En 1989, le premier numéro de «PME Magazine» paraissait sous l’impulsion de Ralph Büchi. L’actuel président du conseil de surveillance d’Axel Springer a lui-même dirigé la rédaction durant sa première année avec une ligne éditoriale très claire: offrir une information de qualité dédiée au tissu économique local tout en proposant un outil de travail utile aux décideurs. Interview.

PME: Il y a trente ans, vous lanciez «PME Magazine» à Genève depuis Zurich, un pari audacieux. Qu’est-ce qui vous a poussé à le faire?

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Ralph Büchi A l’époque, je dirigeais le groupe de presse économique Handelszeitung à Zurich. Depuis 1985, nous avions déjà lancé plusieurs magazines spécialisés en Suisse alémanique comme Schweizer Bank, Schweizer Versicherung et d’autres titres. En étudiant les possibilités de croissance du groupe, la Suisse romande est très vite apparue comme une évidence.
D’une part, cette région pesait déjà près du quart du PIB helvétique, avec un tissu de PME actives dans des domaines porteurs. De plus, ce territoire hébergeait cette magnifique industrie de tradition qu’est l’horlogerie. Enfin, l’importance de la place financière genevoise a également joué un rôle dans cette envie de nous lancer en Suisse romande. Voilà pour les aspects rationnels.

Vous voulez dire que cette décision n’était donc pas que rationnelle?

Non, ce choix a aussi été dicté par des aspects personnels et de sympathie. Nous avons toujours aimé le monde francophone et pensons sincèrement que la Suisse romande est un atout immense pour notre pays. Alors oui, la perspective de travailler ici et de parler cette langue que j’apprécie beaucoup a aussi joué favorablement dans l’envie de lancer PME Magazine.

Par quoi avez-vous commencé?

En 1989, le groupe Handelszeitung comptait moins d’une centaine d’employés, nous étions une petite entreprise. Pour limiter les risques, nous avons directement cherché un partenaire en Suisse romande. Très vite, nous sommes tombés sur le magazine PME Actualité, édité par Jean-Jacques Manz et son entreprise Filanosa à Nyon. Nous nous sommes très bien entendus et avons décidé de transformer cette petite publication qui paraissait six fois par année en un mensuel économique de qualité dédié aux PME, avec l’ambition de devenir le numéro un.

A-t-il été compliqué de monter une équipe?

Nous voulions absolument créer une rédaction économique compétente pour réaliser le magazine que j’imaginais. La ligne était claire: offrir une information de qualité dédiée au tissu économique local tout en proposant un outil de travail utile aux décideurs. J’ai rencontré beaucoup de journalistes pour le poste de rédacteur en chef, qui ont refusé en arguant que des Suisses alémaniques n’arriveraient jamais à s’imposer ici. J’ai donc dirigé personnellement la rédaction pendant plus d’un an avant d’engager Francis Kahn comme rédacteur en chef. Il est resté dix ans à ce poste et il a accompli un travail incroyable pour positionner ce titre.

Ensuite, il a passé la main à François Schaller, une plume très réputée dans le milieu, qui a très bien incarné PME Magazine pendant une décennie également avant l’arrivée d’Olivier Toublan et de vous-même. Quatre rédacteurs en chef en trente ans, c’est peu et ça démontre une belle stabilité. Nous avons pu compter sur des rédacteurs en chef très différents et très compétents, avec un point commun essentiel, celui de démontrer un réel intérêt pour l’économie locale et l’univers des PME. Je dois ajouter une autre personne dans cette liste, il s’agit de Susann Tamisier qui a joué un rôle clé dans le fonctionnement du magazine pendant toutes ces années en tant que cheffe d’édition.

Est-ce que vous avez tout de suite trouvé votre lectorat?

Oui, ce magazine a rapidement trouvé ses marques grâce à un positionnement original. PME Magazine a toujours défendu l’esprit d’initiative des entrepreneurs de Suisse romande, avec un angle volontairement positif, ce qui a plu aux lecteurs. Je constate que les Romands sont très attachés à PME Magazine, c’est un «love brand» pour ses lecteurs.

Vous avez commencé comme journaliste mais vous avez vite bifurqué vers l’entrepreneuriat. Comment avez-vous négocié ce virage?

J’ai étudié l’économie à l’Université de Zurich. A cette époque, il était encore possible de travailler tout en étudiant. J’avais donc quelques jobs à côté, dont celui de pigiste pour la Handelszeitung et j’adorais ça. En 1981, mon diplôme en poche, j’ai décidé de me lancer à plein temps dans le journalisme et j’ai été engagé comme rédacteur responsable de l’industrie horlogère ou j’ai notamment suivi les débuts de la famille Hayek, c’était impressionnant.

A 27 ans, j’ai été nommé directeur par Paul Eisenring, président du conseil d’administration, un conseiller national et homme d’affaires très influent à l’époque. A ce poste, j’ai développé des suppléments internationaux et des magazines spécialisés qui marchaient très bien et nous sommes devenus un petit groupe. Jusqu’au jour où Paul Eisenring m’a annoncé qu’il voulait vendre Handelszeitung à un autre éditeur. Je lui ai dit que c’était exclu, que je voulais le racheter moi-même. Il m’a demandé si j’avais de l’argent, j’ai répondu non et ça lui a plu. C’est comme ça que tout a commencé.

