La philanthropie a longtemps été l’apanage des très riches, des très puissants ou des entrepreneurs aguerris à la recherche de nouvelles activités post-retraite. Aujourd’hui, avec le rajeunissement des nouvelles fortunes et des dirigeants d’entreprise, les cartes sont fortement redistribuées. En Suisse romande, un des berceaux de la philanthropie mondiale, on constate que les entrepreneurs de moins de 50 ans sont toujours plus demandeurs pour des donations utiles et impliquées. Et le «marché» de suivre leurs besoins, de se «démocratiser».

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Deux véritables institutions romandes dans le domaine, Wise et Philanthropia, s’expliquent à ce sujet afin d’éclairer les entrepreneurs romands potentiellement intéressés. Denis Pittet, président du conseil de la Fondation Philanthropia et associé-gérant du groupe Lombard Odier, confirme ce phénomène: «Suivant l’exemple de leurs glorieux aînés, tel Bill Gates, les cas de jeunes entrepreneurs qui décident de se consacrer uniquement à la philanthropie après avoir fait fortune en vendant leur entreprise se multiplient dans le monde. Des philanthropes de nouvelle génération qui veulent donner du sens à leurs dons et en mesurer le véritable impact.»

Ambitieuse et connectée

Cette tendance s’appuie sur des chiffres impressionnants. En effet, d’ici à 2050, 59 000 milliards de dollars de patrimoine établi devraient être transmis à la génération suivante. On estime que la prochaine génération de mécènes aura ainsi entre 20 000 et 30 000 milliards de dollars à distribuer aux œuvres de bienfaisance. Or, on l’a vu, cette nouvelle génération pense différemment et envisage de nouveaux moyens de s’engager. «Loin de se limiter aux organisations à but non lucratif, les jeunes mécènes n’excluent pas de subventionner des personnes, des sociétés ou des PME à but lucratif relevant des défis sociétaux qui les touchent, et examinent des solutions pour y parvenir. Ils veulent tester de nouvelles idées, s’impliquer personnellement et mesurer les résultats. Ils ne veulent plus attendre pour agir et n’ont pas fini de nous étonner», explique Denis Pittet.

Etienne Eichenberger, cofondateur et président de Swiss Philanthropy Foundation à Genève, connaît parfaitement le monde de la philanthropie romande, il renchérit: «Le mouvement est double. D’une part vous avez cette génération de jeunes patrons qui souhaitent donner en conciliant compétence, réseau et argent. Pour eux l’impact devient aussi important que la cause soutenue. D’autre part, vous avez des patrons dans la dernière tranche de leur parcours professionnel qui veulent rendre à la société ce qu’elle leur a aussi donner. S’il y a le même souhaite de donner «maintenant», il y a souvent un souhait aussi de voir comment la philanthropie de la famille est une plateforme pour cultiver le patrimoine immatériel de leur famille.»

Mutualisation des coûts

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Etienne Eichenberger, cofondateur de Swiss Philanthropy Foundation.
© Piranha Photography

Mais comment faire aujourd’hui pour investir dans ce monde encore inconnu, si l’on ne possède pas des moyens infinis, à l’image de nombreux entrepreneurs romands pourtant intéressés par la cause? Etienne Eichenberger propose des pistes. «Les fonds abrités sont une solution intéressante pour les patrons de PME car ils peuvent placer de l’argent en attendant de l’investir dans des projets ou de le transmettre. Voici deux exemples de patrons de PME romandes. L’un d’entre eux a souhaité, avec sa femme, mieux organiser les donations de leur famille tout en bénéficiant du soutien administratif de la fondation. Un autre a souhaité profiter de notre écosystème de bonnes pratiques pour constituer un fonds petit à petit, avant d’entrevoir de plus grands projets.»

