Les hôtels, restaurants et sites touristiques ont fait partie des premiers touchés par la crise. L’ensemble du secteur touristique suisse devrait ainsi enregistrer une perte de chiffre d’affaires de 8,7 milliards de francs de mars à juin (à comparer au volume global annuel de 47,2 milliards de francs), selon une étude d’impact réalisée par l’Institut Tourisme de la HES-SO Valais.

Les recettes du secteur diminueront de 70% en juin et le taux de remplissage des hôtels durant l’été ne devrait pas dépasser 24%, selon les estimations des chercheurs valaisans. Près d’un restaurateur ou hôtelier sur quatre redoute aujourd’hui la faillite.

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Bon nombre d’entre eux espèrent une reprise des activités avec l’été, tout en sachant que de nombreux défis inédits les attendent. Ils devront respecter les mesures de sécurité sanitaire et se partager la clientèle helvétique, puisque les touristes étrangers seront probablement absents. Pour Patrick Bérod, directeur d’HôtellerieSuisse Valais, «le Conseil fédéral doit avant tout changer de message. Tant que le «Restez chez vous» reste martelé, les Suisses n’oseront pas réserver leurs vacances.»

1. Séduire la clientèle helvétique

«We need Switzerland», résume le slogan de Suisse Tourisme pour promouvoir la relance du secteur. Pour cet été, le tourisme devra compter bien plus sur la clientèle indigène que sur les touristes étrangers. Ces derniers représentaient pourtant plus de 50% des voyageurs en 2019, selon l’Office fédéral de la statistique (OFS). Les Suisses seront aussi limités dans leurs déplacements à l’étranger, puisque les conditions de transport international restent incertaines et que la plupart des pays étrangers limitent le tourisme extérieur.

Selon une étude de l’Organisation mondiale du tourisme, 96% des destinations dans le monde imposent actuellement des restrictions sur les voyages, allant de la fermeture des frontières à une quarantaine imposée à l’arrivée sur le territoire. De fait, deux Suisses sur trois déclarent avoir annulé leurs prochaines vacances si elles étaient prévues dans un pays touché par le coronavirus, selon une enquête de l’Institut Tourisme de la HES-SO Valais.

Le défi de cet été consistera donc à séduire la clientèle suisse. Le Tessin, le Valais ou les Grisons redoublent d’efforts et enchaînent les opérations de promotion. «Les régions qui ont déjà l’habitude d’accueillir une clientèle suisse, comme le Valais ou le Jura, partent avec un avantage par rapport à celles qui sont plus dépendantes d’une clientèle étrangère, remarque Dominique Fumeaux, responsable de la filière tourisme à la HES-SO Valais. Mais les Suisses ont envie d’un bol d’air frais après ce confinement, ce seront donc sûrement les régions de grands espaces naturels qui se démarqueront.»

Pour les destinations qui figuraient au programme des tour-opérateurs asiatiques comme Lucerne, la Suisse centrale ou les Alpes bernoises, l’absence des touristes étrangers va provoquer des pertes considérables. Dans la région d’Interlaken (BE), l’excursion à l’observatoire du Jungfraujoch attire chaque année près de 700 000 touristes asiatiques, ce qui représente 70% de la clientèle du site. A plus de 200 francs l’aller-retour depuis Interlaken en saison d’été, les Suisses pourraient se montrer réticents à payer les tarifs habituels. «La venue d’une clientèle suisse passera aussi par des prix réduits, convient Kathrin Naegeli, porte-parole du groupe des Chemins de fer de la Jungfrau. Nous prévoyons également des offres promotionnelles, combinées avec les hôtels et d’autres prestataires de la région. Néanmoins, nous resterons dépendants de la météo, puisque si les étrangers n’ont pas d’autre choix que de s’accommoder du mauvais temps, les Suisses choisiront simplement un autre jour.»

La compétition s’annonce donc particulièrement rude. «La concurrence entre les régions existe depuis toujours, explique Dominique Fumeaux. Mais les prestataires du tourisme ont tous souffert ces derniers mois et ne peuvent pas se brader. Mener une guerre des prix serait suicidaire.» Patrick Bérod, directeur d’HôtellerieSuisse Valais, abonde dans ce sens: «Entre le manque à gagner des mois de fermeture et l’absence des clients étrangers, si nous devons encore baisser les prix, il vaudra alors mieux rester fermés.»

