«Nous étions comme des gamins lorsque nous avons décidé, avec Mattia, de fonder Aktiia en 2017, s’amuse Josep Sola, le CTO de la start-up neuchâteloise. J’avais enfin un rythme stable avec mon travail au CSEM à 80%, mon activité de guide de montagne et ma vie de famille. Me voilà reparti à 300%. Mais j’ai toujours aimé les projets d’envergure. Tout comme dans mon activité d’alpiniste. Lorsque j’étais jeune grimpeur en Catalogne, je choisissais les voies les plus difficiles, car même si je n’arrivais pas au sommet, je savais que je progressais en route.»

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Si Mattia Bertschi, le CEO de la start-up, et Josep Sola ont consulté leurs épouses respectives avant de se lancer, fonder Aktiia était pour eux une évidence. Leur tensiomètre 2.0 était sur le point de bouleverser la médecine clinique à l’échelle mondiale (lire encadré). Il avait mûri pendant treize ans dans les bureaux du CSEM et devait à présent poursuivre son chemin en solo, indépendamment de l’entité mère. A ce stade, le choix est facile. S’ensuit une déferlante d’implications, légales, financières, commerciales, stratégiques sur lesquelles les cofondateurs avaient tout à apprendre. Gérer l’inconnu, en somme.

Double casquette: alpiniste et ingénieur

«Je fais toujours le parallèle avec la montagne, glisse Josep Sola, également formateur et spécialiste avalanche pour le Club alpin suisse (CAS) de Neuchâtel. Lorsque vous êtes dans une expédition, vous devez gérer les risques et leurs conséquences. Les risques en montagne sont nombreux et pour les pépins, lorsque ça arrive, il faut évaluer leur degré de gravité et agir en conséquence. J’applique cette approche dans mon travail d’ingénieur également.»

Le Catalan d’origine porte cette double casquette, celle de guide de montagne et d’ingénieur en télécommunications. Il n’a jamais voulu en abandonner une. «Je sacrifie mes heures de sommeil», plaisante celui qui a ouvert et baptisé plusieurs voies dans l’Himalaya – dans le massif du Chomotang, ainsi que le Neyzah Peak, avec les honneurs de l’American Alpine Journal en 2009. «Le Neyzah est magnifique, c’est l’équivalent de trois Cervin. C’est notre cuisinier lors de l’expédition qui a trouvé ce nom qui signifie «flèche» en dialecte local», précise-t-il. Pour y arriver, il a dû dormir deux nuits à même la face.Ces exploits sont réalisés en marge de son travail au CSEM et de sa thèse à l’EPFZ sur l’utilisation des capteurs optiques, la technologie au cœur du tensiomètre 2.0. Il achève son doctorat en 2011. Deux ans plus tard, l’année de naissance de son premier enfant, il obtiendra son brevet de guide de montagne, animé par cette soif d’apprendre et de transmettre aux générations futures.

Avec son bracelet de mesure en continu de la tension artérielle sans brassard, Josep Sola – dont une partie de la famille connaît des problèmes d’hypertension – a trouvé professionnellement sa montagne. Fin 2017, Aktiia remporte le Prix Neode, puis le European Venture Contest en 2018. La start-up se retrouve dans les huit finalistes, parmi 2400 compagnies de 27 pays. Ce n’est que le début d’une nouvelle ascension. «On a pris des coachs pour tout, explique Josep Sola. Pour apprendre à faire un business model, à exploiter une technologie qui soit rentable, à se positionner sur le marché, à faire une levée de fonds ou un pitch, à maîtriser les aspects légaux, la propriété intellectuelle. On bossait jour et nuit sans être sûrs de rien. A côté, j’assurais encore les saisons été et hiver comme guide en Suisse.»

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Mattia Bertschi, CEO, et Josep Sola (à d.), CTO, ont cofondé Aktiia en 2017. 
© DR

Mattia Bertschi et Josep Sola démissionnent du CSEM en juin 2018, endossent les risques financiers, jusqu’à la première levée de fonds de 4 millions de francs en juillet. Deux mois plus tard, ils emploient dix collaborateurs chez Aktiia. Aujourd’hui, ils sont 12 avec une parfaite parité hommes-femmes et une moyenne d’âge de moins de 30 ans. Le CEO (43 ans) et le CTO (38 ans) sont les plus âgés. Dans un an, la start-up devrait compter 40 collaborateurs.

