On peut perdre la face en tant qu’individu, parce qu’on a triché, menti ou outrepassé ses fonctions. Quelquefois, c’est toute l’entreprise qui bascule, par exemple lorsque sa vente a fait ressurgir des «casseroles» ou qu’un scandale a sali son nom. A bien y regarder, au quotidien et bien sûr dans une moindre mesure, on souffre tous à un moment de sa vie de discrédit. Un jour vous êtes cité en exemple, le lendemain votre collègue vous est préféré. Idem avec vos clients, à l’humeur de plus en plus volatile. La disgrâce peut toucher quiconque demain. Alors, comment faire pour réussir son retour en grâce?

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Nous avons demandé à deux entrepreneurs d’expliquer comment ils sont parvenus à remonter la pente: Louis Risse, directeur général de Bernasconi, entreprise de construction et de génie civil dont le nom a été éclaboussé par le scandale Chagaev, et Stéphane Joly, champion suisse de course, suspendu pour dopage avant de créer sa propre entreprise de transport. François Savary, CIO de Prime Partners, reconnaît quant à lui qu’«il ne faisait pas bon être banquier après 2008» et évoque la reconstruction du secteur bancaire après sa plongée due à la crise des subprimes. Enfin, Gilles Meystre, président de GastroVaud, souligne les dispositions récentes mises en place pour aider un secteur très concerné par les questions de réputation. Voici sept pistes à explorer.

1 Rétablir la communication

Ce paramètre a été relevé par tous nos interlocuteurs: la réputation est un composant incalculable, qui peut faire perdre ou gagner un projet bien avant le prix d’une offre. Ainsi, lorsque le mal est fait, il est donc indispensable de rétablir la communication avec tous ses partenaires. «Avant, le nom de Bernasconi suffisait à lui seul à décrocher des marchés, mentionne Louis Risse, qui a dû ranimer la confiance, à l’interne comme à l’externe. A mon arrivée dans l’entreprise il y a deux ans, c’était sensible rien que de traverser les couloirs, il n’y avait pas un bruit dans les bureaux. J’ai expliqué à tous le plan de relance. Depuis le départ de Sylvio Bernasconi en 2012 et l’affaire Chagaev, les collaborateurs n’avaient plus de réponses à leurs questions. Ils avaient donc cessé de communiquer ou étaient partis. J’ai remis en place des séances de discussion entre les contremaîtres et la direction. On a aussi refait notre site internet pour s’ouvrir vers l’extérieur.»

Ceux qui ont résisté aux évolutions dans la banque privée ne s’en sont pas bien sortis.

François Savary, CIO, Prime Partners

2 Se remettre en question

Arrogance, perte de valeur, course à la réussite sont souvent des spirales qui entraînent vers le fond, comme l’observe François Savary: «Le modèle de la gestion bancaire privée tel qu’on le connaissait a complètement changé (après la crise financière des subprimes, ndlr). Dès lors, la première démarche était de ne pas s’opposer aux modifications du cadre légal et d’avoir une participation proactive dans ce processus. Ceux qui ont résisté ne s’en sont pas bien sortis.»

Remettre le curseur au bon endroit, revoir ses marges, se former, oser se lancer de nouveaux objectifs, telles sont les directions suggérées. «Trouver le marché cible est devenu encore plus important, d’autant que celui-ci est mouvant, poursuit le banquier. Par exemple, les PME ont commencé à être courtisées, alors qu’elles étaient assez peu considérées jusque-là.»

3 Travailler sur les bases

Lorsque le désamour ou le scandale frappent à votre porte et que les clients partent un à un, l’urgence est de trouver du travail et de revenir à l’essence de sa profession. «Le domaine bancaire est une activité de services et on l’avait oublié au profit de la performance pure. Celle-ci n’est en fait que le fruit de la confiance et de la compréhension des besoins globaux du client, expose le CIO de Prime Partners. Il fallait reprendre conscience de cette priorité.» Une autre manière de se retrousser les manches, lorsque le téléphone ne sonne plus, c’est d’aller chercher le travail où il est: «J’ai accepté des chantiers à très faible marge, pour garder les équipes et revenir, note Louis Risse. Mais sans jamais casser les prix, car ce n’est pas une solution à long terme. Ça faisait partie des mesures à prendre.»