2. Les formules gagnantes

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Les hébergements originaux et loin des foules, comme Tree Glamping dans le Val-de-Travers, sont très recherchés.
© Tree Glamping

Cabane dans les arbres, yourtes, camping solitaire, les solutions d’hébergement qui offrent un éloignement préventif sont déjà recherchées par la clientèle suisse pour l’été. Le Tessin mise, lui, sur la sécurité sanitaire: «Les attentes en matière d’hygiène seront omniprésentes cette année, souligne Angelo Trotta, directeur de Ticino Turismo. Nous allons donner des conseils pratiques pour que les visiteurs puissent profiter de leur séjour en toute sécurité.» En marge de l’hôtellerie, les résidences secondaires pourraient devenir des lieux de vacances pour beaucoup de Suisses. Au moment du confinement, de nombreux citadins avaient établi villégiature en montagne et pourraient y rester cet été.

«La Suisse ne peut pas concurrencer les destinations low cost, rappelle Dominique Fumeaux, responsable de la filière tourisme à la HES-SO Valais. Les salaires, les charges sociales, les normes sont plus élevés, il est impossible d’avoir des prix aussi bas qu’à l’étranger. Il faudra donc proposer des activités originales pour donner aux Suisses l’envie de redécouvrir leur pays avec un œil nouveau.» Il s’agira de valoriser les produits du terroir et d’inciter la population à explorer le patrimoine, la culture, l’histoire et la gastronomie de leur pays.

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Patrick Bérod
© DR

Si nous devons encore baisser les prix, il vaudra alors mieux rester fermés.

«Nous sommes évidemment pour l’ouverture des frontières afin de pouvoir accueillir les touristes européens, mais il faut en priorité éviter la reprise d’un foyer viral qui serait fatale pour le secteur, ajoute Patrick Bérod. En Suisse, j’espère que certains réflexes protectionnistes resteront pour cet été.» Le directeur invite également les clients à «réserver directement chez l’hôtelier et non plus sur les plateformes en ligne. Ils peuvent proposer des conditions d’annulation plus intéressantes et économisent une commission de 15 à 25%.» «L’enjeu de cet été sera de rester attrayant pour la clientèle de proximité malgré l’annulation des festivals et des grands événements publics, détaille Dominique Fumeaux de la HES-SO Valais. Les prestataires ne pourront pas baisser drastiquement les prix et se différencieront davantage en ajoutant des services.»

Certaines régions visent à se démarquer avec des offres promotionnelles combinées. Le Jura propose un passe qui permet à chaque visiteur séjournant au minimum une nuit dans un établissement hôtelier du canton de bénéficier d’un accès gratuit à tous les transports en commun et à diverses réductions. Fribourg a instauré une offre similaire en proposant un forfait City Break incluant la nuitée et les entrées aux activités culturelles. «Les hôtels ne pourront survivre que si l’ensemble de la chaîne touristique redémarre, plaide le directeur d’HôtellerieSuisse Valais. Sans les remontées mécaniques, les magasins, les restaurants, les clients ne réserveront pas de nuitées.»

3. La nouvelle vie des hôteliers

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Les restaurateurs (ici Sonne in Scheunenberg, dans le canton de Berne) doivent trouver des solutions sanitaires.
© Mekomm/@Schweizer Illustrierte

Après deux mois d’arrêt forcé, l’industrie hôtelière suisse affiche une perte estimée de 2,5 milliards de francs. La probabilité de faillite, évaluée à 22,5% en moyenne, se révèle particulièrement élevée dans les cantons de Genève (35%), de Vaud (32%) et du Tessin (28%), selon l’étude d’impact de la HES-SO Valais.

«Nous sommes impatients de rouvrir, assure Noémie Boyer Poulin, de l’hôtel-restaurant La Tour d’Aï, à Leysin (VD). Nous avons eu de nombreuses annulations au début de l’année, dès l’apparition du coronavirus en Europe, mais nous espérons reprendre rapidement nos activités cet été.» La jeune femme a repris l’hôtel de 14 chambres l’année dernière avec son mari. Ils misent sur leur authenticité pour attirer la clientèle. «Nous sommes un petit hôtel familial, ce qui nous permet de rester à l’écoute de nos clients.»

