Les initial coin offerings (ICO) sont devenues la nouvelle poule aux œufs d’or pour les start-up ambitieuses. En quelques heures, voire en quelques minutes seulement pour les mieux préparées ou les plus prometteuses, elles peuvent lever des millions, voire des dizaines de millions de francs, de dollars ou d’euros pour financer leurs projets. La clé de ce succès est la mise sur le marché, par l’entreprise, d’actifs numériques transférables sous forme de jetons ou de «monnaies» en contrepartie de produits ou de services qu’elle a l’intention de développer.

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Quasiment inexistante avant 2014, confidentielle il y a deux ans encore, cette formule connaît un succès important depuis l’an dernier. Rien qu’en Suisse, treize sociétés ont émis des jetons numériques. Celle qui a enregistré le plus grand succès est la société zougoise Bancor, qui a levé quelque 150 millions de francs en juin dernier. Pour une start-up, une ICO est un moyen radical de court-circuiter les étapes classiques de financement, ses multiples tours de table et la menace constante de manquer de moyens. Mais quelle est la recette de la réussite?

1- La préparation du projet

Toute ICO doit se baser sur un projet suffisamment bien conçu et avancé pour convaincre les investisseurs de s’engager. Aussi, pas de projet au stade embryonnaire, pas de simples déclarations d’intention, mais un programme ayant atteint une maturité suffisante pour proposer des solutions crédibles. «Outre l’idéal du startuper consistant à trouver ses premiers fonds auprès de sa famille et de ses proches, le concepteur d’une ICO n’échappe pas à la nécessité de bénéficier au minimum d’un conseil en matière de droit de la surveillance des marchés financiers, de droit des sociétés et de droit fiscal, comme d’avoir une banque qui comprend les transactions en cryptomonnaies et possède une procédure compliance spécifique à ce domaine», explique l’avocat genevois Olivier Depierre, spécialisé dans les opérations sur blockchain et cryptomonnaie.

Il faut budgéter jusqu’à 1 million de francs de coûts.

Olivier Depierre , Avocat, spécialiste de cryptomonnaie

Pour ce dernier, la préparation d’un projet réaliste exige au moins six mois de travail avec une équipe de cinq à dix personnes dont la fidélité est entretenue par une rémunération minimale plutôt qu’une promesse d’allocation future de jetons. En termes de coûts, il paraît difficile de s’en sortir à moins de 600 000 francs d’investissement, les projets tournant plutôt autour du million. «Beaucoup de projets qui nous sont présentés par leurs promoteurs en sont à un stade trop préliminaire pour qu’il soit possible de concrétiser toute ICO», ajoute Mehmet Toral, de l’étude Id Est avocats à Lausanne.

L’entreprise a tout intérêt à se doter d’une infrastructure informatique de premier ordre si elle veut éviter les mauvaises surprises après l’émission de ses jetons numériques. Comme les actes de piratage, par exemple, qui peuvent anéantir la valeur des jetons émis et, partant, la réputation de l’entreprise. «L’exemple de Mt. Gox, du nom d’une plateforme d’échange de monnaies numériques qui s’est fait dérober 744 408 bitcoins, reste dans les mémoires. C’est notamment pourquoi nous travaillons désormais avec une solution hardware/software suisse de première qualité», précise Olivier Depierre.

2- La structure de l’offre

Comment la jeune entreprise va-t-elle s’adresser au marché? Suivant l’exemple donné par l’ICO de la Fondation Ethereum, qui a lancé l’ether, et l’«industrie» des ICO en Suisse, les candidats à la levée de fonds par la création de jetons numériques ont, par le passé, voulu faire la même chose: créer une fondation de droit suisse, laquelle était chargée d’ouvrir les relations bancaires destinées à recueillir les fonds et à les allouer au projet. «Une telle structure n’est pas nécessaire», remarque l’avocat Mehmet Toral.

En réalité, la meilleure structure juridique pour une start-up candidate à l’ICO reste la bonne vieille société anonyme (SA) au capital minimal de 100 000 francs entièrement libéré. «Elle est l’instrument qui donne le plus de confiance au marché», ajoute Mehmet Toral. Bien sûr, la jeune pousse serrée financièrement peut opter pour la société à responsabilité limitée (Sàrl) au capital minimal de 20 000 francs, ou la SA au capital à moitié libéré. Mais elle peinera davantage à inspirer confiance au marché, et donc à lever les fonds qu’elle estime indispensables à son projet.

