Personne ne s’attendait à une telle affluence de dossiers. Dans les bureaux des services cantonaux des contributions, les dénonciations spontanées s’accumulent. En cause, l’entrée en vigueur de l’échange automatique de renseignements en matière fiscale (EAR) entre la Suisse, les pays de l’Union européenne et autres Etats tiers. Avec une date butoir fixée au 30 septembre prochain, les résidents suisses doivent déclarer tous leurs biens immobiliers ou comptes bancaires détenus à l’étranger pour éviter des amendes.

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Pour avoir une idée des montants réclamés, l’Administration fédérale des contributions (AFC) a établi une simulation basée sur des profils types. Elle donne l’exemple d’un couple genevois marié avec un enfant, sans aucune fortune déclarée en Suisse, avec un revenu annuel de 100 000 francs. Si cette famille détient un bien immobilier au Portugal d’une valeur de 150 000 francs, on estimera le taux de revenu annuel de ce bien à 3% (soit 4500 francs), et la famille fera face à un rappel d’impôt proche des 700 francs par an, selon une simulation fournie par l’Administration fiscale genevoise. Si la famille possède ce bien depuis dix ans, le rappel sera donc de 7000 francs.

Des millions de nouveaux revenus fiscaux

Si ce même couple possède un compte bancaire au Portugal avec l’équivalent de 100 000 francs, l’Administration estimera le taux de rentabilité à 0,75%, soit 750 francs par an, et le rappel d’impôt annuel s’élèvera à 233 francs, soit 2333 francs sur dix ans. «Dans cet exemple précis, le contribuable portugais aura déjà été imposé dans son pays d’origine, précise Joel Weibel, porte-parole de l’Administration fédérale des contributions. La Suisse va uniquement prendre en compte le revenu du contribuable portugais ici en Suisse, le loyer généré par son bien au Portugal et sa fortune.» Ces valeurs cumulées feront augmenter son taux d’imposition en Suisse.

Si le couple ne déclare pas ses biens, les amendes peuvent se monter jusqu’à deux fois et demie les impôts soustraits sur dix ans, accompagnées d’une dénonciation pénale. «Nous vivons dans l’attente et dans la peur, raconte Roberto*, un Portugais établi dans le canton de Fribourg. Nous nous sommes dénoncés car nous n’avons rien à cacher. Mais cette situation est difficile à comprendre car nous payons déjà des impôts sur la maison au pays. Et maintenant, nous devons encore payer des rappels d’impôt en Suisse. Surtout, nous déplorons l’absence totale d’explications. On se retrouve dos au mur à devoir se dénoncer comme des criminels.»

Résultat de ces accords, le nombre de dénonciations spontanées a explosé en 2017 dans tous les cantons romands. «Le délai fixé au 30 septembre prochain a entraîné une impressionnante augmentation des déclarations non punissables, explique Joel Weibel. Nous n’avons pas accès à toutes les données des cantons, mais il semblerait qu’ils aient tous connu une forte hausse des dénonciations spontanées.»

S’il est trop tôt pour avoir des résultats définitifs, les différentes administrations fiscales tablent sur des rentrées fiscales importantes, concernant autant les revenus que la fortune. Cela reste difficile à estimer pour l’instant, mais on peut certainement parler de «quelques millions», avancent Beda Albrecht, chef du Service cantonal des contributions du Valais, et son homologue fribourgeois, Alain Mauron.

Un doublement des déclarations

Le Département genevois des finances livre des informations plus précises. Depuis 2010, le canton a réintégré des revenus fiscaux à hauteur de 711 millions de francs, uniquement en provenance des dénonciations spontanées. Sur ce montant, plus de 97 millions concernent l’année 2018.

«Jusqu’à ce jour, environ 4000 déclarations ont été déposées en Valais, annonce Beda Albrecht. Nous recevons encore des milliers de dossiers de contribuables voulant être en règle d’ici à septembre.» Les cantons de Neuchâtel et du Jura affichent aussi des résultats en nette hausse. Le premier n’a pas attendu l’entrée en vigueur de l’échange automatique d’informations et a démarré une large campagne d’amnistie fiscale. De 2015 au 30 mars 2017, le canton a régularisé près de 5000 dossiers, soit une hausse d’environ 40% en comparaison annuelle. Au total, le canton et les communes ont enregistré 95,4 millions de francs de recettes résultant de l’amnistie fiscale.

Le délai fixé au 30 septembre a entraîné une forte hausse des déclarations.

Joel Weibel, Porte-parole, AFC

Le Jura, quant à lui, a reçu dix fois plus de dénonciations spontanées l’année dernière (885) que deux ans auparavant. Depuis le début de l’année 2018, 265 dossiers ont été enregistrés. «Le canton de Vaud s’inscrit dans cette même tendance», constate Marianne Cornaz, à la Direction générale de la fiscalité. Même si l’administration vaudoise reste discrète sur le sujet, elle a toutefois annoncé avoir ouvert environ 3500 dossiers de janvier à mai 2017.

A Genève, on a enregistré plus de 10 000 demandes en 2017, environ trois fois plus de dossiers qu’en 2016. L’année en cours suit la même tendance avec plus de 4600 nouveaux cas enregistrés jusqu’au 30 juin, selon les chiffres de Nathalie Fontanet, conseillère d’Etat genevoise chargée du Département des finances et des ressources humaines.

Cette année, l’administration fiscale souhaite traiter un minimum de 3900 cas. Pour ce faire, l’office genevois a mis en place un service spécifique dédié au traitement des dénonciations spontanées. Quelque 20 taxateurs se consacrent uniquement à cette tâche et cela «durant la période nécessaire», précise Nathalie Fontanet. Au total, le département compte un peu plus de 550 postes équivalents temps plein.

* Prénom d’emprunt