Michael Kamm, propriétaire et CEO de l’Agence Trio, dirige la plus vieille agence de publicité de Suisse, fondée en 1931. Cette année, le Lausannois, marié et père de cinq enfants, a été élu Publicitaire de l’année pour son engagement en faveur de la branche par les trois grandes associations professionnelles que sont Leading Swiss Agencies, l’Association suisse des annonceurs et Communication Suisse. A ce titre, il endosse le rôle d’ambassadeur de la communication romande pour l’année 2018. L’occasion de plonger avec lui dans une branche en pleine mutation.

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PME Michael Kamm, vous êtes l’ambassadeur de la publicité et de la communication romandes cette année. Votre branche a-t-elle besoin de se défendre?
Michael Kamm Oui, nous avons de nombreux combats à mener contre les attaques abusives faites à la publicité, notamment par les partisans de zéro pub dans la rue. Nous sommes aussi une cible très appréciée des politiciens qui aiment mener des combats de façade contre notre branche d’activité accusée d’être responsable de la surconsommation. Sans oublier, bien sûr, l’ouragan numérique des grands acteurs comme Google, Facebook, YouTube, qui s’arrogent une part toujours plus importante du gâteau publicitaire. Les investissements sur ces grandes plateformes numériques sont passés de 1 à 2,5 milliards de francs sur le marché suisse en près de trois ans.

Quelles sont vos armes pour lutter contre ces géants?
Faire prendre conscience aux annonceurs que ces plateformes ne constituent pas la panacée, et rapatrier une partie de leurs investissements vers d’autres canaux de communication. Nous avons tous observé la hausse vertigineuse de la publicité sur les réseaux sociaux et elle était tout à fait justifiée. Mais aujourd’hui la donne change, le phénomène de mode ralentit. Il faut savoir que le taux de clics moyen sur une publicité digitale (réseaux sociaux, moteurs de recherche, etc.) est passé de 0,1 à 0,005% en trois ans. C’est 20 fois moins! Les gens sont exposés chaque jour à des milliers de messages publicitaires intrusifs, il y a une réelle saturation.

Faut-il comprendre que le numérique devient ringard ?
Non, pas du tout. Aujourd’hui, je ne peux pas imaginer un lancement de produit sans un volet digital fort. Par contre, les annonceurs se rendent compte petit à petit que l’aspect émotionnel d’une publicité n’a peut-être pas le même impact via le digital. Si votre publicité s’affiche à côté d’un contenu de qualité dans un magazine que le lecteur a choisi d’acheter, l’identification à la marque est plus qualitative. La programmatique qui permet de marteler son message publicitaire partout devient incontrôlable et noie la perception de la marque.

Pouvez-vous nous donner un exemple?
Je pense que tout le monde a déjà fait l’expérience de rechercher une information sur des pâtes et de constater ensuite que des publicités Barilla (ou d’autres marques) envahissent toutes les pages internet que vous consultez les jours suivants. Il y a trop, cela engendre un sentiment d’indigestion très désagréable.

Pourtant, vos clients doivent être nombreux à vous demander des campagnes 100% digitales?
Oui, mais nous leur conseillons un mix multicanal qui multiplie les points d’entrée sur la marque en intégrant bien évidemment du digital mais aussi de l’affichage ou de la presse et même du multisensoriel (verbal, visuel, auditif, olfactif…). Il faut savoir que l’être humain a les capacités de reconstituer un message créé de différents éléments comme des pièces de puzzle que l’on assemblerait pour obtenir un tout cohérent. Si vous vous intéressez à la neurologie, vous comprenez que ces techniques ancrent un message plus profondément dans les esprits, sans être intrusives pour autant.

Quelles sont les prochaines tendances fortes à venir dans la publicité?
Sans aucune hésitation, c’est la voix qui va exploser ces prochaines années. Aujourd’hui, vous achetez à prix d’or des mots clés pour figurer en tête de liste sur les moteurs de recherche. Demain, ce sera l’achat de mots clés pour la voix, liés notamment au développement de Google Assistant ou d’Amazon Alexa, ces bornes vocales qui vont très rapidement s’imposer dans les foyers. Les outils digitaux liés à la voix peuvent devenir très puissants avec l’appui de l’intelligence artificielle.

Vous parlez du prix d’or payé par les entreprises pour s’offrir les mots clés. Comment les PME peuvent-elles réagir ?
Les prix varient en fonction de l’offre et la demande. Résultat, certains prix liés à des mots comme «voiture» et «occasion», par exemple, s’avèrent totalement prohibitifs pour des petites entreprises. Une des parades consiste à se montrer plus créatif sur les mots et expressions recherchés, en misant plutôt sur «véhicule» et «bon marché» par exemple. Trouver des opportunités dans le timing, lorsque la demande est plus faible, permet également une marge de manœuvre. En résumé, c’est une véritable bourse.