4 Analyser les chiffres avec recul

Le lien de confiance étant rompu, l’impact sur les résultats de l’entreprise arrive tôt ou tard. Mais cet indicateur n’est pas toujours de bon conseil car il peut y avoir beaucoup de latence. «J’ai pris de la distance face aux chiffres, glisse le directeur général de Bernasconi. Je savais que la première année allait être catastrophique et la deuxième un peu meilleure. Nous suivons une feuille de route, nous avons tourné le gouvernail mais nous sommes encore dans le champ d’inertie.»

Le secteur bancaire aussi a bouleversé sa manière de voir. «Les réalités du marché ont changé, avec une augmentation des coûts et une baisse des revenus, rappelle François Savary. En clair, il fallait s’adapter à la pression sur les marges. L’erreur est de vouloir tout faire en même temps pour rattraper les affaires. Il faut bien comprendre là où nous pouvons amener une vraie valeur ajoutée.»

5 Rester en contact avec les acteurs du marché

Tombé de haut, jugé et mis de côté, le paria aurait sans doute envie de s’isoler. Or, c’est exactement l’inverse de ce qu’il faut faire. «Je travaille avec des clubs sportifs, les gens connaissent mon histoire de dopage, mais on ne m’en parle pas. Ils sont probablement gênés, suppose Stéphane Joly. En revanche, on me demande encore souvent si c’est moi le coureur. Ça ne va pas plus loin, car je réoriente la discussion sur le boulot. L’important est d’aller de l’avant et de trouver des solutions pour optimiser chaque situation, dans le sport comme dans une entreprise. Dans ma nouvelle vie (lire encadré), si un de mes chauffeurs a un souci, ma première réaction ne sera pas de l’engueuler ou de le juger, mais de lui demander s’il peut amener les passagers à destination.»

Chez Bernasconi aussi, Louis Risse a évité le repli: «J’ai repris contact avec des partenaires historiques avec lesquels nous collaborons de nouveau en consortium sur certains projets. Oui, il a fallu prendre son téléphone et aller voir les gens. Ça a été difficile de démêler les casseroles, parfois; ma plus grande source de stress. Nous avions plusieurs millions de francs bloqués sur des cas qui nourrissaient les avocats. J’ai réglé la majorité de ces affaires par le dialogue. C’est l’avantage d’être le nouveau dirigeant, on peut rencontrer tous les acteurs sans souffrir de l’historique.»

6 Patienter sans s’épuiser

Si l’on peut chuter en un jour, la reprise demande de la patience. Garder la tête froide, rester factuel et reprendre les bases contractuelles conclues avec les partenaires sont autant de recommandations pointées par nos interlocuteurs. Et François Savary d’ajouter: «Un business de la remontée se fait dans des conditions fluctuantes. Il faut s’adapter et ce mécanisme est encore en cours des années après.»

Etre flexible, certes, mais garder un œil sur le chrono. «La phase de stabilisation ne peut pas durer trop longtemps non plus, car on épuise rapidement les réserves financières et émotionnelles», précise Louis Risse.

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Gilles Meystre, président de GastroVaud
© J-B Sieber/Arc

7 Apprendre à vivre avec sa réputation

Sans être marqués au fer rouge, les acteurs ou victimes d’un scandale doivent vivre avec cette trace, cela encore plus à l’heure d’internet. «La question de la réputation a pris une telle ampleur dans la restauration que nous proposons une formation sur TripAdvisor qui cartonne, expose le président de GastroVaud. On y apprend à répondre aux clients qui vous insultent sur les réseaux sociaux, en expliquant le contexte, l’origine de vos produits et en l’invitant à revenir. Cela permet de désamorcer.»

Vivre avec un nom entaché, «ça demande une énorme force de caractère», ne cache pas Stéphane Joly. Quant à Louis Risse, qui n’a pas été personnellement touché – contrairement à Sylvio Bernasconi, encore blessé, selon ses proches –, il tient à rappeler que «derrière le nom et le brouhaha populaire, il y a aujourd’hui une nouvelle culture d’entreprise».


Stéphane Joly: «J’ai choisi de travailler dans la structure familiale. C’est mon nom et j’en suis fier»

Multiple champion de Suisse de cross et vainqueur de la course à pied Morat-Fribourg en 2011, Stéphane Joly a été suspendu deux ans pour dopage en avril 2013. Il n’a jamais été testé positif, mais c’est sur la base d’anomalies dans son passeport biologique qu’il a été sanctionné. Clamant son innocence, le coureur jurassien du Stade Genève a vu sa carrière arrêtée net.

