Au siège de Facchinetti Groupe, concessionnaire BMW et Mini, on croise Olaffe, la chatte de la maison, qui vient saluer poliment. On découvre aussi l’hélice d’un avion allemand abattu durant la Seconde Guerre mondiale et des accessoires rares du film culte Le jour le plus long. Car Daniel Knoepfel est un passionné de cette période historique – il se rend régulièrement en Normandie. Le rez-de-chaussée de sa villa à Neuchâtel, face aux Alpes, a été transformé en quartier général du groupe qui a dégagé 185 millions de francs de chiffre d’affaires en 2018. Cela représente 4622 véhicules vendus, soit plus de 18 par jour ouvrable. Lorsqu’il a racheté la société fin 2005, les ventes dépassaient à peine 200 voitures par an, pour un chiffre d’affaires de 19 millions de francs.

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A l’époque inconnu à Neuchâtel, le Bâlois, alors âgé de 35 ans, avait un bagage professionnel à la télévision suisse puis chez AutoScout24 comme CEO. L’homme voit grand, très grand et inaugure son magasin de Neuchâtel avec 1000 convives, un événement d’envergure, dont même le directeur de BMW Suisse, Carl Doelf, soulignait que c’était du jamais vu! Rencontre.

Daniel Knoepfel, comment fait-on pour rassembler un millier d’invités à une inauguration de magasin de 13 employés à l’époque?

Je voulais un gros coup de pub. Personne ne me connaissait à Neuchâtel, tout comme Facchinetti BMW. Facchinetti, c’était alors Gilbert et Xamax, et cela suscitait beaucoup de nostalgie. J’ai donc joué avec ça, et j’ai engagé également des personnalités neuchâteloises, comme Lolita Morena et la chanteuse Florence Chitacumbi. On a invité toutes les entreprises qui ont travaillé à la transformation du bâtiment, les clients, posé un tapis rouge qui n’en finissait plus… En reprenant Facchinetti, ma vision était de devenir le premier concessionnaire en Suisse romande. C’est fait. Mais ça n’a pas été tout seul.

Quel a été le plus gros défi à vos débuts?

J’avais toujours géré des collaborateurs suisses alémaniques et j’ai encore mon accent bâlois. J’ai dû comprendre comment le Romand «fonctionnait». Il aime être impliqué dans la prise de décision et a besoin d’un dialogue informel avant de rentrer dans le vif du sujet. Il a tendance à plus débattre. Je suis très orienté solutions, alors il a fallu trouver un compromis pour laisser la place à la discussion, tout en faisant avancer les séances. Mais peut-être qu’avec les années, je papote un peu plus (rire).

Vous avez une formation d’économiste classique et n’êtes pas issu d’une famille d’entrepreneurs fortunés. Pourtant, vous avez mis en place des solutions plutôt originales pour votre secteur d’activité. Comment et avec quels moyens?

Mon père était professeur d’auto-école et j’ai grandi dans un milieu modeste, très humain, ce qui a de la valeur pour moi. Pour le financement initial, les banques m’ont suivi et j’ai réinvesti au fur et à mesure dans de nouvelles concessions. Un point était clair à mes yeux: il fallait un service après-vente (SAV) très performant. Les conseillers du SAV représentent la fonction centrale de notre business, ils sont le rouage essentiel entre le client et les mécaniciens. Pourtant, il n’existe pas de véritable formation pour ce poste. J’ai donc créé la Facchinetti Académie, avec notamment un module spécifique pour la gestion des réclamations des clients, qui inclut par exemple un jeu de rôle filmé dans lequel le conseiller peut voir ses mimiques. Les résultats sont excellents, avec 93% de satisfaction sur les requêtes clients, selon le sondage fait par BMW. Cela a un impact sur les ventes.

A Genève, vous avez également développé un service pour les fonctionnaires diplomatiques. Quels sont les retours?

Le Diplomatic Center représente 50% de notre volume d’affaires sur Genève, où se trouvent près de 30 000 diplomates avec des exigences spécifiques. J’analyse toujours les leviers, pour les transformer en opportunités. Aujourd’hui, il faut segmenter, on ne peut pas servir tous les clients de la même manière. Les fonctionnaires internationaux ont besoin de conseillers qui parlent arabe ou russe et proposent des voitures avec des options de sécurité particulières.

