé si j’avais su toutes les difficultés qui attendaient la société, je le dis en toute transparence. Je partais pour une aventure industrielle; on parlait alors d’explosion de l’énergie renouvelable et je savais qu’il y aurait du travail. Mais nous avons dû travailler comme des fous, week-ends compris, nos familles ont dû s’y faire et j’ai parfois eu des doutes.

Dès lors, comment avez-vous gardé la tête froide, notamment en 2017 lorsque la société s’est trouvée en surendettement?

Je ne suis pas un de ces «serials entrepreneurs» qui ont déjà monté cinq sociétés et pensent à la suivante. Je suis un entrepreneur certes, mais avec une fibre industrielle classique. Ce qui nous a sauvés, c’est que, quelle que soit la situation financière, nous avons toujours continué à construire la société, à répondre aux demandes des clients, à modéliser les projets pour les bus indiens par exemple, sans jamais baisser les bras. Toutes les équipes sont restées concentrées et quand les fonds ont de nouveau été disponibles, nous avions des contrats à honorer. L’autre paramètre a été le soutien inconditionnel de nos actionnaires majoritaires. Ce ne sont pas des investisseurs traditionnels qui veulent un retour à cinq ans. Ils ont eux-mêmes participé à trouver d’autres financements, convaincus de notre potentiel. La force de conviction a été essentielle pour redresser une société longtemps en déficit de résultats et d’image. Désormais, Leclanché réalise son chiffre d’affaires principalement à l’étranger, même si son siège et son site R&D sont à Yverdon.

Comment parvenez-vous à convaincre dans des marchés où les cultures business sont très différentes?

J’apprécie la question; j’ai toujours pensé que, à ma retraite, j’écrirais un livre sur ce sujet. C’est passionnant et ça fait partie des plaisirs du job. En tant qu’Indien né et scolarisé en Inde, formé en Californie, puis en Europe, j’ai acquis certains automatismes. La communication n’est pas une question de langue, mais de personnalité. Je sais par exemple que si je parle à des Allemands avec trop peu de détails et sur un ton un peu autoritaire, ça ne passera pas. Ailleurs, ce sera différent, mais il faut toujours garder une touche d’humour.