Le sujet est dans l’air du temps. Les questions environnementales deviennent un enjeu de société majeur; les prises de conscience ont certes été tardives mais se concrétisent de manière, notamment politiquement. L’un des thèmes particulièrement porteurs pour les investisseurs en 2019 est celui de la compensation carbone volontaire. Cette démarche consiste à financer des projets dont l’activité permet de réduire ou de contrebalancer ses propres émissions de gaz à effet de serre. Un financement qui s’effectue via l’achat de crédits carbone.

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Projet au Panama

Comment cela fonctionne-t-il? Elisa Vergine, Senior ESG Analyst chez Candriam, nous explique les étapes à suivre: «Pour mettre en place un mécanisme de compensation carbone, il s’agit tout d’abord de calculer l’empreinte carbone de l’entreprise à neutraliser. Ensuite, il faut procéder à la sélection des projets de compensation. Une fois le projet sélectionné, le mode opératoire comprend le paiement effectué auprès d’un opérateur, intermédiaire spécialisé dans la compensation carbone, qui permet d’accéder à un nombre élevé de projets, et à l’enregistrement des certificats carbone.» Ce crédit est ensuite légalement transmissible et négociable selon la loi du marché.

Pour donner un exemple concret, parmi les différents opérateurs, Candriam a sélectionné South Pole pour être accompagné dans sa stratégie de compensation carbone. Fondé en 2006 à Zurich, South Pole est un acteur historique sur le marché de la compensation avec plus de 700 projets répartis dans plus de 40 pays. L’un d’eux se trouve au Panama et vise la restauration de terres tropicales mixtes dans un pays qui perd chaque année plus de 1% de sa couverture forestière primaire. Autrefois forêt riche en biodiversité, la zone du projet couvert par South Pole a été convertie en terres agricoles pour l’élevage intensif du bétail, détruisant l’écosystème existant. Grâce à sa gestion durable, le projet – qui vise à reboiser les 13 385 hectares avec des espèces d’arbres indigènes pour rétablir une forêt tropicale mixte – s’est donné comme mission de protéger la biodiversité et de restaurer des écosystèmes tout en offrant aux populations locales des moyens d’existence sur le plus long terme.

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Elisa Vergine
© DR

En Suisse romande, la société fribourgeoise Climate Services est un des opérateurs leaders du marché de la compensation carbone. «Vous voulez rendre un produit CO2 neutre ou compenser vos émissions pour un événement particulier? Nous gérons pour vous le processus administratif que cela implique», décrit la société sur son site. Dans les faits, Climate Services simplifie la gestion administrative des transactions, garantit que les certificats répondent à des standards internationaux et fait office d’intermédiaire entre les PME et les projets de réduction d’émissions. «Il existe une grande offre de projets internationaux. Ce sont des projets soumis à des standards stricts garantissant l’utilisation unique de chaque tonne compensée. L’émission des certificats est contrôlée par les organisations du type SQS ou SGS.»

La société propose aussi sa plateforme CO2, un outil en ligne permettant de réaliser facilement un bilan carbone. Cet outil a été développé en collaboration avec la Haute Ecole d’ingénierie et d’architecture de Fribourg (HEIA-FR). Il procède à l’analyse et aux comparaisons statistiques souhaitées et livre des indicateurs clés pour le pilotage d’actions d’amélioration de l’entreprise et d’opportunités liées au marketing. Les propositions de Climate Services s’adressent donc aussi aux entreprises, de plus en plus nombreuses à y adhérer.

Un atout pour les PME

L’une d’elles est la société neuchâteloise Opan, qui œuvre dans le génie civil. Interrogé par la RTS, son directeur général, Erdjan Opan, a décrit ainsi les avantages du système pour une petite entreprise: «Il y a un aspect émulateur et une prise de conscience des employés sur cette problématique. En fonction de la sensibilité du client, c’est aussi un argument qui peut faire pencher la balance entre nous et un concurrent. Enfin, pour les nouveaux employés, c’est clairement un atout, surtout chez les jeunes qui ont la conscience de cette problématique.» Opan a dû prendre en compte de nombreux facteurs comme sa consommation d’électricité, de gaz, d’eau, les kilomètres effectués par chaque collaborateur, la quantité de papier et de matériel électronique ou encore le nombre de sacs-poubelles remplis.

Dans une autre mesure, le géant Coop est aussi un exemple en Suisse. Il a ainsi considérablement diminué le volume de produits importés par avion et a établi un plan d’action pour poursuivre cette réduction. Les produits ne pouvant être acheminés autrement (pour des raisons de qualité et par manque d’autres solutions) sont identifiés par le logo «By Air» et le CO2 généré est compensé. C’est notamment le cas des asperges vertes d’Amérique du Sud, pour lesquelles les coûts de compensation sont répercutés sur le prix de vente. Ces frais étant élevés, les responsables s’efforcent de réduire au minimum les transports par avion.

Aujourd'hui, les Etats ne prélèvent que 30 milliards de francs au titre de taxe CO2.

On le voit par ces exemples de petites PME ou de grands groupes, le phénomène de compensation touche toujours davantage de sociétés. Pour Burkhard Varnholt, CIO au Credit Suisse, les entreprises vont devoir s’investir de plus en plus dans ce genre d’efforts. «Bien que les conséquences à long terme du changement climatique affectent encore peu les marchés financiers, les entreprises devraient tenir compte de plusieurs aspects importants, comme le fait que certains actifs de grande taille, tels que les usines ou les infrastructures d’exploitation, sont menacés par des catastrophes naturelles. Ensuite, les taxes d’incitation devraient augmenter à l’avenir. Aujourd’hui, les Etats ne prélèvent que l’équivalent de 30 milliards de francs au titre de la taxe CO2, un montant faible en comparaison des quelque 5000 milliards de francs de bénéfices que réalisent les entreprises à l’échelle mondiale. Si les émissions de CO2 étaient taxées davantage, la charge financière supplémentaire pourrait être considérable pour des secteurs tels que la production d’électricité ou les transports.»

Dans l’air du temps

Signe que les initiatives s’accélèrent: le groupe genevois Reyl a créé en octobre une filiale d’asset management, Asteria, dédiée à l’impact social et environnemental en recrutant plusieurs experts reconnus dans le domaine. La nouvelle société a pour objectif d’offrir aux investisseurs institutionnels une large palette de produits et de stratégies d’impact, afin d’accélérer la mobilisation de capitaux permettant d’atteindre une transition vers une société durable.

Autre signal: début octobre, la semaine consacrée à la finance durable à Genève a réuni des acteurs très actifs dans la finance d’impact comme Alphamundi, Symbiotics, Blue Orchard ou Bamboo Capital. L’objectif était de montrer que développer des solutions pour les grands enjeux sociaux et environnementaux de notre temps est rentable, offrant un rendement compétitif aux investisseurs, tout en ayant un impact avéré et mesurable. Le sujet des certificats carbone a d’ailleurs été largement débattu durant l’événement.

PB
Par Edouard Bolleter