Vous parlez de bourse, mais est-ce que l’on pourrait voir un jour les prix dégringoler?
C’est très difficile à dire. Les Google Ads semblent incontournables. Mais l’émergence d’une nouvelle concurrence pourrait changer la donne, et celle-ci pourrait un jour provenir des réseaux sociaux. Nous assisterons peut-être à une lassitude des annonceurs si les prix continuent de grimper mais je ne crois pas à une véritable révolution car nous sommes tous pris dans le «piège» d’une présence sur le web.

En tant qu’agence de publicité, vous dénoncez régulièrement un autre piège, celui des concours. Pourquoi ?
Oui, il s’agit de l’un des gros problèmes de notre secteur d’activité. Chez Trio, nous avons décidé de ne plus participer aux concours d’agences non rémunérés. Pour une entreprise qui gagne sa vie avec ses idées, il n’est pas acceptable de brader son savoir-faire pour rien. En général, nous demandons entre 2000 et 5000 francs pour participer à un appel d’offres requérant le développement d’une stratégie et de pistes créatives, et je peux vous assurer que ça ne couvre de loin pas les frais engagés. Il s’agit simplement de respecter le travail effectué. L’autre aspect dérangeant des concours concerne le nombre d’agences appelées à participer. Vous ne pouvez pas demander à dix agences de réfléchir pour vous et n’en sélectionner qu’une seule à la fin, c’est beaucoup trop.

Etes-vous confronté, en tant qu’agence, à une forte concurrence étrangère ou zurichoise?
Non pas vraiment, même si dans les années 2000, nous avons pu observer un certain attrait des clients locaux pour les agences étrangères. Il n’a pas duré très longtemps car le marché suisse est très complexe avec ses langues et ses cultures différentes. Là, je dirais que nous avons beaucoup de chance car les clients restent très fidèles à leurs agences suisses. En tant qu’agence bilingue, Trio a la chance de compter dans son portefeuille des clients d’envergure nationale, ainsi que des entreprises romandes désireuses de conquérir le marché alémanique et inversement. Mais il est vrai de dire que les agences romandes doivent beaucoup se battre pour décrocher les mandats publicitaires nationaux de grands comptes.

Est-ce que la digitalisation engendre une hausse des budgets marketing et communication au sein des PME?
Si vous englobez l’achat de mots clés, la gestion du site internet, celle des réseaux sociaux, vous faites face à des frais fixes qui n’existaient pas auparavant. Mais les budgets n’ont pas pris l’ascenseur ces 20 dernières années. Par contre, les secteurs de la communication et du marketing sont devenus beaucoup plus stratégiques et complexes pour les PME. D’ailleurs, les relations entre un CEO et son agence de communication se sont dynamisé et c’est très positif.

Trio a été mandatée pour travailler contre la campagne «No Billag». Travailler pour la politique, est-ce différent?
Outre les enjeux de société, la principale différence est le temps à disposition. Dans le cas de «No Billag», c’était très court. D’autant plus que nous avons été appelés à la rescousse après la publication des premiers sondages qui donnaient le camp du oui à l’initiative largement gagnant. Nous avons réagi très vite en proposant à nos clients de changer de discours. Au lieu d’expliquer en long et en large un sujet aussi complexe, nous avons diffusé des messages allant à l’essentiel et compréhensibles par chacun. Je pense que cet axe stratégique a été déterminant dans l’ampleur du refus de l’initiative «No Billag».

Est-ce que les frontières sont toujours plus floues entre communication, publicité et relations publiques?
Absolument. Ces disciplines sont interconnectées et souvent présentes sur un même terrain de jeu; on assiste d’ailleurs au développement de plus en plus important du native advertising, à mi-chemin entre publicité et information. Disposer d’un département RP intégré dans son agence de communication est très précieux.

Je vous ai entendu dire que la publicité favorisait la démocratie, n’exagérez-vous pas un peu?
Sans revenus publicitaires, la TV, la radio et la presse régionale, ainsi que leurs versions digitales, n’ont pas les moyens de remplir leur mission sociétale. Sans médias régionaux et locaux, pas de couverture de l’actualité, pas de confrontations d’opinions, pas de vecteurs d’identité, pas de 4e pouvoir et pas de véritable démocratie. Aussi étrange que cela puisse paraître, placer des annonces dans ces médias constitue un acte démocratique.

Comment l’Agence Trio est-elle parvenue à traverser les décennies depuis 1931?
Monitorer les trends, faire preuve de bon sens, dénicher les talents, soigner ses clients, développer une vision à long terme, toujours avoir un coup d’avance: c’est l’ensemble de ces valeurs qui nous a permis de rester au sommet toutes ces années. L’Agence Trio a aussi décelé très tôt le potentiel du digital pour l’intégrer pleinement dans des campagnes multicanal. Pour toutes ces raisons, nous serons toujours là pour fêter notre centenaire!

 


Bio express Michael Kamm

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Selon le spécialiste, la voix va prendre une importance considérable dans la publicité.
© ©Stéphanie Liphardt
  • 1967 Naissance à Berne.
    2003 Il prend la direction de l’Agence Trio.
    2005 Rachat de l’agence à ses dirigeants.
    2018 Il est élu Publicitaire de l’année et endosse le rôle d’ambassadeur de la communication romande.

 

 

 

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Thierry Vial