Lorsque la structure juridique est déterminée et l’entreprise inscrite au Registre du commerce, cette dernière peut chercher à établir une relation bancaire qui lui permettra d’encaisser les fonds levés. Cette relation est indispensable à plusieurs titres, à commencer par la nécessité de respecter la loi sur le blanchiment d’argent et d’être dans les bonnes grâces des autorités fiscales.

3- Les différents types de jetons numériques

Le 16 février dernier, la Finma (Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers) publiait un guide pratique ICO, dans lequel elle expliquait comment elle allait traiter les jetons numériques. Elle relevait différentes catégories. Les jetons de paiement servent – comme leur nom le laisse suggérer – de moyen de paiement ou d’échange sur le modèle du bitcoin; les jetons d’utilité offrent le plus souvent un rabais à l’octroi d’un service, comme l’accès à une plateforme dédiée et en vue de son utilisation; le jeton d’investissement comporte les caractéristiques d’une valeur mobilière dématérialisée. Enfin, le jeton hybride peut comporter les caractéristiques d’un jeton de paiement et d’utilité ou d’investissement, comme l’ether.

Après avoir mis au point son projet et structuré son existence juridique, l’entreprise souhaitant effectuer une ICO doit donc bien comprendre comment se caractérisent ses jetons. Aussi doit-elle se poser la question préalable: vais-je vendre une monnaie, un service ou un produit financier?

4- Lancement et suivi de l’opération

Une ICO ne se décrète pas du jour au lendemain, c’est une opération qui exige une préparation rigoureuse de plusieurs mois. Lorsqu’elle tient son projet, qu’elle a trouvé un début de financement, choisi sa forme juridique, ses avocats et qu’elle sait sous quelle forme elle établira ses jetons numériques, la société n’a pas terminé son chantier. Elle doit s’adresser au marché. Comment? Contrairement aux introductions en bourse classiques, point n’est besoin – pour l’instant du moins – de recourir à une banque commerciale qui assurera la vente des titres sur un marché boursier régulé. En revanche, c’est du côté du marketing que devra s’exercer l’effort principal. Pour se faire connaître et faire connaître son projet, elle devra établir un document de base que les praticiens nomment le «white paper». Ce document rassemble sur plusieurs pages, ou est censé rassembler, des informations essentielles comme par exemple la nature de la société et de son projet, les étapes de financement, les perspectives de développement, la composition de ses organes, etc.

Important à savoir: contrairement à un prospectus d’entrée en bourse, le «white paper» n’est pas soumis à régulation puisqu’il ne s’adresse pas au marché au travers d’une banque ni d’une place de négoce. Aussi les sociétés peuvent-elles y mettre les renseignements qu’elles souhaitent. «Pour simplifier, il peut généralement s’apparenter à un business plan, avec la dimension token en plus», poursuit Olivier Depierre.

Néanmoins, un durcissement de la réglementation est à prévoir dès cette année, annoncent les spécialistes. Si un prospectus n’est pas toujours exigé en fonction des cas, il est probable que la prochaine étape régulatrice soit l’exigence d’une meilleure information au public,  par exemple via l’établissement d’un document simplifié destiné aux investisseurs, le KIID (Key Investor Information Document) pour les émissions de jetons d’investissement, dans la mesure où ceux-ci sont assimilés à un titre financier.

5- Les coûts

Si les ICO effectuées jusqu’ici ont rapporté à leurs promoteurs des sommes nettement plus élevées que celles d’un tour de table entre investisseurs professionnels pour une start-up classique, les coûts demeurent à considérer. Le premier d’entre eux consiste en la mise en place de l’opération. Selon Olivier Depierre, il est raisonnable de budgéter jusqu’à 1 million de francs en tout, dont 600 000 francs pour les six premiers mois, représentant les frais de lancement de l’opération.

Ces derniers se décomposent comme suit: entre 20 000 et 100 000 francs en fonction du type de société envisagée, 200 000 francs de frais de développement, notamment pour la conception des smarts contracts (le code informatique gérant la création et le fonctionnement des tokens), 200 000 francs de marketing, 80 000 francs de frais d’avocats (accompagnement général, rédaction de contrats, d’avis de droit et interaction avec les autorités de surveillance) et 40 000 francs de frais opérationnels divers (déplacements, hôtels, formations, roadshows, etc.), sans compter naturellement la part d’imprévus.

L’autre coût est fiscal. Selon que le jeton émis représente une monnaie, un service ou un investissement, son traitement par le fisc n’est pas le même. Mais les pratiques fiscales sont encore insuffisamment établies pour que l’on puisse livrer ici les différences de traitement.
 


 

YG
Yves Genier