Les hôtels doivent cependant s’adapter à une variété de nouvelles exigences de sécurité sanitaire: distanciation sociale, désinfection régulière, gestes barrières. Les conditions de reprise restent très codifiées. «Les hôteliers étaient déjà habitués à maintenir de hauts standards de propreté, souligne Patrick Bérod, directeur d’HôtellerieSuisse Valais. Ce sont surtout les clients qui vont être touchés, puisqu’ils n’auront plus la même liberté de circuler au sein des établissements.» A l’étranger, le secteur hôtelier s’active à certifier cet aspect sanitaire. Singapour a ainsi instauré un label de qualité baptisé SG Clean et le Portugal le label d’hygiène et de sécurité Clean & Safe. Pour l’obtenir, les acteurs du tourisme doivent respecter des normes sanitaires strictes. La chaîne Accor, premier groupe hôtelier en Europe, travaille également à la création d’un label sanitaire.

En Suisse, il n’existe pour le moment pas de certification similaire. La plateforme de réservation de logements entre particuliers Airbnb impose quant à elle un nouveau protocole de nettoyage, avec obligation de laisser le logement vide vingt-quatre heures avant de le nettoyer. Pour ceux qui ne parviendraient pas à appliquer ces normes d’hygiène, l’entreprise prescrit de bloquer le logement pendant septante-deux heures avant la venue d’un nouveau client.

Les petits-déjeuners deviennent également un casse-tête pour les hôteliers. L’hôtel La Tour d’Aï de Leysin, habituellement connu pour ses buffets matinaux, a dû changer sa formule. «Il est impossible de respecter les règles d’hygiène dans un buffet, tout le monde touche les pinces, les plats, les couverts, explique Noémie Boyer Poulin. Nous allons donc servir sur assiette, ce qui sera forcément plus long et plus compliqué, mais nous sommes prêts à appliquer toutes les mesures nécessaires.»

4. Vacances vertes en Suisse

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Prendre un bateau sur le Rhin, puis se balader à vélo, une mobilité douce appréciée des Suisses. 
© Switzerland Tourism

En matière de vacances durables, les Suisses sont quelque peu schizophrènes. Ainsi, dans un sondage réalisé par le WWF l’année dernière, ils étaient 40% à déclarer vouloir prendre moins l’avion, voire y renoncer complètement. Dans un communiqué publié en janvier dernier, la Fédération suisse du voyage a indiqué – sans toutefois donner de chiffres – que les Suisses veulent voyager de manière plus consciente en choisissant par exemple des hôtels qui respectent des normes environnementales. Pourtant, l’année 2019 a été celle où les Suisses ont le plus pris l’avion. Et quant à la compensation du CO2 émis lors de ces voyages, ils n’étaient qu’environ 1% à accepter de débourser quelques francs de plus.

En même temps, les acteurs du tourisme helvétiques tels que les auberges de jeunesse ou certains hôtels misent depuis longtemps sur des critères de durabilité pour attirer des clients. Parmi ces critères se trouvent par exemple la préservation d’espaces naturels, la promotion de la mobilité douce ou encore l’emploi de sources d’énergie renouvelables.

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Stefan Forster
© DR

L’engouement pour les produits régionaux est une tendance qui peut profiter aussi au tourisme suisse.

«C’est un mouvement qui s’est déclenché il y a vingt ans environ et qui s’est beaucoup renforcé ces dix dernières années, explique Stefan Forster, spécialiste en tourisme durable à la Haute Ecole spécialisée zurichoise (ZHAW). Puisque les acteurs suisses du tourisme ne peuvent pas concurrencer les offres à l’étranger au niveau des prix, ils ont très tôt investi le champ de la durabilité.» Avec succès: dans un rapport du World Economic Forum (WEF) de 2017, la Suisse se classe première parmi 136 pays dans la catégorie «Développement durable du secteur touristique». Suisse Tourisme liste une vingtaine d’activités et de destinations – comme les parcs suisses ou les villages de montagne dans les Grisons – qui permettent de passer ses vacances tout en se souciant de l’environnement.

