L’Organisation mondiale du transport routier (International Road Transport Union, IRU) est une association basée à Genève qui, sous l’égide de l’ONU, facilite le transport par la route depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Boris Blanche, son Managing Director, évoque les enjeux de la nouvelle Route de la soie et, plus généralement, les défis de la branche.

L’IRU couvre un domaine clé de l’économie mondiale, mais reste peu connue...

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En effet, dès sa création en 1948, l’IRU a eu pour vocation de faciliter la collaboration économique entre les pays ravagés par la Seconde Guerre mondiale. Il s’agissait de relancer le commerce pour favoriser la reconstruction de l’Europe. Pour ce faire, le système des carnets TIR géré par l’IRU a été mis en place: il permet aux camions de ne plus s’arrêter à chaque frontière pour l’inspection des marchandises. On met les scellés au départ et on les lève à l’arrivée. Ces carnets servent de garantie pour les douanes des pays traversés. Ce système permet d’assurer le transport de marchandises pour environ 100 milliards d’euros par an. L’IRU défend aussi le secteur privé du transport routier.

Votre organisation a-t-elle pour objectif de faire augmenter la part du transport routier par rapport au rail, à l’avion et au bateau?

C’est une réalité méconnue, mais le transport routier est omniprésent. Pratiquement tout ce qu’il y a dans la pièce où nous nous trouvons a été, à un moment donné, transporté par un camion. En 2015, des camions à travers le monde ont transporté 20 000 milliards de tonnes-kilomètre. On estime que ce volume va augmenter de 50% d’ici à 2030, puis de nouveau de 50% d’ici à 2050 pour atteindre 51 000 milliards de tonnes-kilomètres. Cette évolution est une réalité. Il y aura toujours plus de camions. Le commerce international augmente. Les achats en ligne explosent et toutes ces marchandises doivent arriver à leur destination finale. Sans les transports routiers, cela ne serait pas possible. Notre objectif n’est donc pas de générer davantage de déplacements par la route, mais de faire en sorte que cette croissance se fasse de manière ordonnée et avec un impact réduit sur l’environnement.

L’IRU couvre exclusivement l’Europe?

L’IRU est présente partout dans le monde mais, historiquement, le système TIR a été principalement utilisé entre la Russie, l’Europe et la Turquie. Aujourd’hui, nous l’étendons à d’autres pays comme l’Inde ou l’Iran et, surtout, la Chine. Le commerce entre l’Europe et la Chine représente aujourd’hui 682 milliards de dollars, avec une croissance de 10,6% en 2018. La Chine est le principal partenaire commercial du Vieux Continent depuis quinze ans. Etendre le système TIR à la Chine apparaît donc comme une évidence.

L’IRU est-elle partenaire de la nouvelle Route de la soie?

Oui, l’IRU a signé en 2017, lors du premier forum des Routes de la soie, deux accords avec le gouvernement chinois, sur les 76 accords signés cette année-là au forum, pour la mise en place de corridors logistiques entre la Chine et l’Europe. En deux ans, de grandes avancées ont déjà eu lieu. Il existe désormais dix points de passage frontalier agréés TIR et des camions commencent à profiter des facilités offertes par ce système. L’enjeu est de taille. Actuellement, les transports entre la Chine et l’Europe sont principalement effectués par bateau et par avion, parce que les capacités ferroviaires sont limitées et déjà saturées. En créant une quatrième voie logistique, on peut réduire à la fois les coûts et les temps de transport. Aujourd’hui, il faut environ douze jours pour passer de la Chine à l’Europe. Demain, nos efforts vont permettre de parcourir le même trajet en huit jours. En comparaison, il faut vingt et un jours en train et trois à quatre jours en avion, mais c’est 40% plus cher.

Des investissements massifs vont donc être consentis dans le réseau routier?

