Sa grande expérience en tant que conseiller d’Etat vaudois n’aura jamais été aussi utile. Le socialiste Pierre-Yves Maillard a pris il y a dix-huit mois la présidence de l’USS (Union syndicale suisse) et il semblerait qu’il incarne l’homme providentiel à ce poste en ces temps très mouvementés pour l’économie suisse. Réputé combatif mais pragmatique, le Lausannois, avec ses troupes, n’a cessé, depuis le début de la pandémie du Covid-19, de multiplier les rencontres avec le gouvernement fédéral, les 17 syndicats membres ainsi que les représentants patronaux.

également interessant
 
 
 
 
 
 

Des échanges vitaux. Il s’agit notamment de sauver les emplois, de renforcer les droits des travailleurs et, en toile de fond, de faire fonctionner le partenariat social suisse, garant de la paix sociale. Lors d’une interview au long cours réalisée dans les locaux de la faîtière, à Berne, Pierre-Yves Maillard décrit les mois passés, détaille ses batailles, puis définit les priorités et les dangers de la rentrée.

En filigrane de ses propos, on réalise que l’image traditionnelle des oppositions idéologiques entre les syndicats, les patrons et l’Etat est devenue des plus archaïques. Le temps est à la promotion d’une économie forte et solidaire par le biais de négociations intenses et à un véritable changement de paradigme, amorcé par la crise due au coronavirus.

PME: Votre expérience en tant que conseiller d’Etat durant quinze ans est inestimable. Quelle a été votre influence sur le fonctionnement de l’institution depuis votre arrivée à l’USS en mai 2019?
Pierre-Yves Maillard: J’œuvre dans la continuité de la ligne politique de l’USS. Mon expérience dans l’exécutif vaudois à la tête du Département de la santé et de l’action sociale m’a permis de tester des innovations sociales, ce qui a aidé à la création de la rente-pont fédérale pour les chômeurs âgés en fin de droits (qui se trouve sous la menace d’un référendum, ndlr). Je prête aussi une attention particulière à la formation et aux apprentis ainsi qu’au maintien des places de travail.

Reste que les missions «traditionnelles» de l’USS ont été bouleversées par le Covid-19. Comment a dû s’adapter le nouveau président que vous êtes?
Comme tant d’autres, nous gérons le stress, avec une petite équipe très impliquée. Dès le début de la pandémie, les débats internes ont été intenses, mais nous avons respecté les choix sanitaires du gouvernement. Nous nous sommes bornés à demander que la stratégie soit claire et cohérente. Puis nous sommes rapidement montés au créneau pour que l’Etat agisse à la hauteur du choc économique qu’il imposait à la société. Avec «l’auto-retrait» du parlement, les partenaires sociaux ont eu un rôle déterminant afin de protéger les employés ainsi que les employeurs. Un grand travail s’est effectué dans l’ombre.

Qu’est-ce qui vous a surpris le plus de la part du Conseil fédéral?
Son engagement a été intense et collégial. Mais au début, le monde du travail semblait presque être une «terra incognita». Un peu comme si les entreprises et le monde du travail n’étaient pas concernés. Il était déconseillé aux personnes à risque d’aller faire leurs courses, mais elles continuaient à travailler normalement dans les EMS!

Concrètement, que demandiez-vous?
Nous avons rapidement demandé et obtenu des tables rondes avec les ministres Guy Parmelin et Alain Berset. Nous y avons présenté un plan écrit qui a, par ailleurs, été assez suivi. Nos priorités visaient la création d’une compensation pour perte de gain pour les indépendants et le renforcement du chômage technique ainsi qu’un certain assouplissement des règles d’octroi. Il y a eu des ratés, mais un travail énorme a été fait par les pouvoirs publics. Le système de crédits garantis développé par le Département des finances a été notamment très précieux.

Nous entrons dans une phase plus dure. des licenciements collectifs vont avoir lieu.

