Le rendez-vous est donné à Nadine Reichenthal dans l’un des vastes bâtiments de l’Université de Lausanne. Ce jour-là, de nombreux étudiants et jeunes athlètes des JOJ se côtoient dans une ambiance festive. C’est alors qu’arrive d’un pas vif la professeure, le sourire éclatant. Pour un peu, on la confondrait avec ses élèves. Fidèle à sa réputation de fonceuse, Nadine Reichenthal entame immédiatement, et au pas de charge, une visite commentée des locaux de «son» accélérateur de projets.

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Un joli foutoir fourmillant d’idées, un désordre établi et recommandé par la patronne, des post-it partout sauf là où on les attend, de jeunes chercheurs qui s’affairent en plaisantant. Pas de doute, l’endroit est indéniablement un nid à projets, né grâce à l’impulsion du doyen Jean-Philippe Bonardi et du professeur Jeffrey Petty, et sous l’égide alors de Venturelab.

La réalité des affaires

Le programme de Venturelab a vu des dizaines de projets s’envoler vers le succès et faire la une des médias, comme les sociétés L.E.S.S., Abionic ou Green Motion. Agrosustain et Greenastic ont fait partie des premières volées de l’accélerateur qui ont demarré en février 2016. L’objectif de l’accélérateur est en effet d’aider des étudiants ou des alumnis à mener leur propre entreprise, projet ou association vers le succès, mais pas uniquement. «L’échec fait partie du processus. Il vaut mieux que les projets explosent ici que plus tard avec de mauvaises conséquences. C’est pourquoi je suis parfois très directe dans mes feed-back aux étudiants», assume Nadine Reichenthal, qui quittera ce poste au 1er février de cette année.

La visite se poursuit et les objets qui trônent sur son bureau semblent suivre ses préceptes personnels. Des Sugus à emporter, un nounours et même une baguette magique trônent fièrement sur le plan de travail. «Ces gadgets sont là pour rappeler une réalité aux candidats: s’ils viennent pour être cajolés ou pour rester dans leurs rêves, ils peuvent se servir! Mais s’ils veulent entrer dans la réalité des affaires, je suis là pour les mettre sur le droit chemin, ce qui n’est pas toujours évident. Je me dois d’être réaliste pour eux», insiste Nadine Reichenthal, forte de ses dizaines d’années de conseils.

Car la dame de fer cumule les expériences entrepreneuriales (elle a travaillé pour de grands groupes comme SGS, Firmenich ou PubliGroupe), dont celle vécue dramatiquement pas son père, un patron d’une société spécialisée dans la peinture pour automobiles. «Je n’ai pas réussi à convaincre mes parents de vendre l’entreprise familiale au bon moment et j’ai fini par la vendre pour un franc symbolique. C’est un grand regret, mais cela me motive dans mes missions d’accompagnement des jeunes.» L’envie de démontrer le plus concrètement possible la valeur et le talent des femmes dans les entreprises est aussi un moteur important. Nadine Reichenthal s’est en effet retrouvée veuve à 27 ans avec un enfant, tout au début de sa carrière professionnelle. Une épreuve formatrice qui fera naître de belles initiatives, une fois encore. Nadine Reichenthal est présidente du Club de femmes entrepreneures (CFE).

Elle a aussi collaboré, avec son amie Diane Reinhard, à la mise sur pied d’un brevet fédéral de spécialiste en gestion d’entreprise par validation des acquis en 2013, une formation qui permet aux femmes dans l’ombre de patrons de réaliser l’importance de leur influence et de leur poids dans l’entreprise familiale. Souvent des épouses sans lesquelles les sociétés familiales ne fonctionneraient pas et dont l’importance est enfin reconnue.

Enseignement en Afrique et en Asie

Autre initiative marquante en Suisse romande: le lancement en 2015, avec Laurence Halifi, de Graines d’entrepreneurs, un programme qui apprend aux enfants et aux adolescents les méthodes pour innover et entreprendre. Ces ateliers ont déjà été proposés dans plus d’une vingtaine d’établissements publics et privés en Suisse romande et lancés en France. L’internationalisation se poursuit aux Etats-Unis et en Afrique.

Aujourd’hui, Nadine Reichenthal peaufine son discours d’adieu à ses résidents tout en réfléchissant à son avenir proche. Elle va continuer à enseigner l’entrepreneuriat en Afrique ou en Asie en se basant sur les cours et les aides qu’elle a distillés aux jeunes en Suisse tout au long de ces nombreuses années. «Chaque fois que je me rends dans ces pays, je suis fascinée par l’ingéniosité et la force d’adaptation des gens. Le virage technologique a été pris beaucoup plus rapidement dans certains secteurs, comme le paiement électronique sur les téléphones. En Suisse, nous sommes très en retard par rapport à certains systèmes mis en place et utilisés dans des pays africains. Mon enseignement là-bas vise également à encourager des projets disruptifs et utiles. Il faut qu’il existe une demande des produits proposés sur le marché, sinon c’est du temps perdu», martèle la future retraitée.

Si elle conserve un enseignement à l’université ainsi que ses chères journées consacrées à Graines d’entrepreneurs, elle se réjouit des surprises que son agenda, forcément moins chargé, lui réservera à l’avenir. Ce n’est donc pas un virage qu’elle négocie, mais plutôt une nouvelle orientation sur son trajet de passeuse d’expériences. La route continue.


Bio express

  • 1954 Naissance à Annemasse.
  • 1977 Licence en économie politique.
  • 2004-2012 Program Manager à Venturelab.
  • 2015 Chargée de cours à HEC Lausanne.
  • 2016 Directrice de l’Unil-HEC Accelerator.
EdouardBolleter
Edouard Bolleter