C’est lui qui vous a aidé à racheter le titre?

Exactement. Il a proposé que nous rachetions le groupe à trois, le rédacteur en chef, lui et moi-même. Il possédait 15%, il nous a cédé 5% chacun à crédit et nous avons tous les trois mobilisé nos contacts pour arriver, au bout de dix ans, à acquérir presque la totalité du capital.

A partir de ce moment-là, et en vue de nos projets de croissance, j’ai senti qu’il était temps de vendre et mes deux partenaires m’ont donné carte blanche pour entamer le processus. Le timing était excellent, à la fin des années 1990, juste avant la baisse des marchés financiers en 2000. C’est finalement Axel Springer qui nous a racheté parmi plusieurs éditeurs intéressés. Cette phase a été très instructive pour nous et cette expérience m’a beaucoup servi par la suite dans mes futures activités pour Axel Springer.

Pourquoi avoir choisi Axel Springer?

Notre but consistait en priorité à développer notre groupe à l’international et à lui trouver un port d’attache solide. Axel Springer répondait à toutes ces exigences. En 2006, nous avons négocié pour Axel Springer le rachat du groupe Jean Frey avec Tito Tettamanti. Du coup, nous avons acheté Bilanz, Beobachter et TV Star, et six mois plus tard les magazines télé de Ringier. La famille des titres s’est donc largement agrandie et nous sommes devenus le premier éditeur de magazines en Suisse.

Vos succès sur le marché suisse vous ont ouvert à l’international…

Oui, après la réussite du rachat de Jean Frey, Axel Springer m’a confié la présidence des activités internationales du groupe à partir du mois de février 2008. En 2016, nous avons négocié les conditions de la joint-venture de nos activités publishing en Suisse avec Ringier et ensuite j’ai rejoint la direction du groupe Ringier où je m’occupe du publishing.

En parallèle, j’ai gardé mes fonctions de responsable dans la joint-venture Ringier Axel Springer en Suisse. Et en ce mois d’avril, j’ai été nommé président du conseil de surveillance d’Axel Springer à Berlin.

Axel Springer a récemment annoncé une prise de participation importante du plus grand fonds de private equity du monde, KKR.

Si le leader mondial du private equity investit plusieurs milliards dans un groupe de média, c’est une très bonne nouvelle. Axel Springer a annoncé investir substantiellement et sur un plan international dans la croissance accélérée de ses deux piliers d’activités, le publishing numériques et les plateformes pour les petites annonces en ligne, notamment les annonces d’emploi et d’immobilier.

Est-ce que ces ambitions ne vont pas être freinées par les GAFA?

Nous savons que l’avenir du journalisme est numérique et nous savons aussi que pour le développer, nous avons besoin de revenus publicitaires. Or, Google, Facebook et autres s’accaparent près de 70 à 80% du gâteau publicitaire numérique mondial. Nous devons donc réagir. La Suisse devrait rapidement suivre la directive européenne sur les droits d’auteur qui harmonise le droit de la propriété intellectuelle des 28. Cette directive, le «droit voisin», prévoit que les plateformes en ligne indemnisent les éditeurs de presse dont elles utilisent le contenu.

Est-ce que les lecteurs sont aujourd’hui d’accord de payer pour des contenus digitaux?

Bien sûr, regardez Le Temps qui compte 8000 abonnés numériques, Bild en Allemagne avec environ 450 000 abonnés numériques. Le New York Times atteint les 4 millions. Les consommateurs s’habituent à payer des abonnements numériques pour Netflix ou Spotify et les éditeurs doivent suivre le même chemin. Nous ne vivons pas une crise du journalisme, nous vivons une crise partielle du canal de distribution qu’est le papier.

Aujourd’hui, le journalisme digital offre plus de diversité que jamais, vous pouvez vous exprimez en vidéo, en podcast, vous avez un lien direct avec les lecteurs, c’est fascinant et je suis confiant que les meilleures années du journalisme ne sont pas derrière, mais devant nous. En ce qui me concerne, si j’avais 25 ans aujourd’hui, je n’hésiterais pas une seconde avant de me lancer dans ce métier passionnant.


Bio express: Ralph Büchi

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Face aux GAFA, Ralph Büchi plaide pour que la Suisse suive rapidement la directive européenne sur les droits d’auteur.
© S.Liphardt/PME Magazine
  • 1981 Début de carrière comme journaliste économique.
  • 1985-1998 CEO et éditeur du groupe Handelszeitung.
  • 1999-2007 CEO d’Axel Springer Suisse.
  • 2008-2017 Président des activités internationales du groupe Axel Springer.
  • Dès 2017 COO du groupe Ringier.
  • Dès 2019 Président du conseil de surveillance d’Axel Springer.
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Thierry Vial