Six milliards et demi au compteur! C’est le nombre impressionnant de pièces fabriquées par Polydec en trente-cinq ans d’activité. Les machines dans la halle de façonnage de la zone biennoise des Champs-de-Boujean ne cessent de vrombir: rien que pour l’automobile, chacune d’entre elles produit 60 micro-axes pour tableaux de bord par minute. D’autres pièces en cuivre ou acier inox, d’un diamètre de 0,05 à 5 mm et d’une longueur maximale de 50 mm, y sont usinées. A l’image de ces fines goupilles pour l’horlogerie ou encore de ces pointes de test dans l’électronique.

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Un couloir plus loin, une poignée d’autres salles, tout aussi lumineuses et modernes, servent à parfaire le processus de fabrication avant l’envoi aux clients. Elles sont dédiées au lavage, au traitement thermique, polissage, à la finition ou encore au contrôle des micropièces. Dans ce dernier espace, des collaborateurs penchés sur leurs microscopes se chargent d’examiner des échantillons de produits, tandis que des automates scrutent des lots entiers. «Nous avons développé nous-mêmes une partie de ces machines de contrôle automatique, souligne avec une pointe de fierté Pascal Barbezat, le CEO. Dans l’automobile, nous sommes un des leaders mondiaux sur ce marché de niche. Les exigences de nos clients sont élevées. Elles se situent parfois en dessous de 1 PPM, soit moins d’une pièce défectueuse sur un million d’unités livrées.»

Si les murs de cette fabrique de 4000 mètres carrés appartiennent encore aux anciens patrons de Polydec, la partie opérationnelle se trouve désormais sous la responsabilité de Pascal Barbezat, actionnaire majoritaire et directeur, ainsi que de Thierry Mathez, actionnaire minoritaire et CFO. Une transmission qui résulte de plusieurs années de réflexions personnelles et de discussions de groupe. La relève, les créateurs de Polydec, Claude et Jean-François Konrad, y ont réfléchi très tôt. «Les deux cousins se sont d’abord interrogés sur la forme idéale de transmission, détaille Pascal Barbezat. Ils se sont finalement décidés pour un management buy-out (MBO), soit le rachat de l’ensemble des parts par des cadres dirigeants de l’entreprise (qui représente la troisième forme de reprise avec la transmission familiale et celle à un acteur extérieur, ndlr).

Une relève réfléchie

Dès l’engagement de Pascal Barbezat comme chef des ventes en 2013, les deux patrons évoquent la reprise de la PME avec lui. «Cette alternative paraissait judicieuse, car j’ai occupé plusieurs postes à responsabilités dans l’horlogerie neuchâteloise et suis titulaire d’un MBA», explique le Biennois. Les discussions sérieuses reprennent quatre ans plus tard. «J’ai commencé à flirter avec l’idée, après m’être assuré qu’il n’y avait pas de velléités au sein de la famille propriétaire», explique Pascal Barbezat, qui s’est également assuré du soutien de sa propre famille.Les deux vendeurs et le possible repreneur décident d’inclure Thierry Mathez dans la boucle, notamment en raison de sa connaissance ancienne de l’entreprise. «La première fois que j’ai mis les pieds chez Polydec, c’était pour un contrôle AVS il y a vingt-cinq ans, s’amuse-t-il. Plus tard, ma fiduciaire a été l’organe de révision de la société durant dix ans, jusqu’à ce que je devienne le directeur financier en 2011, tout en maintenant mes autres activités à 40%.»

Transparence de mise

Une fois convaincus par la reprise, Pascal Barbezat et Thierry Mathez se mettent à travailler sur le financement. «Nous avons fait un bout de chemin auprès des banques pour obtenir le montant souhaité du rachat, se souvient l’actuel directeur. L’aide de Thierry sur ce plan a permis de boucler le financement et le plan de reprise en une année.» Seul un appui juridique et fiscal extérieur a été nécessaire. Entre les quatre acquéreurs et repreneurs, la transparence est de mise. «Le rapport de confiance qui préexiste est un grand avantage du MBO, estime Cyril Schaer, secrétaire général de l’association Relève PME. Le vendeur connaît les cadres avec lesquels il a collaboré par le passé. La confidentialité de l’opération est mieux garantie, avec un risque de fuite de données plus faible que lors d’un rachat par un tiers, à qui il faut remettre de nombreuses informations.»