La crise du coronavirus va-t-elle davantage faire découvrir cette offre aux Suisses? «Pendant la crise sanitaire, on a pu observer que beaucoup de consommateurs se sont tournés vers des produits régionaux. Il est probable que le tourisme profite aussi de cette tendance», estime Stefan Forster.

5. Réussir le tournant digital

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A l’Opera Hotel, à Zurich, le robot Pepper accueille les hôtes.
© Ambassador Hotel

La digitalisation du secteur est plus que jamais une question cruciale pour s’affirmer face aux mastodontes tels que TripAdvisor ou Airbnb. En 2018, la plateforme américaine de réservation captait déjà entre 6 et 12% du chiffre d’affaires de l’hôtellerie suisse, selon l’Observatoire valaisan du tourisme. «Le focus de ces entreprises américaines se tourne désormais vers les attractions et les offres d’expériences, qui faisaient jusqu’ici partie de la chasse gardée des offices du tourisme, précise Vincent Dubi, expert dans le domaine du tourisme digital. Avec le risque de ne laisser que des miettes à ces organismes qui ne disposent pour la plupart pas de la taille critique pour s’affirmer.»

D’où l’urgence de combiner les forces des acteurs touristiques. C’est l’une des ambitions du projet-pilote DigiKoop, qui aide trois régions à développer des outils numériques qui permettent de renforcer leur compétitivité. A Gstaad Saanenland, on planche ainsi sur une carte d’hôte numérique qui puisse combiner l’offre d’hôtels, de transports ou d’attractions. «La carte d’hôte numérique, dont le lancement est prévu l’année prochaine, est un bon moyen d’offrir une plus-value concrète tant aux touristes qu’aux professionnels de la branche», note Monika Bandi Tanner du centre de recherche sur le tourisme (CRED-T) de l’Université de Berne, qui pilote le projet.

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Monika Bandi Tanner
© DR

La carte d’hôte numérique est un bon moyen d’offrir une plus-value concrète aux touristes.

Autre chantier: la stratégie d’acquisition de clients. «On a longtemps voulu vendre des produits plutôt que d’identifier les préoccupations des touristes», remarque Vincent Dubi. Le travail des offices du tourisme doit désormais se concentrer sur la création d’une image de marque, pour la distribuer via les réseaux sociaux ou des campagnes digitales. La Suisse a la chance de ne pas souffrir de l’overtourism. Il y a une vraie carte à jouer aujourd’hui en mettant en avant la qualité de la nature et la possibilité de pratiquer du tourisme individuel.»


Les stations de ski à l’arrêt

Face au manque à gagner brutal survenu à la fin de la saison d’hiver, les remontées mécaniques misent sur la période estivale et gardent l’espoir.

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Les remontées mécaniques du Magic Pass estiment avoir perdu près de 20 millions de francs de manque à gagner total.
© F.Pulch/ Unsplash

«La saison était exceptionnelle: une belle météo, des conditions d’enneigement idéales, les touristes au rendez-vous, mais tout a dû s’arrêter», regrette Sébastien Travelletti, administrateur du Magic Pass et président de Télé Anzère. L’hiver s’annonçait providentiel: les journées skieurs dépassaient de 10,6% la moyenne enregistrée au cours des cinq dernières années. Mais tout s’est brusquement interrompu le 13 mars. Cinq semaines ont donc été amputées à l’exercice hivernal, ce qui représente 15 à 20% du chiffre d’affaires habituel des stations.

Les remontées mécaniques du Magic Pass estiment avoir perdu plus de 500 000 journées skieurs, soit près de 20 millions de francs de manque à gagner total. Pour la première fois, le Magic Pass a activé son fonds de solidarité. Destiné à aider les stations membres en difficulté, l’outil, doté de 1,6 million de francs, a soutenu neuf stations suisses, principalement celles de moyenne montagne, qui avaient souffert d’un faible enneigement. Dans son bilan actuel, le Magic Pass enregistre une baisse de 22% de son chiffre d’affaires, soit exactement la proportion qu’apportait Crans-Montana. «Entre le coronavirus et le départ de Crans-Montana, il est difficile de dire ce qui est responsable de cette baisse, considère Sébastien Travelletti. Ce bon début d’hiver nous permet d’avoir malgré tout un bilan correct.» En effet, la station d’Anzère enregistre un exercice record. «Nous avons majoritairement des clients en début de saison, donc la fermeture préventive nous a peu impactés.»