Le scandale qui a touché BMW en 2018 ne vous a pas épargnés. De quelle manière cela a-t-il affecté votre entreprise et qu’avez-vous mis en place pour endiguer la crise?

Nous avons enregistré 6% de ventes en moins par rapport à 2017. Nous n’avons rien entrepris de particulier, la crise étant mondiale. Nous avons simplement accompagné les clients qui le souhaitaient vers des moteurs à essence. Nous avons eu des retards de livraison sur les modèles à essence, mais ce n’est plus le cas. Désormais, le prochain challenge est d’offrir des solutions de mobilité aussi dans les zones à forte densité, comme Genève ou Lausanne.

2018 a également été l’année de la reprise de la chocolaterie Jacot à Noiraigue, alors en faillite. Quel est le lien entre les voitures de luxe et le chocolat?

Aucun (rire). Je suis un créatif et replonger dans une aventure en mode start-up est très excitant. De plus, mon grand-père avait une chocolaterie à Glaris et je retrouve à Noiraigue la même odeur que chez lui. Je consacre aujourd’hui la moitié de mon temps au poste de CEO de Jacot. J’ai nommé un COO chez Facchinetti en 2015 pour m’épauler. Le groupe est une grosse machine à présent, qui n’a pas de souci de financement et a atteint sa croissance maximale. J’aime résoudre des problèmes de petite entreprise, avec 14 employés et des séances de management très improbables. Enfin, Jacot a un potentiel énorme, pas seulement en Suisse, mais à l’international.

De grandes ambitions pour une structure encore vacillante, non?

Des erreurs très claires de management ont été commises et on a retrouvé l’équilibre budgétaire. Nous avons pris des mesures qui fonctionnent. Par exemple, en quatre mois, nous avons quadruplé les ventes de pâte à tartiner sans huile de palme, cela en la distribuant online. Autre succès: le pop-up store chez Manor avant Noël, pour se rapprocher des clients.

Vous avez aussi connu des revers dans votre carrière, comme lorsque vous avez dû renoncer à reprendre Xamax, finalement racheté par Chagaev en 2011…

J’ai beaucoup travaillé sur ce projet. J’avais rencontré les autorités et d’autres clubs pour mettre en place des partenariats. Il me manquait du financement, mais une solution avait été trouvée. Puis Chagaev est arrivé avec ses millions. Je n’ai pas de regret, au final, car je n’aurais pas pu accomplir tout ce que j’ai fait depuis.

Vous avez notamment fait entrer Severin Lüthi, le coach de Roger Federer, dans votre écurie. Il est votre ambassadeur jusqu’en mai 2020. Comment négocie-t-on de tels contrats et combien cela coûte-t-il?

Je ne communique pas de montant, mais celui-ci n’a pas été l’objet de négociations. Il est venu deux fois visiter l’entreprise et, à la troisième visite, il a signé. Le prix de ce genre de partenariat dépend du marché. Facchinetti couvre la Suisse romande, on n’est pas dans un marché mondial, mais pas non plus dans du local. Ensuite, je suis quelqu’un qui laisse la liberté. Je ne vais pas exiger que Severin parle à la télé avec une casquette Facchinetti. Pour l’échelle de prix, j’avais une idée des tarifs qui se pratiquent avec les pilotes de F1. Bonus ultime: il est prévu cette année que je joue au tennis avec lui.

A l’évidence, l’un de vos talents est la négociation. Comment recrutez-vous vos commerciaux?

Le degré d’études n’est pas ma priorité. Je regarde surtout la volonté et la motivation. On ne va pas trouver à chaque fois des talents, mais il faut que les valeurs de l’entreprise soient partagées, sinon vous ne cessez de vous battre en interne. Il faut aussi aimer les gens et être calme. Un vendeur, c’est comme un bon attaquant en foot, il doit avoir du sang-froid pour finaliser, même dans une situation complexe.

TB
Tiphaine Bühler