L’associé de Lombard Odier avance aussi des solutions. «Pour donner l’exemple de notre Fondation Philanthropia, nous nous sommes penchés sur cette tendance qui ne touche pas seulement des millionnaires et qui s’applique également à celles et ceux au patrimoine peut-être plus modeste mais qui sont animés de la même générosité et souhaitent agir pour soutenir des causes qui leur sont chères.» Alors, selon lui, plutôt que de laisser de généreux donateurs perdre de l’énergie et des moyens dans la gestion d’une fondation autonome, le concept de la fondation abritante permet en effet à ces derniers de se détacher de ces contraintes administratives, comptables ou juridiques pour se consacrer exclusivement à leur mission philanthropique en toute confiance. «Avec des budgets plus réduits, une fondation autonome n’est pas viable, car trop coûteuse», ajoute-t-il.

Concrètement, les nouveaux modèles de fondations permettent donc de ne plus agir de manière isolée, de partager les meilleures pratiques et d’apprendre «ensemble». Elles permettent aussi de lancer des mouvements et de déclencher des cofinancements, notamment avec des ONG, qui peuvent avoir accès à des fonds publics et ensuite mettre les projets en œuvre pour obtenir des résultats mesurables. L’impact de chaque don est ainsi décuplé. Ces «fondations mères» sont de véritables boîtes à outils philanthropiques qui restent encore toutefois sous-utilisées alors qu’elles sont parfaitement adaptées à la vision d’une philanthropie moderne, innovante, responsable et impliquée. Chaque donateur peut avoir alors un impact quels que soient ses moyens, nous ont précisé nos interlocuteurs.

Avec toutes ces possibilités récentes, gageons alors que les jeunes entrepreneurs suisses seront des philanthropes encore plus impliqués que leurs aînés. «Les nouvelles fondations promeuvent aussi bien des projets classiques en lien avec la culture, les sciences et le domaine social que les toutes dernières évolutions technologiques, à l’instar de la blockchain.

Pour preuve, en 2017, 364 fondations ont été constituées en Suisse, pays qui affiche toujours une densité de fondations parmi les plus élevées d’Europe», nous a confirmé en guise de conclusion Claudia Genier, la directrice adjointe de l’organisme SwissFoundations.


Les Suisses sont-ils généreux?

Les Suisses, et plus particulièrement les entrepreneurs, sont-ils généreux envers les associations et les fondations? La réponse semble être indéniablement oui, statistiquement en tout cas.

Le Center for Philanthropy Studies (CEPS) de l’Université de Bâle, un institut interdisciplinaire de recherche et de formation continue spécialisé dans le secteur des organisations à but non lucratif fondé en 2008 à l’initiative de SwissFoundations, a mené une recherche approfondie à ce sujet. Selon celle-ci, le montant des dons privés versés par la population suisse a été estimé à 1,8 milliard de francs en 2016, avec un montant moyen estimé des dons par ménage de 300 francs. Un chiffre relativement important. Mais ce qui surprend le plus est certainement la proportion de donateurs dans la population. En effet, 82% des ménages suisses ont fait des dons en 2016, les femmes (85%) participant davantage que les hommes (80%) dans cet effort.

Assez logiquement, étant donné les moyens à disposition selon les catégories, le nombre de donateurs par groupes d’âge enregistre des différences importantes. Environ 65% des personnes de 15-34 ans ont participé à des donations alors que 88% des personnes de 35-54 ans ont donné de l’argent, contre une proportion de 91% pour les personnes de 55-99 ans. En ce qui concerne les principaux thèmes de dons, on en dénombre trois. La catégorie «enfants et jeunes» est en tête des préoccupations (54%), suivie de près par «personnes handicapées» (53%) alors que la catégorie «aide sociale et d’urgence» (47%) vient ensuite.

Il est à noter que selon l’étude, la plus forte augmentation des dons par rapport à l’année précédente a été enregistrée dans les domaines suivants: «religion et églises», «réduction de la pauvreté en Suisse» et «culture» (+4%). Cette thématique liée aux donations devient un véritable objet académique puisque, après Bâle et Zurich, d’autres centres dédiés à la philanthropie ont vu le jour à l’Université de Genève, à l’IMD de Lausanne ainsi qu’à l’Université de Saint-Gall.

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Edouard Bolleter