Moins de sucre et de sel, ajout de superaliments ou conditionnement écologique: la collation saine est le dernier-né des phénomènes alimentaires misant sur le naturel. «De manière générale, explique Francesco Stellacci, directeur du Food Science and Nutrition Center de l’EPFL (CNU), le retour au naturel est un argument de vente dans tous les domaines. Il s’est fait de manière transversale dans l’industrie agroalimentaire. Avec nos modes de consommation actuels et une certaine prise de conscience, il est normal d’observer ce boom dans le secteur des snacks.»

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Les chiffres l’attestent: au niveau mondial, le marché du «healthy snack» devrait atteindre 33 milliards de dollars d’ici à 2025, avec un taux annuel de croissance de 5,1%, selon le cabinet Grand View Research. L’Europe tire ce secteur à la hausse en raison des mentalités changeantes, en particulier auprès des jeunes consommateurs. «La population plus jeune exige davantage d’éléments nutritifs dans ses collations, ce qui conduit à un recours croissant aux snacks comme une alternative saine», souligne l’étude.

Bircher muesli revisité

Cette tendance se confirme en Suisse avec un taux de croissance annuelle allant de 1% pour les noix et les graines à plus de 2% pour le segment «fruit snacks», selon l’agence Euromonitor. Cette hausse voit donc l’émergence de nombreuses start-up spécialisées dans ce segment, avec son lot d’arguments de vente différents. Selon le directeur du CNU, certaines privilégieront l’innovation gustative tandis que d’autres mettront en avant les apports énergétiques de leurs encas. «Si toutes vont tenter de se différencier, les nouvelles entreprises souhaitent avant tout mettre en avant les ingrédients naturels, voire des produits locaux», remarque Francesco Stellacci.

Le naturel est un argument de vente dans tous les domaines.

Francesco Stellacci, Directeur, CNU de l’EPFL

C’est notamment le cas de la société lausannoise Brave Foods (lire encadré), dont les aliments entrant dans la composition de sa gourde sont labellisés bios. Sorte de bircher revisité, la recette se compose de fruits mixés, mélangés à du lait végétal et complétés de superaliments comme des graines de chia. «Je voulais retrouver les qualités nutritionnelles et gustatives des «smoothie bowls» découverts lors de mes voyages aux Etats-Unis», explique le fondateur, Ladislas Beuzelin. Elaborés dans sa propre cuisine, les mélanges proposés se composent d’ingrédients essentiellement naturels «que l’on peut trouver chez soi».

Un principe similaire anime le business model de Delikits. Depuis septembre dernier, cette jeune entreprise lausannoise officie comme un traiteur destiné aux nouveau-nés. Les deux fondatrices, Fanny van der Loo et Maïna Probst, ont professionnalisé la production et la distribution d’aliments frais et sains pour les petits de 5 mois à 3 ans. Au menu: des ingrédients locaux, de saison et bios sans additifs ni conservateurs, grâce à la pasteurisation. «Concilier la vie professionnelle et l’offre d’alimentation saine pour ses enfants est parfois difficile», souligne Fanny van der Loo pour expliquer leur business model. En s’appuyant sur Takinoa, une référence dans l’alimentation saine, Delikits sélectionne des fournisseurs locaux, élabore des recettes et remplit les bocaux en verre. Chaque mets est adapté aux besoins de chaque tranche d’âge grâce à une collaboration avec des nutritionnistes de l’Université de Zurich.

Jusqu’au recyclage des bocaux

Outre le naturel et la fraîcheur des aliments, toujours plus d’entreprises communiquent sur leur utilisation de packagings écoresponsables. «Les consommateurs sont sensibles aux matériaux utilisés dans les emballages des aliments, souligne Francesco Stellacci. Cet aspect a autant d’importance que la fraîcheur et le goût des aliments.»

Les sociétés actives dans l’alimentaire l’ont bien compris, comme en témoignent les boîtes de «snacking» de Hoppbox. Depuis 2016, cette start-up genevoise s’est lancée dans l’envoi d’assortiments personnalisés de fruits à coque, de graines et de fruits secs, «si possible de production locale ou issus du commerce équitable», précise Nick Richmond, fondateur de l’entreprise. Chaque carton est constitué de matériaux recyclés et réalisé par des employés de l’atelier protégé de la fondation genevoise Foyer-Handicap. «Les consommateurs sont de plus en plus intéressés par les initiatives locales, innovantes et à taille humaine», dit Nick Richmond. Pour l’heure, quelque 160 000 boîtes ont été distribuées vers les 80 entreprises et les quelques centaines d’abonnés que compte Hoppbox.

Il en va de même chez Delikits et ses petits pots en verre. La jeune société assure une livraison dans plusieurs crèches lausannoises, des épiceries fines et chez les particuliers. Elle livre aujourd’hui ses bocaux en verre emballés dans du carton recyclé chez une centaine de clients et dans 26 points de retrait différents entre Lausanne et Genève. «Il nous paraissait indispensable de travailler avec des matériaux réutilisables, détaille Fanny van der Loo. C’est pourquoi nous réutilisons les pots en verre récupérés chez nos clients. Tout le processus entre dans une logique de réduction du gaspillage et d’efficience.» Fortes de leur succès, les deux fondatrices envisagent une diversification dans d’autres segments, comme la livraison d’aliments adaptés aux personnes âgées, aux sportifs ou aux personnes souffrant d’intolérances. Tout en continuant sur le marché actuel avec un développement du nombre de crèches partenaires.