La confidentialité vis-à-vis du reste des collaborateurs s’avère préservée dans l’entreprise biennoise, à une exception près. En juin 2018, le quatuor dévoile son plan à quelques cadres de la PME. «Avant de finaliser la vente, nous avons demandé au chef de fabrication et au directeur technique s’ils validaient ce rachat. Leur avis était déterminant pour la prise de décision.» Deux mois plus tard, ils annoncent finalement aux plus de 70 collaborateurs que la transmission sera effective dès janvier 2019. «Pour l’équipe, la finalité – un rachat prochain – était connue, mais le timing – relativement rapide – fut une surprise», résume Thierry Mathez.

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Des machines high-tech dans les ateliers de décolletage CNC de Polydec à Bienne. 
© G.Perrenoud

Aujourd’hui, les repreneurs ne sont pas trop de deux à bord. «Nous sommes complémentaires, remarque le directeur. Thierry me décharge sur le plan financier. Il a une expérience de Polydec plus ancienne qui permet de faire perdurer la culture et l’histoire de l’entreprise.» Son coéquipier va même plus loin: «Son soutien est simplement indispensable dans les nouveaux challenges quotidiens.» Si Polydec compte parmi les fleurons du secteur automobile, les défis demeurent de taille. «Dans les véhicules dotés de tableaux de bord analogiques, nous estimons qu’une voiture sur deux dans le monde est équipée de nos axes, note Pascal Barbezat. Ces pièces se trouvent dans les micromoteurs qui actionnent les aiguilles. Elles sont livrées directement à des équipementiers internationaux construisant l’entier du tableau de bord ou à des fabricants de micromoteurs en Suisse.»

L’entreprise de Bienne est un des seuls fournisseurs dans le monde à avoir développé une ligne de production spécifique à cette activité. Une rupture technologique impacte néanmoins ce business florissant: «Même si les tableaux de bord analogiques sont encore demandés, les aiguilles tendent à disparaître au profit d’écrans entièrement numériques. Les années 2018 et 2019 marquent un tournant en la matière.» Un déclin que la direction a anticipé. «Depuis quelques années, notre stratégie est de nous étendre à de nouveaux secteurs d’activité», souligne le CEO.

Dans l’automobile, qui correspond désormais à environ 35% du chiffre d’affaires de Polydec, les axes peuvent être utilisés pour d’autres fonctions, comme la climatisation, les carburateurs ou encore la régulation de gaz d’échappement. La PME s’est aussi lancée dès 2005 dans l’industrie horlogère, qui représente désormais 55% de ses recettes. Elle est également active dans l’électronique à hauteur de 10%. «Nous livrons des microcomposants pour tester les semi-conducteurs, un domaine où la concurrence asiatique est forte.» La société de Bienne place une partie de ses espoirs dans le médical. «Nous souhaiterions nous développer dans ce marché où nous sommes peu actifs. L’objectif est d’obtenir en 2020 la certification pour l’industrie des dispositifs médicaux», détaille l’actionnaire majoritaire. Une diversification prometteuse qui encourage la société à se développer. «Six nouveaux collaborateurs ont été engagés depuis janvier et un département dédié à ce domaine est en train d’être mis sur pied.»

Quant aux anciens directeurs, ils reviennent rarement à Champs-de-Boujean. Sauf pour bichonner une poignée d’anciennes voitures que l’on peut admirer dans la halle adjacente à Polydec, dont une Cadillac assemblée à Bienne dans les années 1950. D’autres objets – vélos, machines à écrire made in Bienne – y sont également temporairement entreposés, dans l’idée de créer un musée retraçant le passé industriel de la ville.

 

BG
Blandine Guignier