A ce jour, 95 000 Magic Pass ont déjà été vendus pour la saison prochaine, contre 121 000 à la même période l’année dernière. La coopérative reste néanmoins positive. «Nous continuons de vendre des abonnements malgré le confinement, ce qui montre que nos clients sont confiants pour l’avenir», constate Sébastien Travelletti.

Inquiétudes à Verbier

Verbier a subi de plein fouet les fermetures. L’ensemble des prestataires estiment avoir perdu 25% de leur chiffre d’affaires. La station a également été particulièrement médiatisée comme étant un foyer du virus. «Nous sommes conscients qu’il faut retrouver la confiance de nos clients, c’est pourquoi nous axons notre communication sur la santé et la sécurité», souligne Simon Wiget, directeur de Verbier Tourisme.

La station souffre de la suppression de ses événements estivaux, comme son festival de musique classique. Pour aider l’économie locale, la commune a alloué un budget exceptionnel de 1 million de francs, afin de permettre à Verbier Tourisme de développer des offres promotionnelles et de fonctionner normalement. «De nombreux Suisses ont rejoint leur résidence secondaire pour le confinement et nous comptons également sur cette clientèle fidèle.»

Le directeur reste néanmoins inquiet pour l’hiver prochain: «Verbier compte une part importante de touristes internationaux et est réputée pour son ambiance festive, deux aspects qui seront peut-être encore impactés par le Covid-19 l’hiver prochain.»


«Les crises donnent souvent lieu à un essor de créativité»

Martin Nydegger, directeur de Suisse Tourisme, livre son analyse de la situation à la mi-mai.

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Pour Martin Nydegger, c'est le moment de séduire la clientèle en lui proposant des plus-values de qualité. 
© Suisse Tourisme

Le parlement vient d’approuver le financement d’une campagne promotionnelle de trois ans. En quoi va-t-elle consister?

Le parlement a accordé à Suisse Tourisme 40 millions de francs pour un programme d’impulsion pour le tourisme suisse qui doit se déployer sur deux ans (2020-2021). Ces investissements de la Confédération s’ajoutent au budget habituel de Suisse Tourisme. Sur ces 40 millions, la moitié est destinée à être versée directement à nos partenaires touristiques (régions, destinations, hôtellerie, etc.) sous forme de crédits pour financer le marketing touristique. L’autre moitié du montant sera utilisée par Suisse Tourisme pour stimuler la demande suite à la crise du coronavirus.

Il s’agira, sur un plan international, de diffuser des informations relatives à la reprise des activités touristiques en Suisse et des conditions de cette reprise (règles d’hygiène et de distanciation respectées par les prestataires, par exemple), afin de rassurer notre clientèle sur les voyages et l’accueil. Nous aurons aussi pour mission, dans le cadre de ce programme, de donner au tourisme en Suisse un nouvel élan, de faire en sorte que notre pays soit de nouveau très présent dans l’esprit des hôtes potentiels.

Enfin, et c’est un point crucial, nous aurons la responsabilité de diffuser des offres concrètes de séjour dans les différents marchés, au fur et à mesure de la réouverture des frontières. Dans ce contexte, il sera particulièrement important de montrer aux Suisses alémaniques combien la Suisse romande est belle, et, inversement, de motiver les Romands à explorer des coins de la Suisse alémanique et italophone qui restent encore plutôt méconnus.

Vous avez lancé dès la fin de mars la campagne «Rêvez maintenant, voyagez plus tard». Etait-ce le bon moment? Quels retours avez-vous enregistrés jusqu’ici?

Il était indispensable de faire en sorte que la destination touristique suisse reste présente dans les pensées de nos hôtes du monde entier en cette période de confinement et d’impossibilité de voyager. Ce slogan, ainsi que d’autres mesures qui l’ont accompagné – comme des découvertes virtuelles –, a rapidement fait le tour du monde et a été – il l’est toujours d’ailleurs – très utilisé dans les réseaux sociaux. De nombreuses régions et destinations en Suisse l’ont adopté dans leur communication, comme Fribourg Région, Verbier, Lausanne, Bellinzone ou encore Aletsch Arena.