Le système tripartite syndicats-patrons-Etat est-il renforcé?
Face au choc, il y a eu une logique de négociation rapide. L’idéologie du laisser-faire avait peu de pertinence et l’Etat, les syndicats et les patrons ont bien dû agir pour le maintien d’une économie suisse forte. Notre rôle a aussi été de faire exister la réalité économique et sociale face à la logique sanitaire. Dans ce sens, par exemple, les représentants de l’hôtellerie ou encore de GastroSuisse étaient d’accord avec nos demandes pour que l’Etat agisse rapidement et avec force. Les faîtières patronales se sont ralliées à cette approche pragmatique. Cela n’a pas annulé l’affrontement des intérêts. Nous l’assumons de manière démocratique et civilisée, afin que le monde du travail s’en sorte.

Quel est le rôle de l’USS aujourd’hui, en vue d’une rentrée si incertaine?
Nous entrons dans une phase plus dure. Des licenciements collectifs vont avoir lieu et on s’attend à des tentations de la part de certaines entreprises de dégrader les conditions de travail. L’USS soutiendra ses membres et défendra l’emploi et le savoir-faire des collaborateurs. A l’égard du Conseil fédéral et du parlement, comme faîtière reconnue, nous jouerons notre rôle de relais des réalités vécues par nos affiliés et de leurs revendications.

Comment vous sentez-vous personnellement durant cette période si exposée?
Je reste dans un esprit combatif, mais dans le but d’obtenir des résultats. Je sais que l’on ne peut pas tout faire. Nous avons un pouvoir d’influence. Il faut l’utiliser.

Comment fonctionnent les syndicats durant cette période? Ont-ils encore les moyens de leurs luttes?
Les syndicats ont fait un gros travail dans toutes les branches. Nos fédérations négocient désormais collectivement les conditions de travail de 2 millions de salariés du secteur privé. Le commerce de détail manque, pour sa part, d’une grande convention collective nationale. Politiquement, nous n’avons pas le choix, il faut continuer à se battre sur tous les fronts: l’emploi, la prévoyance professionnelle, la politique européenne! Les finances des syndicats sont solides, mais nous avons besoin de renforcer nos effectifs, ce qui n’est pas évident en cette période de réduction des contacts. C’est une année difficile, mais nous restons puissants avec près de 360 000 membres.

Quelle est votre principale crainte en ce moment?
Il y a l’emploi et la formation des jeunes. Mais je suis aussi inquiet de la transformation de la vie sociale. Les syndicats ont toujours lutté pour une certaine façon de vivre, une «bonne vie» avec des loisirs, de la culture, qui passe par des rencontres, des échanges. Depuis longtemps, de grands intérêts poussent à la virtualisation ou à la marchandisation des interactions les plus élémentaires entre les êtres humains. La lutte contre la pandémie renforce malheureusement cette tendance. Pour les syndicats, se réunir, c’est la base de tout. Il faudra lutter contre cette atomisation des individus, qui est l’antithèse de l’esprit syndical.

Qu’en est-il de la fameuse paix sociale face au choc que nous vivons?
Les peuples sont dans une phase d’abattement. La concentration médiatique sans précédent sur la pandémie met les gouvernements sous une pression énorme. La tentative de diriger durablement les comportements sociaux est éprouvante. Dans ces conditions, les tensions entre les différentes catégories de la population peuvent s’exacerber. Il faut absolument éviter l’infantilisation et la stigmatisation. Face à ce qui nous arrive, il faut au contraire un débat ouvert, factuel et un esprit critique. En Suisse, les autorités se montrent prudentes et pondérées, à l’image du conseiller fédéral Alain Berset. Les libertés sont conservées et le système démocratique sert de garde-fou. Mais la paix sociale n’est pas acquise si les injustices et la misère progressent, en Suisse comme ailleurs.

Des grèves sont-elles à prévoir?
Les grèves font partie de la boîte à outils des salariés. Souvent, elles servent simplement à obtenir le droit de négocier. Mais les bons employeurs ont peu à redouter. Quand il m’est arrivé d’en organiser, j’ai constaté que beaucoup de grèves ou de conflits auraient pu être évités simplement si les collaborateurs avaient été écoutés à temps.