Il est facile de mettre 20 milliards dans un nouveau port, mais très difficile de rendre efficace l’utilisation de ce port. C’est un exemple qui vaut pour tous les grands projets d’infrastructure. En Suisse, on sait bien qu’il est plus facile de construire des tunnels entre le nord et le sud que de mettre ensuite les camions sur les rails. Entre la Chine et l’Europe, les infrastructures en place sont déjà relativement bonnes. Par conséquent, nul besoin d’injecter des milliards. Le travail qui reste à accomplir est bien plus difficile. Il faut signer des accords bilatéraux entre les pays traversés. Il faut des accords internationaux pour fluidifier la chaîne logistique. Il faut standardiser et uniformiser les procédures, les formations, les règles de sécurité. Aujourd’hui, un chauffeur chinois n’a pas le droit de venir en Europe, par exemple. Et les Chinois ont une longue tradition protectionniste en matière de transport sur leur sol. Le principal défi consiste donc à régler ces questions administratives. Et puis, il y a le problème majeur de la pénurie de chauffeurs.

Le 7 mai dernier, l’IRU a rencontré la commissaire européenne aux Transports, Violeta Bulc; c’est de cela que vous avez parlé?

Le manque de main-d’œuvre est un problème majeur de notre secteur économique. Entre l’Europe et les Etats-Unis, on estime que si rien n’est fait pour inverser la tendance, il manquera 1 million de chauffeurs à l’horizon 2030. Aujourd’hui déjà, un poste mis au concours sur cinq reste vacant. En Europe, les conducteurs de camion de marchandises ont 44 ans en moyenne et 52 ans pour les conducteurs de passagers. Or, les jeunes se désintéressent de ce métier et seulement 2% des chauffeurs sont des chauffeuses. Enfin, il y a les questions de sécurité. Un conducteur sur quatre affirme avoir été victime d’une attaque ou de violences. C’est notamment dû au manque de places de stationnement équipées et sécurisées en Europe. L’IRU a abordé ce point avec la commissaire Bulc.

La technologie va-t-elle permettre de diminuer l’empreinte écologique de votre branche? A quand des camions électriques?

Le transport des marchandises n’est responsable que de 5% des émissions en Europe et nous travaillons encore à baisser ce taux. A l’heure actuelle et pour quelques décennies encore, il n’y aura pas d’alternatives aux camions avec moteur à combustion pour les longs trajets et les chargements lourds. Mais l’IRU s’est fixé des objectifs de réduction des émissions de CO2 à travers cinq mesures: améliorer l’efficacité des carburants, utiliser des carburants alternatifs (gaz naturel liquéfié, hydrogène, etc.), améliorer les opérations logistiques (en évitant les voyages à vide par exemple), encourager l’eco-driving et favoriser le transfert de la voiture individuelle aux transports en commun.

Allez-vous atteindre les objectifs fixés par la Commission européenne en avril dernier?

Ces objectifs sont très ambitieux. Il s’agit de réduire de 15% les émissions de CO2 des camions d’ici à 2025 par rapport à 2019, puis de 30% d’ici à 2030. Le premier objectif devrait être réalisable, au prix d’un effort considérable des acteurs de la branche. Quant au second, nous aimerions réévaluer sa faisabilité en 2022 lorsqu’un bilan intermédiaire sera réalisé. Pour les transporteurs, qui sont des PME, il sera difficile de procéder à des changements rapides et massifs de leur flotte sans aides publiques.

Vous êtes également à la tête de la holding Viatrans. Quels sont ses domaines d’activité?

Nous développons des solutions in house visant à favoriser le transport de marchandises tout au long de la chaîne logistique, en digitalisant, par exemple, la lettre de voiture, c’est-à-dire le document autrefois papier qui doit accompagner tout déplacement de marchandises. D’autre part, nous favorisons l’innovation à travers des prises de participation dans des start-up à haut potentiel actives dans la mobilité, comme Bestmile, à Lausanne, qui développe une plateforme pour connecter des véhicules entre eux, ou encore Alto, à Dallas, qui propose des services innovants à la frontière entre un taxi traditionnel et Uber.


Bio express

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Boris Blanche, Managing Director de IRU
© Stéphanie Liphardt

Boris Blanche

  • 2017 Il est nommé Managing Director de l’IRU.
  • 2013 Il devient COO de l’IRU.
  • 2006 Brand Manager, puis Business Leader chez Procter & Gamble.
  • 2004 Sell Side Equity Analyst, Deutsche Bank.