La Suisse jouit d’une excellente image en matière de normes sanitaires. Est-ce que c’est un point que vous comptez mettre en avant? Peut-on imaginer une sorte de label qui en assure la promotion?

Oui, on peut bien sûr l’imaginer, mais il est crucial qu’un tel label puisse être développé avec l’aval des principales associations faîtières de la branche, pour qu’il ait le plus de visibilité et de crédibilité possible. Si un tel label devait voir le jour, il devrait constituer une validation de la mise en place de plans de protection par les divers acteurs du tourisme.

Comment motiver les Suisses qui avaient prévu de partir à l’étranger à dépenser leur argent en Suisse cette année? Les acteurs de la branche doivent-ils adapter leurs offres?

Il est réjouissant de constater qu’une personne sur cinq en Suisse se déclare spontanément prête à passer ses vacances dans notre pays cet été par solidarité, comme le montre une enquête récente que nous avons réalisée. Un séjour dans un hôtel ou un camping ne profite pas seulement à l’hôtelier ou au gérant du camping, mais contribue à faire vivre aussi les commerçants d’une destination. La branche du tourisme est une branche transversale: deux tiers des dépenses des touristes sur le lieu de séjour profitent à d’autres branches, comme la culture ou le commerce de détail. Cette solidarité avec les prestataires touristiques profite ainsi à toute l’économie.

Les acteurs de la branche n’ont pas à y gagner en se livrant bataille sur les prix. C’est le moment de séduire la clientèle en lui proposant des plus-values de qualité durant un séjour. Nous allons voir de nouvelles offres apparaître dans ce sens. C’est le côté positif d’une crise. Elle stimule la créativité, la nécessité de coopérer. En Suisse, de nombreuses destinations proposent, par exemple, d’ores et déjà des cartes d’hôtes – généralement gratuites dès une nuit sur place – qui offrent plein de bonus aux visiteurs (gratuité des transports publics, entrée libre ou à prix réduit pour de nombreuses attractions culturelles et de loisirs). Appenzell vient d’ailleurs de lancer une carte d’hôte qui inclut la gratuité du voyage aller-retour en transports publics depuis n’importe quel domicile en Suisse (transport des bagages inclus) et offre aussi sur place des avantages attractifs pour tout séjour d’au moins trois nuits.

Les offices régionaux n’ont souvent pas la taille critique pour s’affirmer face aux grandes plateformes de réservation étrangères. Quel rôle Suisse Tourisme peut-il jouer dans cette optique?

Nous encourageons les destinations d’une même région à la coopération verticale, pour unir leurs forces au sein d’une même région et profiter les uns les autres d’initiatives qui sont mises en place localement, même en les adaptant. Suisse Tourisme a un rôle dans cette perspective, en fédérant régions et destinations autour de projets communs, qui permettent de valoriser les atouts régionaux avec un fil rouge ou une thématique bien spécifique pour faire rayonner la Suisse touristique aussi bien dans le pays que hors des frontières. La création du Grand Tour de Suisse (itinéraire routier de 1600 km à travers toute la Suisse aujourd’hui entièrement équipé de bornes de recharge pour les véhicules électriques) constitue un bel exemple de ce rôle fédérateur de Suisse Tourisme. 

Près de 23% des exploitants interrogés lors de vos sondages craignent de ne pas pouvoir se relever de cette crise. Y a-t-il néanmoins des points pour rester optimiste pour les mois à venir?

Oui, nous devons rester optimistes pour cette année 2020 qui, même si son bilan s’annonce terrible, n’est pas terminée. Janvier et février ont été très positifs. Après un trimestre horrible, nous voyons la lumière au bout du tunnel. La réouverture prochaine des frontières avec l’Allemagne, la France et l’Autriche, qui, ensemble, représentent 13,5% des nuitées des touristes étrangers en été, est une bonne nouvelle. Les destinations pourront cibler une clientèle un peu plus diversifiée que les seuls hôtes suisses, un aspect important pour celles qui ont – d’habitude – une part non négligeable de clientèle allemande ou française. Je suis convaincu que la branche et l’image de la Suisse touristique sortiront renforcées de cette période noire. Les crises donnent souvent lieu à un essor de créativité et stimulent la collaboration et la solidarité.

AF
Audrey Magat, Robert Gloy et Erik Freudenreich