Un monde meilleur, en termes d’égalité sociale, pourrait naître à la fin de la crise selon certains…
Je suis moins optimiste. Les rapports de force et les inégalités se poursuivent. Pour l’instant, la thérapie de choc que subit la planète augmente les risques pour les salariés et renforce la puissance des grands intérêts.

La transition démographique, un événement historique plus profond et plus durable que la pandémie.

Est-ce que rien ne sera plus comme avant?
Nous sommes au début d’un événement historique plus profond et plus durable que la pandémie, c’est la transition démographique. Les personnes issues du baby-boom sortent du monde du travail avec de grandes compétences. Les licenciements à venir risquent d’ajouter encore une couche à ce phénomène de destruction du savoir-faire helvétique. C’est aussi pour cela qu’il faut se battre en faveur de la formation des jeunes. On ne peut plus se permettre de laisser un seul jeune au bord de la route. En outre, le financement de la prévoyance professionnelle et des coûts liés à la dépendance doit être renforcé avec cette transition démographique.

Mais l’Etat ne peut pas être omniprésent!
Le grand défi, c’est de retrouver un certain consensus autour des mécanismes de financement qui diffèrent du rapport classique client-fournisseur. Une personne entrant dans le quatrième âge ne peut, le plus souvent, pas payer de sa poche les services dont elle a besoin au moment où elle les consomme. Mais si un financement a été pensé à long terme, avec une dose de solidarité, alors les besoins des personnes âgées deviennent une demande solvable, qui pourra soutenir le développement de toute une économie. Du côté des jeunes, les moyens qu’il faut déployer pour les former tous sont des investissements et des économies de dépenses sociales futures. C’est cette vision qui a soutenu la période qu’on a appelée «les trente glorieuses».

Les votations du mois de septembre arrivent. Là aussi vous êtes engagés, notamment dans le congé paternité.
Le congé paternité est un progrès qui mérite l’appui de tous les Suisses et la campagne est bien partie, je pense que la population est en avance sur ce sujet. En ce qui concerne l’initiative de l’UDC pour une immigration modérée, ce n’est pas tant l’immigration qui est sa cible, mais les mesures d’accompagnement qui protègent les salaires et offrent des conditions de concurrence à peu près civilisées en Suisse. Nous allons tout faire pour expliquer qu’elles sont nécessaires à l’économie suisse.

Le télétravail prend de l’ampleur. Quelle est votre position sur le sujet?
Le télétravail est un fait, qui peut dans certaines conditions avoir un intérêt. Mais il ouvre le risque d’une perte de limite entre vie privée et activité professionnelle. Or cette délimitation, celle qui garantit que le travail n’envahit pas tout le quotidien, est un acquis pour tous qu’il faut aussi défendre.

Quel est votre message aux entrepreneurs et aux employeurs durant cette pandémie?
Tout doit être fait pour former les jeunes et éviter la casse de l’emploi et du savoir-faire. Des réalités sont parfois incontournables, nous le savons, mais le chômage technique a été prolongé, assoupli, l’Etat doit s’impliquer et nous y veillerons. L’activité peut redémarrer vite et ceux qui auront su garder les compétences pourront réagir assez vite pour en bénéficier.


Bio express

file7bzcqz417ecerbto8ca
Pour Pierre-Yves Maillard, la campagne pour le congé paternité en vue de la votation du 27 septembre est bien lancée.
© S.Liphardt / PME Magazine
  • 1968 Naissance à Lausanne.
  • 1999 Conseiller national jusqu’en 2004.
  • 2000 Secrétaire régional du syndicat FTMH Vaud Fribourg.
  • 2004 Elu au Conseil d’Etat du canton de Vaud, pour le Parti socialiste. Des mandats qui ont pris fin en 2019.
  • 2019 Président de l’USS.