Le NeighborHub (ou «maison de quartier») a des allures d’imposant cube transparent, construit sur un socle en bois et recouvert de panneaux solaires. Ouverte au public depuis quelques mois, la construction, qui se trouve sur le site de BlueFactory à Fribourg, abrite également diverses activités sociales, telles que des soupes du vendredi soir ou des ateliers créatifs. Ce projet remportait en 2017 le Solar Decathlon, une compétition internationale d’architecture, d’ingénierie et de design lancée aux Etats-Unis par le Département de l’énergie et ouverte à des équipes universitaires pluridisciplinaires.

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Après cette belle victoire, six membres de l’équipe du Solar Decathlon ont voulu continuer l’aventure et capitaliser sur les connaissances acquises lors de ce challenge intense. La start-up Enoki est ainsi née l’été dernier. Axelle Marchon, architecte, préside la jeune pousse où le plus «vieil» employé a 30 ans. «Nous sommes l’équivalent de 3,4 pleins-temps, précise-t-elle. Certains achèvent leurs études et d’autres travaillent en parallèle ailleurs. A ce stade, nous n’avons pas encore vendu de NeighborHub, mais nous proposons des conseils en stratégie durable pour assurer le financement de l’entreprise.»

Si une société ou une commune souhaitait acheter la construction pilote telle qu’elle est actuellement, elle devrait débourser une somme de 1,3 million de francs environ. «Nous avons construit une bête de course pour répondre aux exigences du concours, souligne la présidente d’Enoki. Nous sommes en train d’optimiser les coûts de production, afin de rendre le NeighborHub plus accessible à nos clients.» Après les contraintes de la compétition, la start-up doit désormais se plier aux lois du marché.

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Les six cofondateurs d’Enoki apportent chacun des compétences complémentaires.
© Enoki

Le business se met en place, mais le projet est là et il est pensé dans les moindres détails. Récupération d’eau de pluie pour le lave-linge et l’irrigation des cultures en aquaponie, filtrage des eaux grises par des roseaux en annexe du bâtiment, toilettes sèches, système de douche passant par un échangeur de chaleur, production solaire de l’énergie avec régulation sur la journée entière, thermie intelligente, biodiversité sur le toit, modulation des espaces, application proposant des gestes écoresponsables, mur de projection pour des conférences, tableaux interactifs ou décloisonnement des façades s’ouvrant sur une terrasse: chaque centimètre est mis à profit pour transformer les utilisateurs de cet espace en champions de la durabilité.

«Le NeighborHub va au-delà du bâtiment pur, explique Axelle Marchon. Notre concept intègre également des services, comme la mutualisation d’une voiture électrique, l’organisation d’un marché local ou de conférences sur le site de cette maison de quartier. Beaucoup de personnes ont la fibre durable, mais ne savent pas comment la mettre en œuvre. Nous mettons à leur disposition des solutions pour consommer moins et mieux.»

A noter que les maisons de quartier ont toujours existé. Depuis quelques années, ces lieux de rencontre cittadins reviennent à la mode, particulièrement en Suisse alémanique. En quoi la proposition des «décathlètes» victorieux à Denver est-elle différente? «Le projet se distingue d’abord par notre regard interdisciplinaire d’ingénieurs et d’architectes qui collaborent dans une optique locale et durable, explique la Fribourgeoise d’adoption, qui a grandi au Locle. Ensuite, nous réfléchissons aussi sur l’espace construit. Cela signifie que si un bâtiment existe déjà, on va travailler sur cette base plutôt que de bâtir tout à neuf. Enfin, nous mettons en place et gérons, si besoin est, les services pour animer l’endroit et pour faciliter la pratique de gestes respectueux de l’environnement.»

Promoteurs intéressés

Des associations et des communes ainsi que plusieurs promoteurs, notamment à Genève et à Fribourg, ont manifesté leur intérêt et entamé des discussions avancées avec Enoki. «L’avantage est que notre modèle peut être installé rapidement, qu’il est temporaire ou déplaçable, précise Axelle Marchon. Les premières demandes sont pour des maisons de projet sur de nouveaux quartiers, mais on peut aussi imaginer ce modèle au cœur de zones d’activités où les entreprises n’ont pas un lieu commun où échanger et accéder à des services.» Offrir un espace de rencontre «eco-friendly», dans lequel on vous accompagne vers des pratiques durables: les six cofondateurs d’Enoki y croient fermement et ils ne sont visiblement pas les seuls. Le NeighborHub a d’ailleurs reçu la visite du Conseil fédéral.

L’enthousiasme a également dépassé les frontières. Pourtant, si l’on revient à la genèse du projet, rien n’était gagné d’avance. Ambitionnant initialement de participer au Solar Decathlon européen, des équipes de l’EPFL, de la HEIA-FR, de la HEAD de Genève et de l’Université de Fribourg, regroupées sous le nom de Swiss Living Challenge, ont été stoppées dans leur élan par le report de la compétition à une date incertaine. Quelque 250 étudiants, soutenus par une cinquantaine d’entreprises et d’institutions, se sont retrouvés au point mort.

«Le projet était amorcé, nous avons donc décidé de nous inscrire au Solar Decathlon aux Etats-Unis en 2017, se souvient Axelle Marchon. Début 2016, notre inscription a été validée. Nous fonctionnions de manière transversale avec sept groupes de compétences: architecture, ingénierie, communication, marketing, recherche de fonds, prototypage, management. Un noyau dur s’est ensuite formé avec 43 étudiants qui ont fait le voyage au Colorado.»

Agir sur le mode de vie

Le challenge était lancé. A Denver, il s’agissait de construire une maison solaire en neuf jours. Sur les 16 équipes internationales en compétition, seules 11 ont réussi ce tour de force. Anticipant la difficulté, le Swiss Living Challenge avait construit son prototype à Fribourg d’abord, avant de le démonter pour l’envoyer au Colorado via 12 containers. Sur place, les compétiteurs ont construit sans relâche de 7h à minuit. Le jour des résultats, le NeighborHub a remporté la première place dans l’architecture, l’ingénierie et la gestion de l’eau. Il a été sanctionné en revanche et classé hors catégorie pour le potentiel de marché. Dès lors, la victoire semblait s’éloigner. Mais les aspects énergétiques, confort et santé ont fait la différence en sa faveur. Outre le titre, les décathlètes suisses ont gagné 300 000 dollars de récompense.

«Notre modèle de base différait de celui des autres équipes qui travaillaient, elles, sur un logement individuel, mentionne l’architecte. Ce paramètre a posé problème, car notre marché cible n’était pas le même que celui de nos concurrents, d’où notre mauvaise note sur le potentiel de marché. Ça a été notre pari dès le début. Nous voulions agir sur le mode de vie en général.» Un risque qui a payé. Deux jours après la victoire, il a fallu redémonter le pavillon et le renvoyer en Suisse, où il a été reconstruit à Fribourg.

Le projet global a coûté 4,2 millions de francs, financés par le tissu économique local et les organismes publics. On retrouve dans cette maison solaire le savoir-faire de nombreuses PME romandes, de la douche Joulia, qui a reçu en décembre le prix Top Ecological Design Award en Chine, aux panneaux solaires à construire soi-même de la société Sebasol. Chaque apport a été déterminant pour faire gagner huit médailles, dont six d’or, au Swiss Living Challenge.

TB
Tiphaine Bühler