L’affaire avait été médiatisée jusque dans le Blick, polarisant les fronts contre ou en faveur de l’athlète, cela jusqu’à l’échelon des autorités politiques. L’entreprise de transport de son père, Joly Voyages, s’est vue éclaboussée, mais dans une moindre mesure. «Ça n’a pas eu d’implication sur son chiffre d’affaires, estime l’ancien coureur. Sa structure était modeste et fonctionnait avec un client principal pour qui tout ce scandale n’a rien changé. Les gens ont sûrement parlé, mais ils ne le font jamais ouvertement. Mon père m’a soutenu financièrement au début. Ensuite, engager des experts pour prouver mon innocence a coûté trop cher. Il ne me restait que l’option de réorienter ma vie. J’ai choisi de travailler dans la structure familiale, car c’était mon nom et j’en suis toujours fier.» Il rebondit et se forme comme chauffeur.

«Il faut aller de l’avant, c’est mon caractère et quand une histoire comme ça vous tombe dessus à 29 ans, il ne peut pas arriver pire, glisse Stéphane Joly. J’ai donc consacré mon énergie à développer l’entreprise de mon père pour finalement créer ma propre entité en 2016, en lui rachetant un de ses cars. Aujourd’hui, j’en ai cinq et je transporte jusqu’à 4000 personnes par mois en
haute saison.»

Au terme de sa suspension, il s’est tout de même offert le luxe de courir Morat-Fribourg en 2016, dans une équipe au nom de Joly Voyages, plaçant quatre de ses coureurs, dont lui-même, dans les 11 premiers. Quoi qu’il en soit, la trace indélébile de son dopage reste, elle, en première page de Google. Lui dit avoir tourné la page. Il court désormais en tant que patron, planifiant ses trois chauffeurs et dix auxiliaires, transportant de nombreux clubs sportifs, des entreprises et développant des partenariats avec Modisana Tours en Valais ou le géant suisse Car-Tours.


Louis Risse: «On me parle encore de l’affaire Chagaev alors que c’était il y a sept ans»

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Louis Risse, directeur général de Bernasconi
© DR

«On me parle encore régulièrement de l’affaire Chagaev, avec la vente de Xamax au diable par Sylvio Bernasconi, alors que c’était il y a sept ans», lance Louis Risse, le directeur général de Bernasconi depuis janvier 2017. Cette période a été marquée également par la vente d’une partie de l’entreprise de construction à deux fonds d’investissement et le départ de Sylvio Bernasconi de ses fonctions opérationnelles. «L’absence de communication a causé beaucoup de tort, une perte de confiance des clients et des collaborateurs qui n’étaient plus véritablement écoutés, entraînant un turnover des cadres.»

De 2012 à 2017, la société neuchâteloise de 350 employés a connu un repli de son chiffre d’affaires de l’ordre de 40%, pour entrer dans des difficultés de rentabilité dès 2015 et voir filer un à un les marchés publics. Ce fleuron romand de la construction avait perdu sa réputation de leader du marché. Il fallait reconstruire. «Il y avait urgence, confie le nouveau patron. J’avais deux solutions: dégraisser, mais cela aurait été extrêmement difficile de retrouver la voilure pour décrocher ensuite des marchés d’envergure, ou réduire nos marges pour tenir le coup. Nous avons choisi d’aller chercher des travaux à des prix très concurrentiels.» Fin 2016, le cahier de commandes de Bernasconi comptabilise à peine 17 millions de francs, alors qu’un an plus tard il affichait 58 millions.

«J’ai voulu aussi comprendre pourquoi on ne gagnait plus les marchés publics, poursuit le CEO. Je suis allé rencontrer nos clients «publics», pour faire une analyse de nos offres sans suite. Nous étions, par exemple, trop légers dans nos procédures, en cochant des formulaires standards, au lieu de développer une véritable réflexion, propre à chaque chantier. Nous avons dès lors mis en place un service technique avec un secteur acquisitions, avec du personnel compétent et en engageant de jeunes talents.» La feuille de route suivie par Louis Risse devrait lui permettre de retrouver les chiffres noirs cette année, avec un retour en grâce auprès des marchés publics. Reste que le nouvel homme fort de la société est conscient que l’équilibre est encore fragile.

TB
Tiphaine Bühler