Les entreprises en ligne de mire

Chez Felfel, le naturel cohabite avec la technologie. Depuis 2014, la start-up zurichoise propose des plats et des snacks aux entreprises. Elle installe un réfrigérateur intelligent chez ses clients et l’approvisionne quotidiennement avec des repas variés, comme l’explique Anna Grassler, responsable de la communication. «Un frigo correspond, en quelque sorte, à avoir dix chefs à disposition sur son lieu de travail. Les plats sont préparés par des entreprises familiales.»

Le coût pour l’entreprise cliente varie en fonction du service demandé «avec plusieurs types de modèles de services». Au total, la société compte 200 clients dans toute la Suisse, dont Nestlé et Nespresso. Avec plus de 40 employés, l’entreprise assure livrer de la nourriture fraîche tous les jours de Genève à Saint-Gall, en passant par le Tessin et les Grisons.

Si Smowl est le seul produit disponible également dans les grandes surfaces, les autres ont tous choisi de fournir directement les entreprises et les privés. La raison? La demande pour des repas équilibrés accessibles sans perte de temps. Et aussi l’ambition de révolutionner un marché où se battent essentiellement les acteurs de la restauration collective.

Les consommateurs sont sensibles aux initiatives locales.

Nick Richmond, Fondateur, Hoppbox

«Il est difficile de s’attaquer directement aux repas classiques, explique Ladislas Beuzelin. Par contre, il est possible de remplacer la barre chocolatée de 10 heures ou la pomme de 16 heures. Et les bureaux sont un lieu privilégié pour tout type d’encas. C’est pourquoi le «healthy snack» se positionne essentiellement sur cette clientèle.» Même constat du côté de Nick Richmond: «Lorsque je travaillais dans un grand groupe international, je me retrouvais trop souvent face aux choix limités des distributeurs de friandises. Il fallait trouver une alternative.» Pour Anna Grassler, un «healthy snack» est une façon positive d’inciter les employés à manger ce dont ils ont besoin sans devoir faire des sacrifices.

Avec l’émergence de ces nouvelles sociétés, conjuguées à la pérennité des acteurs historiques, faut-il craindre une saturation du marché alimentaire? Pour Ladislas Beuzelin, en Suisse, le secteur n’est pas encore hyper-concurrentiel comme au Royaume-Uni par exemple. Une observation partagée par Francesco Stellacci. «Contrairement au secteur des téléphones où deux acteurs enregistrent près de 40% de parts de marché, le secteur alimentaire est relativement fragmenté malgré la présence des multinationales comme Nestlé, Kraft Foods et Unilever. Il y a donc de la place pour tout le monde.»

Quand les géants se repositionnent

Un autre argument soulevé par le directeur du CNU concerne les géants de l’agroalimentaire. «Ceux-ci peinent à innover rapidement sur un secteur précis. Ils auront davantage tendance à acheter une start-up ou une société qui connaît un certain succès.» Et l’actualité regorge d’exemples de repositionnements sur le marché du snack naturel. Le dernier en date concerne PepsiCo qui a récemment acquis Bare Foods, un fabricant américain de collations de fruits et de légumes cuits au four.
 


Une gourde de superaliments pour le goûter

Avec des encas sains et nutritifs, Brave Foods vise un triplement de son chiffre d’affaires sur les marchés suisse et français.

«Nous voulons remplacer la pomme du goûter!» Cofondateur de la société lausannoise Brave Foods, Ladislas Beuzelin ambitionne d’équilibrer les repas dans la journée avec son encas sain Smowl et d’être préféré aux traditionnels encas. Contraction des mots anglais «smoothie» et «bowl», ce snack sous forme d’une gourde est composé avec des ingrédients naturels, du lait végétal et des graines comestibles. «Avec Smowl, précise le fondateur, nous entrons dans la tendance de manger moins mais plus fréquemment avec des aliments sains. C’est pourquoi ce n’est pas un substitut de repas.»

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Avec sa marque Smowl, Brave Foods veut remplacer la pomme du goûter. 
© Brave Foods

Une tendance qui s’observe notamment au sein des bureaux et des entreprises, correspondant aux principaux clients de la société. Le site genevois de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le centre lausannois de Philip Morris International, les campus universitaires tels le Rolex Learning Center à Lausanne ou l’Université de Genève figurent également dans la liste des intéressés tout comme la chaîne de distribution Coop. Les résultats de la Coop font office de baromètre au sein de Brave Foods. «Nous avons réussi la phase d’essai de six mois et avons signé une présence dans les rayons des Coop City sur tout le territoire suisse jusqu’à la fin de l’année. Cette visibilité va nous permettre d’analyser les tendances et les préférences des consommateurs dans chaque région.»

Outre la Suisse, la start-up créée en 2016 profite également d’une visibilité en France, notamment au sein du réseau spécialisé Naturalia et Nature & Découvertes. Au total, la société compte entre 450 et 500 points de vente en Suisse et en France. «Environ deux tiers de nos volumes sont exportés vers l’Hexagone. En termes de chiffre d’affaires, il y a un équilibre entre les deux pays.» A la suite de son lancement en avril 2017, Brave Foods a écoulé 100 000 unités sur sa première année. «Entre janvier et avril de cette année, nous avons déjà atteint les ventes totales de l’année passée. En 2018, nous espérons doubler voire tripler notre chiffre d’affaires.»


 

TP
Tiago Pires