Le Brexit rend fous les investisseurs, les devises et les marchés s’affolent. Face à tous ces mouvements de monnaies printaniers, René Bachmann, responsable des opérations de change de la Banque CIC et sur la plateforme Clevercircles.ch, garde la tête froide et donne son avis aux investisseurs, en expliquant comment lui-même procède lorsque le bateau tangue. A noter que l’interview a eu lieu le 15 avril.

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Qu’est-ce qui secoue le marché des devises en ce moment?
C’est définitivement le Brexit. L’influence, le résultat et les réactions du marché sont imprévisibles. De plus, des votes ont lieu presque quotidiennement à la Chambre basse britannique, et ils ont une forte influence. Notre objectif est de résumer ces nouvelles d’une manière compréhensible et d’offrir aux clients le soutien dont ils ont besoin pour protéger leur exposition aux devises.

Les déclarations politiques entraînent des fluctuations sur le marché des changes. Comment gérez-vous ces variables inconnues?

Rien n’est prévisible, et surtout pas sur le marché des changes. Mais il est possible de classer les mouvements en scénarios sur la base de données économiques, d’analyses techniques et d’expériences afin de définir des points d’entrée et de sortie puis d’optimiser l’exposition aux devises. Fondamentalement, les déclarations politiques d’aujourd’hui n’entraînent plus de fluctuations majeures, tant qu’il ne s’agit pas d’un événement historique comme le Brexit. Avec un chiffre d’affaires de 5000 milliards de dollars en devises étrangères en vingt-quatre heures, des événements extrêmes sont nécessaires pour perturber le marché.

Comment le Brexit affectera-t-il la livre sterling? Qu’est-ce que cela signifie pour le franc suisse?

Le Brexit a déjà fait de grosses vagues et continue d’occuper les acteurs du marché. On ne peut qu’essayer de deviner s’il va monter ou descendre. Mais voici mon opinion personnelle. Je pense à presque 100% qu’il y aura un Brexit dur. Dans ce cas, il faudra compter avec le franc suisse comme valeur refuge. Comme c’est souvent le cas dans les crises politiques et économiques, le franc suisse en bénéficiera. Par conséquent, la livre sterling chutera de façon disproportionnée par rapport au franc. Un mouvement à la baisse allant jusqu’à 20% ne me surprendrait pas.

Comment les principales monnaies, le dollar américain, l’euro et le franc, vont-elles évoluer cette année, à votre avis?

Je vois le taux de change euro/franc à 1’12 à la fin de l’année, inchangé par rapport au taux actuel. Cependant, je n’exclus pas un test de parité (1 franc = 1 euro) dans le cas d’un «hard Brexit», mais j’attends de la Banque nationale suisse qu’elle intervienne ensuite. Les prix supérieurs à 1,15 en euro/franc ne sont pas réalistes. Sinon, nous considérons que le dollar américain est fondamentalement plus faible. Nous prévoyons alors un taux de change de 0,94 franc suisse pour 1 dollar US en moyenne dans le courant de l’année 2019.

Quels seraient vos conseils pour les lecteurs de «PME Magazine» qui désirent investir sur les marchés des changes ce printemps?

Avec les devises, en particulier, il faut distinguer si l’on investit dans des titres ou directement dans la devise. Dans le cas des placements en titres (obligations ou actions), il est important de déterminer la tendance principale d’une devise. Il s’agit de définir un niveau d’entrée raisonnable afin de profiter de la tendance à long terme. Mais il faut rappeler que, plus fondamentalement encore, les monnaies sont davantage appropriées pour la gestion sur le court ou le moyen terme. Nous parlons ici de quelques semaines, de quelques mois tout au plus. Les carry trades (soit l’achat d’une devise avec un taux d’intérêt plus élevé en échange de la vente d’une devise avec un taux d’intérêt plus bas, ndlr) ne fonctionnent plus depuis quelques années, car les pertes de change neutralisent l’avantage de taux d’intérêt. Dans un contexte aussi dynamique, les analystes ne peuvent que formuler des recommandations concrètes, individuellement et au cas par cas.

Fort bien. Mais comment se tenir au courant des évolutions des marchés des changes?

C’est une discipline très individuelle parce que les possibilités d’information sont infinies aujourd’hui. D’après mon expérience, trop d’informations complexifie la prise de décision, sans valeur ajoutée. Dans mon métier, je me concentre sur l’ensemble de la situation mondiale et j’essaie de filtrer le plus possible le flot quotidien des nouvelles. Souvent, des émotions y sont incluses, elles vous donnent une fausse impulsion à court terme pour une transaction que vous regretterez par la suite. Il est donc important de faire face à la «vie réelle». C’est la meilleure façon de rester fidèle à sa stratégie de placement.

Profitons de votre expérience. Les cryptomonnaies ont-elles un avenir?

Je vous réponds d’emblée: je n’ai moi-même aucune expérience avec le bitcoin. Mais je ne considère pas le bitcoin et toutes les autres cryptomonnaies comme des monnaies au vrai sens du terme. Le bitcoin est basé sur la technologie de la blockchain, qui est certainement une révolution dans le monde numérique. Pour moi, ces «monnaies» signifient avant tout une énorme consommation d’énergie. De ce point de vue, elles ont probablement une valeur intrinsèque, représentée par la facture d’électricité qu’elles génèrent!

Néanmoins, je n’investirais pas d’argent dans un bitcoin car il n’offre aucune sécurité. Vous savez, il existe beaucoup d’attaques de hackers sur les échanges de bitcoins et des millions de crédits disparaissent dans l’univers numérique. De même, le stockage de ces monnaies numériques est encore trop peu sûr. Je préfère les francs suisses, parce qu’il y a une économie derrière, en laquelle j’ai confiance. Je voudrais résumer en posant une question simple: en qui faites-vous confiance lorsque vous investissez votre argent dans les bitcoins?

EdouardBolleter
Edouard Bolleter