Encore une fois, l’ingénieur en biotech fait un parallèle avec les expéditions en montagne, qui demandent une énorme préparation en amont. «Près de 90% de la réussite, c’est la logistique, la visualisation mentale, l’anticipation détaillée, soutient-il. Tout ça pour choisir le bon créneau de neige à la descente, soit trente minutes où la neige ne sera ni trop glacée ni ne partira en avalanche. On planifie tout pour ce moment précis.» Dans le business avec son associé, il suit le même mode opératoire. «On travaille toutes nos préparations, pour savoir qui sera dans la salle, quels sont leurs intérêts, si ce sont des personnes issues de MBA, de la technique ou du monde médical, poursuit-il. Comme un guide de montagne, on doit accompagner un groupe vers un sommet inconnu, on se prépare à affronter les peurs, les problématiques techniques et les imprévus.»

Levée de fonds cet automne

A l’entendre, on s’étonne moins de la citation figurant sur son profil de guide où il reprend les mots du botaniste alpiniste Louis Ramond de Carbonnières, ouvreur du Mont-Perdu, en Espagne, en 1802: «L’homme par sa nature aime à vaincre les obstacles; son caractère le porte à chercher des périls et surtout des aventures.» Cette approche passionnée semble réussir, puisque le duo de dirigeants s’est rendu dans la Silicon Valley pour préparer une deuxième levée de fonds bien supérieure à la première. Le montant de cette nouvelle cagnotte sera public cet automne. Elle permettra de poursuivre la croissance et de mettre en place la production. La commercialisation est prévue pour 2020.

Un sommet que Josep Sola n’avait pas prévu ni dessiné dans ses plans. Détail piquant, c’est justement en superposant deux cartes – l’une avec les centres de recherche européens intéressants et l’autre avec les montagnes qu’il souhaitait gravir – que Josep Sola est arrivé en 2004 à la gare de Neuchâtel, accueilli par trois ingénieurs du CSEM également passionnés de grimpe…


Un tensiomètre révolutionnaire

Le traditionnel brassard pour mesurer sa tension artérielle, inventé en 1876, voit ses jours comptés avec la commercialisation du tensiomètre 2.0 d’Aktiia, dès l’an prochain. Très attendue par les milieux médicaux, cette technologie concernera un adulte sur trois dans le monde. En effet, les problèmes de tension touchent 1,5 milliard de personnes de plus de 20 ans, selon l’OMS. Ils sont la cause de 7,5 millions de décès chaque année, soit par crise cardiaque, soit en entraînant des affections cérébrales ou rénales.

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L’Optical Blood Pressure Monitoring (OBPM).
© DR

L’Optical Blood Pressure Monitoring (OBPM) utilise des capteurs optiques pour mesurer les ondes de pouls dispensées par les artères, cela à l’aide d’un bracelet. Une révolution dans l’analyse de la pression artérielle qui, jusqu’à présent, était très invasive et impliquait un stress qui faussait les relevés et ne donnait qu’une image figée à un instant précis de la situation du patient. Désormais, celui-ci pourra disposer du film de sa pression, grâce à des relevés en continu.

Les valeurs récoltées grâce à cette invention dépassent le simple battement cardiaque enregistré par certaines montres. On y capte la tension artérielle de manière extrêmement détaillée. Des tests cliniques ont été menés sur 100 patients, notamment au CHUV à Lausanne et à l’HNE à Neuchâtel.

«Il y a de la concurrence désormais, ne cache pas Josep Sola. Mais nous avons beaucoup d’avance, en particulier dans les études cliniques, qui prennent du temps. Le projet a commencé il y a quinze ans. Le premier brevet a été déposé par le CSEM, pour la technologie des capteurs optiques, en 2001 déjà. Or je suis arrivé à Neuchâtel en 2004. A ce stade, le capteur était plutôt destiné à mesurer le rythme cardiaque et à alerter en cas de chute d’une personne âgée, par exemple. Nous avons élargi nos recherches vers une nouvelle direction.» Aujourd’hui, l’OBPM est protégé par plusieurs brevets.

TB
Tiphaine Bühler